Le président du Parlement salvadorien, Mario Ponce, a accusé lundi le président Nayib Bukele de “tentative de coup d’Etat” pour avoir envoyé la veille des militaires et policiers lourdement armés investir le Parlement où il a prononcé un discours menaçant.
L’exécutif a commis “une tentative de coup d’Etat” contre le pouvoir législatif, a dénoncé M. Ponce, membre du Parti de la concertation nationale (PCN, conservateur d’opposition), après s’être réuni avec des représentants de partis politiques.
“Nous ne pouvons pas répondre au pouvoir exécutif avec un pistolet sur la tempe”, s’est-il indigné, appelant le gouvernement au dialogue.
La chambre constitutionnelle de la Cour suprême a exigé lundi du chef de l’Etat de “s’abstenir de faire usage des Forces armées” et de “mettre en danger le mode de gouvernement républicain, démocratique et représentatif, le système pluraliste et particulièrement la séparation des pouvoirs”.
Dimanche, des soldats équipés de fusils d’assaut et des policiers anti-émeutes ont fait irruption dans l’enceinte du Parlement monocaméral. Peu après, le président Bukele a fait un discours devant les 84 députés, les qualifiant publiquement de “bons à rien”.
Le chef de l’Etat, arrivé au pouvoir en juin 2019, a ensuite lancé un ultimatum à la Chambre, où ses partisans sont minoritaires, pour qu’elle approuve cette semaine un prêt de 109 millions de dollars visant à équiper les forces de l’ordre pour lutter contre les “maras”, les redoutables gangs criminels salvadoriens.
En réaction, le président du Parlement a suspendu sine die la session plénière prévue lundi, dont le seul point à l’ordre du jour était l’emprunt réclamé par Nayib Bukele.
Ce report a été durement critiqué par le chef de l’Etat qui a accusé sur Twitter les députés de “mentir (…) comme toujours”.
“Ce n’est pas avec des caprices ou de l’autoritarisme que les choses vont avancer”, a répliqué le député d’opposition, Jorge Shafick Handal, du Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FLMN).
– Une image “terrible” du Salvador –
Le pays est “au bord d’une dangereuse confrontation”, titrait lundi le quotidien La Prensa Grafica, tandis que El Mundo s’inquiétait de la “tension” dans le pays.
De son côté, El Diario de Hoy dénonçait dans un éditorial “la grave erreur” de “prendre l’Assemblée par la force des armes”, contre toutes les “normes très claires de la Constitution”, qui consacre le “caractère apolitique de l’armée”.
Lundi, aucune présence policière ou militaire n’était visible aux abords du siège du législatif.
“Les gens en ont assez de la classe politique, et il faut faire attention à ça”, a averti le politologue Dagoberto Gutiérrez, selon lequel les Salvadoriens reprochent aux parlementaires de “n’avoir rien fait pour améliorer la situation en matière de sécurité, de santé, d’éducation et d’emploi”.
“Si le prêt est approuvé (cet épisode) sera terminé. Mais (…) il faut faire attention : le peuple exprime de la haine et de la rancoeur envers les députés, et c’est le ressort qu’utilise le gouvernement”, ajoute-t-il.
Le Salvador (6,5 millions d’habitants) est un des pays les plus dangereux au monde, hors zone de conflit armé, avec un taux annuel de 35,6 meurtres pour 100.000 habitants en 2019. Ces homicides sont en majorité en relation avec l’activité criminelle des “maras”, qui terrorisent la population en la rackettant.
“Cela fait peur de voir tant de soldats et de policiers au siège du Parlement. Cela ressemblait à un coup d’Etat”, a estimé lundi auprès de l’AFP Marcos Salguero, restaurateur dans le centre de la capitale.
Si la population est sous le choc, l’image du Parlement investi par des hommes armés est aussi “terrible au niveau international quant à la manière de ce gouvernement de faire de la politique”, juge le politologue Saul Hernandez.
Amnesty International a souligné que le déploiement de policiers et de militaires armés face aux députés a fait ressurgir le souvenir “des moments les plus sombres” de l’histoire du Salvador.
Le président Bukele a le devoir de “sauvegarder” l’héritage des Accords de paix du 16 janvier 1992 qui ont mis fin à 12 années d’une sanglante guerre civile, a relevé l’organisation de défense des droits de l’homme.
TV5