Préfet d’une circonscription du sud du Mali, Bouba se trouve pris dans la spirale de l’extrémisme violent lorsqu’il est venu rendre visite à sa famille à Sori-Wèrè, dans le Cercle de Niono (Région de Ségou). Un soir, celle-ci est attaquée par des assaillants (à motos) à la recherche d’un autre administrateur civil. Visé par erreur, Bouba dégaine et réussit à tuer l’un d’entre eux qui est malheureusement le fils du chef de la Katiba de la zone Ouest du Groupe des musulmans pour la Shari’a, Abou Hamed. Le lendemain, une expédition punitive extermina sa famille et s’attaqua à la gendarmerie où Bouba était retenu provisoirement en attendant les ordres de la hiérarchie.Pris en otage, il tombe sur l’un de ses camarades de promotion à l’école nationale d’administration (ENA) de Bamako qui le sauvera de justesse de la décapitation : Abou Sidi Yaya, un leader très influent du Groupe des musulmans pour la Shari’a.
La trame de «La Guerre des Influences» de Bréhima Touré se tisse en partie autour des discussions souvent houleuses entre les deux énarques qui avaient pris deux chemins opposés avant de se retrouver par l’ironie du sort.
Au finish, l’auteur nous explique comment le Mali est devenu progressivement le théâtre des confrontations idéologiques et géopolitiques ; l’épicentre de la «Guerre des influences». Un pays envahi par des hordes endoctrinées qui vivent avec l’illusion de contribuer à l’expansion «d’un islam vrai» alors qu’ils ne maîtrisent même pas les sourates et les préceptes les plus élémentaires de cette religion. Ils sont endoctrinés pour servir une cause à laquelle ils ne comprennent pas grand-chose.
Pour eux, il suffit de porter des tuniques afghanes, d’être lourdement armés pour ôter des vies innocentes et se revendiquer : Jihadiste ! Le lavage de cerveau est passé par là. Ils Ignorent sans doute que le Saint Coran (cité à la page 37 du livre) dit : «Celui qui tuera un croyant volontairement aura l’enfer comme récompense ; il y demeurera éternellement. Allah irrité contre lui le maudira et le condamnera à un supplice terrible» (Coran 4 : 93).
Une parfaite maîtrise de l’islam
Et pourtant, c’est ce que ces marchands de la mort imposent aux Maliens depuis près d’une décennie. Comme le rappelle si pertinemment B. Touré dans «La Guerre des influences», ils assassinent «des fidèles musulmans avec l’idée saugrenue d’islamiser une terre qui connaît l’islam depuis des siècles».
Sans verser dans la théologie ou l’exégèse, l’auteur fait montre d’une parfaite maîtrise de l’islam au point de confondre les pseudos jihadistes à travers des débats très intéressants entre Bouba, le préfet-otage, et Abou Sidi Yaya, un énarque radicalisé après un «lavage de cerveau» en Arabie Saoudite.
«Notre mouvement a pour but de purifier l’islam sur nos terres ; de l’expurger de tous les oripeaux dont les prétendus saints et autres marabouts profitent pour soumettre les musulmans… Notre lutte a pour but de vaincre l’injustice et favoriser le bien-être de tous dans l’égalité», déclare Abou Sidi Yaya pour justifier leur combat.
Mais, en réalité, cette lutte est politique. Elle est menée pour permettre «aux cadres issus des écoles d’Orient» de «conquérir la place qui leur revenait dans la gestion du pays». Il s’agit aussi, comme l’avoue Abou Sidi Yaya (P43), «de mettre fin à la domination de l’Occident qui s’exerçait à travers ses suppôts qui ne sont autres que ceux qui ont fait des études d’obédience occidentale».
Mais, l’auteur, par le biais de l’otage, lui présente une autre vision de l’islam en citant Thierno Bokar Tall surnommé «Le Sage de Bandiagara» : «L’Islam, avec ses trois niveaux fondamentaux, est symbolisé par un cercle, ses rayons et son centre. La circonférence représente la Shari’a. Les différents rayons sont les Tourouq, qui sont autant de voies pour se rapprocher du centre mais qui, toutes, prennent appui sur la circonférence sans jamais se séparer d’elle. Le centre lui-même est la Haqiqa, la vérité-Une, la Réalité essentielle, but ultime de toute voie spirituelle authentique. On peut remarquer plus les rayons se rapprochent du centre, plus ils sont proches les uns des autres. Les rares élus qui parviennent au centre, tiennent, pour ce qui se rapporte à l’essentiel, un même langage, celui de l’Unité et de l’Amour».
