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Sahel : «Les groupes jihadistes n’ont pas les mêmes capacités ni trajectoires ici qu’en Afghanistan»

Les pays sahéliens, touchés par le phénomène jihadiste, suivent avec attention la situation et les derniers événements en Afghanistan, où les talibans ont pris le contrôle le week-end dernier. Une partie de la population craint de voir le scénario afghan se reproduire dans leur propre pays. Pourtant, les deux situations sont différentes, même s’il existe aussi des points de convergence. Lesquels ? On en parle ce matin avec Jean-Hervé Jézéquel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG). Il est l’invité de Magali Lagrange.

RFI : Dans les pays du Sahel, une partie des populations craint un scénario similaire dans leurs pays, est-ce que ces craintes sont justifiées, est-ce que les situations au Sahel et en Afghanistan sont comparables ?

C’est sûr qu’aujourd’hui, tous les yeux sont tournés vers la situation en Afghanistan. Du côté du Sahel, beaucoup de gens dressent des parallèles, à savoir qu’aujourd’hui en Afghanistan, on a la victoire d’un mouvement jihadiste armé sur un État que les forces de sécurité ont lâché à partir du moment où des troupes internationales qui les soutenaient depuis plusieurs années ont décidé de partir. Le parallèle semble évident de ce point de vue.

Vous soulignez quelques points de comparaison ou de rapprochement qu’il pourrait y avoir, est-ce qu’il y a des différences notables entre les deux situations cette fois ?

Alors oui, des différences notables il y en a aussi. D’abord, les volumes d’investissements ne sont pas les mêmes, la taille des dispositifs militaires n’a presque rien à voir. Aujourd’hui, il y a plus de soldats américains pour garder le seul aéroport de Kaboul qu’il y a de soldats français déployés dans l’ensemble du Sahel, qui est pourtant un espace grand comme la moitié de l’Europe. D’un autre côté aussi, si la présence française est effectivement plus légère, elle est cependant beaucoup plus ancienne. D’une certaine manière, la France n’a jamais quitté la région d’un point de vue militaire depuis l’époque coloniale.

Les groupes jihadistes, également, ne sont pas identiques en Afghanistan et au Sahel. Ils n’ont pas les mêmes capacités, ou ils n’ont pas la même trajectoire. Au Sahel, contrairement à l’Afghanistan, les jihadistes n’ont jamais contrôlé un Etat, ils n’ont pas une branche politique aussi développée et capable d’engager des négociations de haut niveau.

Donc oui, les situations sont différentes, mais il y a d’indéniables convergences.

Parmi les sujets d’inquiétude soulevés par une partie des populations, il y a celui d’un retrait des forces internationales. Est-ce que cette crainte est selon vous justifiée ?

Il y a quelques semaines de cela, le président Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane. Alors, ce n’est pas un retrait de la présence militaire française proprement dit, mais c’est un redimensionnement. La présence française va se faire effectivement plus légère, et en appui à un dispositif européen où les Français restent encore majoritaires, qui est le dispositif Takuba. Donc effectivement, là aussi, on est dans des situations qui se ressemblent. On avait du côté afghan un retrait de l’armée américaine, mais qui était beaucoup plus massif. Du côté français, ce qu’on a pour le moment, c’est plutôt un redimensionnement. C’est évident que pour les Etats sahéliens, c’est une sorte d’électrochoc, ils voient bien comment Kaboul a offert l’exemple assez édifiant d’un parapluie sécuritaire qui a duré des années, et qui s’est effondré en quelques mois.

Dans tous les cas, ce qui est important de noter c’est qu’on voit bien aujourd’hui comment la situation en Afghanistan agite la scène au Sahel. On voit des intellectuels, des activistes sahéliens qui font le parallèle entre le Sahel et l’Afghanistan, et qui demandent des choses intéressantes : que les États sahéliens s’émancipent de la tutelle occidentale, non seulement en terme de sécurité, mais plus généralement en terme de stratégie de sortie de crise.

Dans les rangs des jihadistes sahéliens, comment réagit-on à ces évènements afghans ?

Du côté du JNIM [le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans], donc l’organisation proche d’al-Qaïda d’Iyad Ag Ghali, on réagit en félicitant les talibans pour leur victoire, on souligne que cette victoire a été acquise grâce à la vertu de la patience, il a fallu 20 ans. Au Sahel, on est aujourd’hui à une décennie d’efforts. Et donc du côté des djihadistes sahéliens, c’est une manière de remobiliser parce qu’ils ont quand même pris des coups ces dernières années. Et si certes ils ont réussi à étendre leurs zones de contrôle, ils ne sont pas proches de la victoire non plus. Les événements afghans redonnent à ces groupes-là un espoir qu’il est possible pour eux de prendre le pouvoir politique. Ce n’est pas simplement par la voie des armes, c’est aussi par une forme de dialogue que les talibans ont réussi aujourd’hui à s’imposer. Une des bonnes questions aujourd’hui à se poser c’est : est-ce que l’exemple des talibans va inciter les groupes jihadistes du Sahel à engager eux aussi leur forme de dialogue non seulement avec les États sahéliens, mais peut-être aussi avec les autres partenaires internationaux qui sont militairement présents dans la région ?

Le coup de force des talibans a-t-il un impact concret sur les organisations jihadistes qui sont présentes dans le Sahel ?

D’un point de vue opérationnel, je pense que non. Les deux zones sont trop éloignées l’une de l’autre, il n’y a pas vraiment de collaboration logistique. Après, ce qui va être intéressant de voir, c’est quelle va être la position des talibans à l’égard d’al-Qaïda, avec qui ils sont liés, alors qu’ils se sont engagés de par leurs négociations avec les Etats-Unis à ne pas accueillir des organisations jihadistes internationales sur leur territoire, si ces organisations-là développent des activités agressives à l’égard des autres pays, notamment des Etats-Unis.

Cela va être intéressant à suivre pour les jihadistes du JNIM, pour les jihadistes maliens qui sont eux-mêmes liés à al-Qaïda, et qui vont suivre sans doute avec attention la manière dont on peut éventuellement retisser des liens, à la fois avec cette organisation jihadiste, tout en rentrant peut-être en négociation avec les États de la sous-région. Le lien ou l’impact, je le situe à ce niveau-là.

 

RFI

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