Après la découverte par Amnesty International d’équipements illégaux vendus lors du salon mondial consacré à la sécurité intérieure des États, qui se tient près de Paris, Milipol a procédé mercredi à la fermeture du stand concerné. Inquiète d’un tel incident, l’ONG demande l’ouverture d’une enquête.
Le salon Milipol, consacré à la sécurité intérieure des États, a dû procéder mercredi à la fermeture d’un stand, qui présentait à la vente des menottes électriques, illégales selon la législation européenne. La veille, jour de l’inauguration de ce salon au Parc des Expositions de Villepinte, des représentants d’Amnesty International ont dévoilé la promotion par certaines entreprises chinoises d’équipements de torture illégaux, notamment des matraques à pointes, des fourches antiémeute à pointes envoyant des décharges électriques, des gilets envoyant des décharges électriques et de lourdes entraves pour les pieds. Ces produits destinés à être vendus aux forces de l’ordre et de sécurité étaient exposés en catalogue et même physiquement pour le cas des menottes.
«Avec contrôle d’huissier, ce stand a été immédiatement fermé», confirme au Figaro la directrice des salons Milipol, Muriel Kafantis. S’agissant des entreprises qui n’exposaient pas physiquement des produits illégaux, mais les présentaient dans des catalogues, «nous les avons sommées de retirer ces catalogues et leur avons envoyé une lettre d’avertissement pour les prévenir que, si elles n’obéissaient pas, leurs stands seraient immédiatement fermés», ajoute la directrice, qui évoque le cas de quatre entreprises chinoises.
Mauvais exemple pour la nouvelle législation européenne
Sans savoir précisément comment ces équipements illégaux ont pu se trouver parmi leurs stands, les organisateurs du salon mettent en avant les contrôles qu’ils opèrent. «Lorsqu’un exposant s’inscrit, nous lui fournissons un ‘manuel de l’exposant’ dans lequel se trouvent l’ensemble de la législation française et européenne, mais aussi la convention de Genève et le rapport de 2015 d’Amnesty International», se justifie Muriel Kafantis. Il existe également un bureau de contrôle dont les équipes patrouillent «du matin au soir» sur le salon, parmi les 1010 entreprises venues de 54 pays différents, ajoute-elle, précisant que «le bureau avait déjà fait remonter un certain nombre de contrôles dès le jour de l’inauguration» alors que les représentants d’Amnesty International découvraient de leur côté les équipements incriminés.
Une volonté de rassurer qui ne convainc pas pleinement l’ONG. «Il y a encore beaucoup de questions. Nous sommes pourtant à un moment phare», explique Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer au programme «Responsabilité des États et des entreprises» au sein d’Amnesty International. En effet, si l’importation et l’exportation d’équipements de torture sont interdites dans l’Union européenne depuis 2006, leur promotion et l’exposition de ces équipements dans les salons professionnels ne le sont que depuis un règlement européen de décembre 2016. «Milipol est le premier véritable test grandeur nature pour la nouvelle réglementation de l’UE sur les instruments de torture, et il est très inquiétant de constater que ces règles sont déjà bafouées, moins d’un an après leur entrée en vigueur», précise Ara Marcen Naval, conseillère sur le contrôle des armes au sein de l’ONG.
Amnesty International estime nécessaire pour Milipol d’«accroître de façon significative les ressources dédiées au contrôle», mais s’interroge aussi en amont sur la manière dont les équipements ont pu franchir les frontières. «Tous les flux sensibles font l’objet d’un contrôle a priori au niveau des douanes, en particulier pour une exposition comme Milipol. Dans un contexte hypersensible comme le nôtre, nous aurions pu imaginer une vigilance particulière. Quels sont les différents maillons de cette chaîne de contrôle qui n’ont pas fonctionné?», s’interroge Aymeric Elluin. «Nous travaillons avec les douanes concernant ces matériels», confirme la directrice de Milipol, sans en dire davantage.
Amnesty International exige une enquête
Interrogé par Le Figaro, Patrick Haas, directeur des publications En Toute Sécurité, s’étonne. «Des instruments de torture exposés dans un tel salon? C’est la première fois que j’entends cela», explique le spécialiste des questions de sécurité, citant d’autres affaires mises en lumière par des ONG, mais à l’étranger. «Quant à leur usage, il n’est pas en vigueur dans les pays européens, mais ces instruments sont en revanche utilisés par les forces de l’ordre et les services de renseignement dans beaucoup de pays qualifiés de dictature», ajoute Patrick Haas.
Aymeric Elluin d’Amnesty International en appelle donc à la «responsabilité» des entreprises: «Ces objets ne pouvaient que servir à commettre des actes de torture. Les entreprises doivent se poser la question de l’usage final des biens qu’elles produisent». «Si les États européens ne mettent pas correctement en œuvre cette législation au sein même de l’UE, comment peuvent-ils persuader d’autres pays de mettre fin à cet atroce commerce?», ajoute sa collègue, Ara Marcen Naval. «Nous demandons instamment aux autorités françaises d’enquêter de toute urgence sur l’importation de ces articles illicites», poursuit la chargée du contrôle des armes au sein de l’ONG. «Des poursuites? Nous n’en sommes pas encore là, mais nous étudions toutes les possibilités. Nous allons commencer par établir un premier bilan avec les exposants et les pouvoirs publics», conclut Aymeric Elluin.
Source: Le Figaro