Des pions de l’Occident et de l’Orient
Les deux énarques (Bouba, l’administrateur civil pris en otage, et Abou Sidi Yaya, le coordinateur des Katibas) même s’ils avaient pris des chemins différents pour réaliser leurs ambitions, se retrouvaient liés finalement par le même destin sans s’en rendre compte : engagés dans une guerre qui leur était étrangère.
Abou Sidi Yaya, est le guerrier des élites orientales et Bouba celui des élites occidentales ! Et comme le rappelle si bien Bréhima Touré, «leur lutte pour le pouvoir était exacerbée par l’intervention des puissances étrangères dont les appuis attisaient un affrontement sanglant et sans fin».«Occidentaux et Orientaux avaient en Bouba et Abou Sidi Yaya des suppôts au service de leur ambition hégémonique pour l’affirmation de laquelle des idéologies universalistes véhiculaient l’aliénation culturelle et intellectuelle afin de maintenir des peuples sous domination», écrit l’auteur.
Le drame est que, dans leur argumentaire, chacun était figé dans «une posture d’affrontement du fait de leurs certitudes». Et comme l’analyse si bien l’auteur, «la certitude est la mère des extrémismes, des fanatismes ; elle apporte du grain à moudre au moulin des individus ayant des penchants pour la violence. La certitude enferme dans le cachot des croyances et empêche de jeter un coup d’œil par la fenêtre du doute et de la modération. La certitude confine à la pensée sélective qui conduit à rejeter toutes les idées contraires à ses propres convictions. Elle ferme la voie vers la commisération».
Hélas, ces deux cadres étaient trop manipulés mentalement pour se rendre compte qu’ils étaient tous les deux des «pantins» entre les mains de puissances hégémoniques, «des assimilés qui ont perdu leur identité sur la voie de la spiritualité», «des instruments du choc des influences universalistes» et, du coup, «des artisans de la tragédie de leur propre peuple». Des populations innocentes aux quelles ils continuent d’imposer le destin de «l’herbe sous les pieds des éléphants qui se battent».
La voie du salut de la nation
Ces illuminés cherchent à convaincre en justifiant leur cause par la quête de justice et de bonne gouvernance pour le bien-être des populations… Sauf que la solution proposée est aussi éprouvante et dramatique que le mal combattu. Les mêmes populations souffrent plus que les dirigeants de la guerre asymétrique imposée depuis des années au Sahel.
Les innocentes victimes collatérales de leurs actes criminels et de leurs conséquences sociales et économiques sont très nombreuses. Faut-il accepter des partis d’essence religieuse (islam politique) dans un pays comme le Mali où la spiritualité crée plus de fascination que de discernement ? Ce serait ouvrir une autre boîte des Pandores, libérer des démons. Et nous savons où cela a conduit des pays comme l’Algérie, la Somalie, le Liban, l’Afghanistan…
Les Maliens doivent aujourd’hui faire comme Bouba et Abou Sidi Yaya, qui parviennent finalement à s’entendre sur la nécessité de réfléchir pour trouver leur «propre voie». Une réflexion qui doit nous amener à déjouer «le piège de l’humiliation des vaincus par les vainqueurs» car «l’offense est la mère de la vengeance».
«Toute paix imposée par l’humiliation du vaincu est vouée à être remise en cause tôt ou tard. Les vaincus et leurs descendants n’auront qu’une idée : rendre la monnaie de leur pièce aux vainqueurs d’hier», rappelle l’écrivain. Et cela d’autant plus que «la mémoire collective est infaillible» !
Ce livre (le 3e de l’écrivain après «La limite des grands maîtres» en 2009 et «Les désillusions de Bouba» en 2015) de 120 pages bien documenté est à lire à tout prix pour comprendre ce qui arrive au Mali, au Sahel !
Moussa Bolly
«La Guerre des Influences», 120 pages (L’Harmattan)
En vente à la Libraire Bah
Prix : 8000 FCFA
Source: Journal l’Essor-Mali