La présence militaire française au Sahel n’a pas d’autres objectifs que de sécuriser les intérêts économiques français et d’expérimenter des nouveaux armements.
Une chronique de Mustapha Saha, écrivain, peintre et ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée
La région des trois frontières est également un espace d’expérimentation des nouvelles techniques de guerre. Au Sahel, une bonne partie des bombardements sont effectués par des drones. Etrange coïncidence, les premiers drones, conçus par Général Atomics, sont livrés pour l’intervention au Niger et au Mali. Le MQ-9 Reaper (reaper se traduit par faucheuse, allégorie de la mort) est un drone volant à moyenne altitude avec 24 heures d’autonomie. Il sert aussi bien au recueil de renseignements et de données qu’à l’attaque avec un armement progressif. Il contient des capteurs embarqués ultra sophistiqués, une boule optronique avec des caméras jour, des infrarouges et un radar SAR-GMTI. En jargon militaire, SAR signifie « Synthetic Aperture Radar », un radar à ouverture synthétique. L’équipage est composé de quatre aviateurs à distance, un pilote, un opérateur capteur, un coordinateur tactique, un opérateur image. L’actuel drone Reaper est armé de bombes GBU12 à guidage laser.
Avec plusieurs milliers de missions effectuées chaque année, le drone bombardier est au cœur des opérations sahélo-saharienne. Il peut réaliser des sorties à deux mille kilomètres de sa base aérienne projetée (BAP) de Niamey.
Un drone abattu au lance-pierre
En novembre 2021, une nouvelle insolite fait le tour du monde, Aliou, un adolescent burkinabé de treize ans, est porté en héros par la foule dans la ville de Kaya au Burkina Faso parce qu’il a abattu, avec son lance-pierre, un drone français qui surveillait les nombreux manifestants rassemblés depuis la veille pour empêcher le passage d’un convoi d’une centaine de véhicules de l’armée française. Partis de Côte d’Ivoire en direction du Niger, les militaires français avaient déjà été bloqués plusieurs heures à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou les jours précédents.
L’exploit du jeune Aliou prouve que les drones de surveillance, militaires et policiers, qui se répandent partout dans le monde, sont plus vulnérables qu’ils ne paraissent. Au Niger, où le convoi militaire français avait prévu de transiter, les manifestations se multiplient contre « l’occupation militaire de la France » et contre la volonté déclarée de la présidence française de faire du Niger son pays pivot dans la région. L’armée française est accusée d’avoir tiré sur des civils désarmés.
Un communiqué du ministère de l’intérieur nigérien reconnaît la gravité de l’événement : « Dans la matinée de ce samedi 27 novembre 2021, le convoi de la force française Barkhane, sous escorte de la gendarmerie nationale, en route pour le Mali, a été bloqué par des manifestants à Téra, région de Tillabéri, où elle a passé la nuit. Dans sa tentative de se dégager, elle a fait usage de la force. On déplore la mort de deux personnes et 18 blessés, dont onze graves ». Le président nigérien exprime, le même soir, « sa reconnaissance envers la France dont il salue les sacrifices dans les pays du Sahel » (AFP, 27 novembre 2021).
Arlit et Akokan, villes artificielles
Arlit et Akokan accueillent cent mille habitants, accourus de toute l’Afrique de l’Ouest. La région, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, est théoriquement protégée avec la réserve naturelle de l’Aïr et du Ténéré, étendue sur vingt-quatre millions d’hectares, et le sanctuaire des Addax. Ecosystèmes exceptionnels avec des paysages époustouflants, des montagnes de marbre bleu, des dunes mouvantes, des regs sableux, des falaises, des canyons, des gueltas, des animaux sauvages, des antilopes sahariennes, des gazelles dorcas, des gazelles leptocères, des addax nasomaculatus (à nez tacheté), des guépards, des fennecs, des renards faméliques, dits renards de Rüppell en hommage au zoologiste explorateur allemand Eduard Rüppell (1794 – 1884).
