Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, des organisations de la société civile (OSC), des partis d’opposition, de même que des syndicats de travailleurs et d’étudiants, protestent de plus en plus contre la présence des forces étrangères dans leurs pays.
Une analyse de Liman NADAWA, consultant pour le Centre4s ,
Les sentiments hostiles à la présence des forces étrangères partent de plusieurs motivations : le respect de l’esprit des indépendances qui avaient amené les nouveaux États, tels la Haute-Volta (devenu Burkina Faso) et le Mali, à exiger le départ de l’armée française de leur territoire et, aussi, les relatifs faibles résultats des dites armées étrangères dans leur appui à la lutte contre le terrorisme.
Sur cela se greffe le sentiment diffus que ces armées auraient des agendas cachés comme le pillage discret des ressources des pays les ayant sollicitées ou acceptées. Mais la liste des griefs pourrait s’allonger. Officiellement, cette contestation gêne les gouvernements des pays concernés, qui, parfois l’encouragent, lors de débâcles militaires face aux terroristes.
Refus des bases étrangères.
Au lendemain de la proclamation de leurs indépendances respectives, l’actuel Burkina Faso et le Mali avaient, au nom de leur nouvelle souveraineté, obtenu le départ de l’armée française de leur sol. Manifestant sa mauvaise humeur, celle-ci avait détruit, ici, du matériel, saboté des installations, là. Même politique de la terre brulée qu’en Guinée-Conakry, quand le peuple avait osé dire non à la « solidarité franco-africaine » dessinée par le général de Gaulle.
Voir revenir des soldats français et s’installer des soldats américains, allemands, italiens, russes, chinois et autres, chez eux, demeurent des pilules amères, restées en travers de la gorge politique d’une frange de l’opinion de ces pays. Le prétexte de cette reconquête et de cette conquête – la lutte contre le terrorisme ambiant – contient les germes de son déni, à savoir les lourdes pertes en vies humaines, militaires et civiles, dans ce combat, sans merci, pour l’éradication de ce fléau.
Face à ces échecs militaires répétés et, également, désireuses de se défausser de leurs propres responsabilités sur « les puissances étrangères », les autorités de ces pays leur emboitent le pas, de temps à autre[i].
Au Burkina Faso, ‘’le Balai Citoyen’’, l’une des OSC fer de lance de l’Insurrection d’octobre 2014 ayant conduit à la chute du régime de Blaise Compaoré, incarne ce courant souverainiste ou nationaliste, quand il s’exprime sur ce rejet : « Nos Pères à l’indépendance juridique se sont battus pour qu’il n’y ait pas de bases militaires étrangères dans notre pays. Rien ne justifie aujourd’hui la complicité flagrante, des gouvernants actuels, avec l’invasion militaire française au motif de lutte contre le terrorisme dont les résultats ne sont nullement et d’aucune manière, visibles. Nous interpellons à cet effet les Autorités à revoir la forme et le fond de la coopération militaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Aucun pays ne peut confier sa défense à un autre sans être le vassal de celui-ci. »[ii]
Au Mali, des manifestants estiment aussi que les intérêts des forces étrangères (Barkhane, G5 Sahel et MINUSMA) sont étrangers à ceux du peuple malien ; qu’elles vont s’en aller, dès leurs agendas propres réalisés. Pire, ils accusent la France d’avoir infiltré l’ensemble des forces stationnées au Mali, par l’occupation des postes stratégiques en leur sein.
Ces mouvements contestataires vont même jusqu’à accuser l’ex-puissance coloniale d’être la source du problème et non pas une partie de la solution. Par conséquent, ils exigent le départ de ses forces, brandissant, notamment, la menace de s’en prendre aux intérêts français au Mali.
Pour certaines autorités, la situation sécuritaire du Sahel est à ce point dégradée que ces forces étrangères sont, plutôt des amies, venues à la rescousse de peuples en détresse. Leur présence est donc légitimée. Elles affichent leurs certitudes quant à l’approbation de cette approche par la majorité de la population, plus soucieuse de sortir du cycle meurtrier des attaques que de « rhétorique anti-impérialiste ». Autrement dit, Français, Américains, Allemands, Italiens, Russes et Chinois sont là parce que, sollicités par des gouvernements conscients de leurs faiblesses en matière de sécurité et de défense
L’idée, supplémentaire, qu’ils sont au Sahel pour réorganiser les armées locales est autant brandie. Ces forces étrangères serviraient, ainsi, à renforcer les capacités, tous azimuts, des armées des pays attaqués par les terroristes.
Agendas cachés ?
Les ‘’agendas cachés’’-Hidden Agendas- sont suggérés par la manière quasi-clandestine dont ces bases se sont installées. Les clauses se discutent « au Sommet », entre le chef de l’État sahélien concerné et les autorités du pays d’origine de la force étrangère. Dans certains pays, des députés nationaux avouent en avoir entendu parler « par les media ». Cela signifie que même les Commissions de Défense nationale et de sécurité des parlements n’en savent pas bien plus que le public. Tout serait opaque car « Secret Défense ».
