Héritier d’un passé glorieux qui tisse en mots et en musique, l’âme mandé depuis le XIIIe siècle, Kassé Mady Diabaté est une des voix les plus marquantes du Mali. Kiriké, son dernier opus réunit autour du griot un ensemble d’exception composé du joueur de kora Ballaké Sissoko, du balafoniste Lansiné Kouyaté, du joueur de ngoni Badjé Tounkara et du producteur et violoncelliste Vincent Segal. Rencontre avec ce dernier et le fondateur du label No Format, Laurent Bizot, pour évoquer le travail du Malien.
«Tu peux essayer de chanter une chanson de Youssou N’Dour ou de Salif Keïta comme Youssou ou Salif» lâche le violoncelliste et producteur Vincent Segal, «tu ne chanteras pas aussi bien qu’eux, mais tu peux. Avec Kassé Mady Diabaté, c’est impossible. C’est comme John Lee Hooker, Cheikha Rabia ou Cheikha Rimitti. Tu ne peux pas les imiter. Il y a une souplesse, un savoir-faire qui fait que c’est magique» ajoute Vincent Segal dans son petit atelier de travail, au fond d’une cour du quartier de la Bastille à Paris.
«C’est pourquoi je trouve que la méthode d’enregistrement de Vincent, tous ensemble sans clic et sans re-recording, n’a rien d’anecdotique» argumente le patron de No Format qui connaît bien Vincent Segal pour avoir déjà mené plusieurs projets avec le violoncelliste (au côté de Piers Faccini, Ballaké Sissoko…) depuis la création de son label, il y a dix ans. «Elle favorise la vie dans la musique, une vie essentielle pour Kassé Mady qui se pose avec d’autant plus de plaisir» ajoute Laurent Bizot.
Cette vie, ce souffle, ce supplément d’âme, appelez ça comme vous voulez, est au cœur des préoccupations de Vincent Segal quelles que soient les musiques qu’il interprète ou qu’il écoute. «Pendant des années, j’ai souffert de ne pas pouvoir ouvrir ma gueule en studio. Je faisais comme on me disait de faire alors que je cherchais un irrationnel qui avait un peu disparu dans la musique classique et même parfois dans les musiques actuelles : cet espace entre la norme, la pulsation et l’imaginaire. Dans le hip hop ou l’électro, il y a des albums où l’on retrouve cette part d’irrationnel, bien que tout ait été conçu avec des machines.
C’est cette magie qui m’intéresse quoique je fasse, une magie qui illumine naturellement le chant de Kassé Mady». «Au départ, on voulait enregistrer au Mali, mais les événements nous ont conduits au cœur de la Charente, à Juillaguet, dans le studio du contrebassiste Kent Carter et de sa femme Mikala» relate Laurent Bizot. «C’est là que nous avons enregistré avec la complicité de Philippe Teissier du Cros. Il y a une douceur et l’amour de nos hôtes qui fait que les gens sont bien. Il y a de la rudesse aussi. Ils ne sont pas empruntés face aux musiciens.
Kent a joué avec les plus grands (Don Cherry…)» explique le violoncelliste qui, dès les années 80, a approché les musiques africaines au contact de son voisin, le maître africain des claviers Cheick Tidiane Seck, du chanteur et musicien camerounais Mama Ohandja, du fondateur d’Africa Fête, le regretté Mamadou Konté ou en fréquentant les restaurants africains du 18e arrondissement parisien où se produisaient les virtuoses du Continent noir de passage ou définitivement installés à Paris.
Comme au cœur de la nuit à Bamako.
«Chez Kent et Mikala, tu es coupé du monde. Personne ne vient demander à Kassé Mady de glisser le nom de sa boutique sur l’enregistrement, comme cela se fait souvent.» Manifestement à entendre Vincent Segal et Laurent Bizot, tous étaient ravis de se retrouver ensemble à la campagne. «On avait constitué le groupe autour de ce que l’on sait d’eux et parce qu’on les aime.
Mais en fait, ils se connaissent très bien. Ils ont des liens forts, et ce, depuis leur plus tendre enfance. Lansiné est le cousin de Kassé Mady. Lansiné, Ballaké et Badié ont joué au sein de l’Ensemble Instrumental du Mali qu’a dirigé ce dernier à la mort de son père. Tout cela est pour beaucoup dans la réussite de cet enregistrement. Souvent, ils ont ri de leurs souvenirs communs, de leurs vies d’avant» raconte le premier.
Il salue aussi la présence durant ces séances de Bintou Sylla. «Bintou est la fille du producteur Ibrahima Sylla décédé en décembre dernier. C’est sur son label, Syllart Records, qu’ont été enregistrés pratiquement tous les albums de Kassé Mady Diabaté dont Kela Tradition, mon préféré» avoue Vincent Segal avant d’ajouter «Kassé est comme son père.»
Celui qui fait pleurer (traduction de “Kassé”) livre ici un album délicat et juste, un album tout en harmonie et proximité. «Sa voix est musique. Rien n’est écrit, tout juste répète-t-il parfois à mots bas, le texte à venir avant de l’interpréter sans faille. C’est un magicien» conclut Vincent Segal.
RFI Musique
Source: Le Reporter