Au total, quarante espèces de mammifères, dix-huit espèces de reptiliens, cent-soixante-cinq espèces d’oiseaux. La flore comprend, dans les vallées, des palmiers dattiers, des palmiers doums (hyphaene thebaica) utilisés dans la vannerie et dont les fruits sont prisés pour leur richesse en vitamine C, des acacias nilotica ou gommiers rouges, des acacias raddiana ou faux-gommiers, des boscias senegalensis ou hanza ou aisen dont le fruit est un aliment traditionnel, des salvadoras persica dont la racine siwak s’utilise pour le nettoyage des dents. Et dans la steppe, des acacias ehrenbergiana également appelés salam en arabe et tamat en langue touareg, des balanites aegyptiana, dattiers sauvages réputés pour leurs vertus anti-inflammatoires et cicatrisantes, des maeruas crassifolia aux fruits comestibles et aux vertus thérapeutiques contre la fièvre, les gastrites, les infections cutanées, des stipagrostis vulnerans, des panicums turgigums, graminées sauvages, ressource alimentaire importante pour les dromadaires.
La destruction par l’uranium
L’impact des exploitations d’uranium est cataclysmique dans tous les domaines. Les bois morts de la réserve naturelle, principal ressource énergétique des touaregs, sont pillés sans vergogne par les habitants d’Arlit et d’Akokan. Or, ces bois morts, qui servent pour la cuisine, le charpentage des puits et d’autres constructions indispensables, jouent un rôle capital dans le fonctionnement des écosystèmes arides. Ils apportent de la matière organique dans des sols très pauvres. Ils freinent la désertification en retenant les sables drainés par les vents. Ils favorisent la régénération des arbres, nourriciers des bétails et des herbivores sauvages. Pendant la saison des pluies, les bois morts accumulés dans les koris, cours d’eau temporaires, constituent des mini-barrages permettant une meilleure infiltration de l’eau dans les nappes phréatiques. Les bois morts autour des vieux villages, comme Timia, ont totalement disparu. Leur prix s’envole. Les femmes font de nombreux kilomètres pour s’en procurer.
Effet ricochet de la politique énergétique française, chaque fois qu’on allume une ampoule en France, on détruit une parcelle de nature au Niger. L’exploitation de l’uranium se fait au détriment des populations locales, des éleveurs de bovins, de camelins, d’ovins. Le Niger se veut le premier fournir mondial d’uranium. Orano, qui détient 63,4 % du capital de la Société des Mines de l’Aïr (Somaïr), et 59 % du capital de la Compagnie Minière d’Akouta (Cominak), se taille la part du lion. Les sites découverts dans les années cinquante par la Commissariat à l’Energie Atomique sont exploités depuis un demi-siècle.
Des villes coloniales
La mine à ciel ouvert d’Arlit doit se prolonger jusqu’en 1935 grâce à des optimisations technologiques et numériques. La mine souterraine de Cominak arrête sa production après épuisement des réserves. Vingt ans de travaux seront nécessaires pour tenter d’assainir la localité ravagée. Un troisième site, Imouraren, prend le relais. Le gisement d’Imouraren découvert en 1966 à 160 kilomètres au nord d’Agadez, détenu à 66,65% par Orano, est l’une des réserves les plus importants dans le monde.
Et pourtant, l’uranium nigérien représente à peine 2% du produit intérieur brut. L’élevage, qui se sacrifie, correspond à une productivité six fois plus grande. L’économie pastorale disparaît dans le nord. Les technologies inadaptées se traduisent par des catastrophes environnementales et sociales. L’élevage extensif dans la plaine de l’Irhazer est compromis par le tarissement des nappes phréatiques d’Agadez. L’assèchement est provoqué par l’acheminement de l’eau vers des mines de charbon qui alimentent les usines d’Orano en électricité. L’aquifère au nord du Tarat est épuisé à 70% en raison de sa surexploitation. Il est envisagé de construire un pipeline de trente kilomètres pour puiser l’eau dans d’autres nappes de grès.
Les tribus touaregs quittent leur territoire ancestral pour s’entasser dans les bidonvilles des villes minières, pour survivre, dans un état épidémiologique lamentable, des déchets d’Arlit. Les fausses couches, les céphalées, les conjonctivites, les allergies respiratoires, les maladies dermatologiques, les malformations congénitales sont désormais leur lot quotidien. La ségrégation urbaine à Arlit rappelle cruellement les villes coloniales. Trois zones séparées. Le quartier des villas avec jardins et piscines réservé aux expatriés français. Le secteur des cadres nigériens avec ses petites maisons sans verdure, à peine pourvues d’eau, de gaz et d’électricité. Le ghetto dépourvu de tout, sans eau, sans réseaux d’assaini.
Source: Mondafrique