Cette opacité va, parfois, jusqu’au déni. Des gouvernements admettent, tout au plus, avoir « accordé des facilités » à telle ou à telle puissance étrangère. Cette manière de procéder peut, aussi, signifier que les états-majors des armées des pays d’accueil n’ont, souvent, pas eu leur mot à dire dans ces « Accords ». Une certaine frustration pourrait en naitre. Et pour cause. Rien ne leur garantit que lesdites forces étrangères, en cas de crise politique interne, ne volent point au secours du « régime en place », celui qui leur aurait accordé le privilège de disposer d’une base sur son territoire. Elles peuvent être, éventuellement, vues comme une preuve de défiance des dirigeants à l’égard de leurs propres Forces de défense et de sécurité (FDS).”
Au Niger, un responsable d’une OSC exprime cette inquiétude : “La présence de bases étrangères en général et américaines en particulier est une reddition sérieuse de notre souveraineté et une attaque sérieuse contre le moral de l’armée nigérienne.” [iii] Les rapports entre les militaires étrangers et leurs homologues sahéliens s’en trouveraient compliqués.
Le déficit relatif de communication desdites bases avec la population environnante nourrit les accusations d’exploitation clandestine des ressources naturelles. Leur implantation géographique serait basée, plus sur les richesses du sous-sol que sur la proximité des lignes de front terroriste. Au Niger, cette accusation est lancée par le ‘’Cadre de concertation et d’actions citoyennes’’ de Tillabéry, qui exige « (…) le départ immédiat des bases étrangères qui ne sont à la limite que des pillards de nos ressources. » [iv]
Globalement, le bilan de ce déploiement des forces étrangères vient, également, battre en brèche l’efficacité de cette coopération militaire. Les attentes de résultats étaient telles que cette présence signifiait, pour les autorités comme pour les populations, l’éradication rapide des phénomènes terroristes. Cette impatience et cette nervosité sont si perceptibles que la ministre française des Armées, alors en visite au Burkina Faso, avait cru bon d’y répondre, sèchement : Barkhane n’est pas « la solution à tous les problèmes du Burkina Faso »[v]. En d’autres termesson pays ne pouvait prendre en charge l’ensemble des préoccupations sécuritaires de ses hôtes du moment ! Elle avait, en outre, précisé que « (…) jamais la France n’interviendrait si les autorités burkinabè ne la sollicitaient pas. »[vi]
Les Sahéliens qui sont dans l’attente de résultats militaires immédiats contre le terrorisme vont piquer encore une crise d’urticaire contre la France. En effet, en tournée, cette semaine, au Sahel, la ministre des Armées s’est exprimée au QG de la force Barkhane, à N’Djamena, au Tchad[vii], sur un ton qui appelle plus à la patience qu’à une victoire imminente sur les djihadistes : « Ce voyage se tient dans un contexte sécuritaire extrêmement difficile », a-t-elle déclaré, en ayant en tête le nombre, impressionnant, des récentes victimes militaires burkinabè et maliennes, en plus du soldat français tombé ce samedi 2 novembre au Mali. Ce lundi 04 novembre 2019, la ministre a prôné la « patience » dans la guerre contre les djihadistes dans les pays du Sahel. « Nous mettrons du temps à vaincre ces groupes qui prospèrent sur les difficultés sociales et économiques des pays sahéliens. » « C’est un combat dans lequel il faut faire preuve de patience ». Des messages douloureux et forts qu’elle répètera, les prochains jours, aux présidents du Faso et du Mali. Cet appel sera-t-il entendu, dans les pays, par les manifestants qui prônent l’évacuation des forces étrangères du Sahel ? Un grand défi !
Communiquer d’avantage.
Une partie de la solution semble la communication ou une forme de transparence. Au Niger, par exemple, les responsables de la base américaine d’Agadez ouvrent, périodiquement, grand, les portes de leurs infrastructures aux élus locaux, aux journalistes ainsi qu’aux parlementaires. Cette disposition d’esprit a permis de baisser, d’un cran, la méfiance que l’installation de cette base avait suscitée au départ. Toujours dans ce pays, l’ambassadeur d’Allemagne a cru bon d’expliquer, en personne et officiellement, les rôles que la base germanique jouait en terre nigérienne.
En dépit de ces précautions, des étudiants, des membres d’OSC et des militants de partis d’opposition continuent de réclamer l’évacuation des bases étrangères. C’est dire que, là où c’est le silence total, la méfiance et l’hostilité marqueront davantage la vision que les populations ont de ces bases. Les FDS des pays concernés et les bases étrangères pourraient ouvrir leur gouvernance à la curiosité citoyenne et parlementaire, au lieu de se réfugier, sans cesse, derrière le « secret Défense » …
L’autre partie de la solution serait que la présence de ces bases soit, au moins, discutée par les parlements des pays, « hôtes » volontaires ou non…
SOURCE MONDAFRIQUE