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Résolution des conflits ou guerre au terrorisme?

L’intervention du Canada au Mali ou au Sahel doit tenir compte de la dynamique politique.

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Plusieurs experts en « terrorisme » affirment régulièrement que « parler aux terroristes » est impossible et fait preuve de naïveté. La destruction du « terroriste » est la seule option viable. Ainsi, la résolution des conflits est présentée comme n’ayant rien, ou si peu, de pertinent à offrir quant à des fanatiques dont la rationalité et l’action politique sont constamment remises en question, sinon sommairement niées.

Pourtant, dans la majorité des cas, l’acte terroriste est généralement indissociable du conflit et du champ politiques desquels il émerge et dans lesquels il s’inscrit. Dans un contexte où violence terroriste et violence antiterroriste s’opposent et se justifient mutuellement, il n’est pas étonnant de constater que les réponses sécuritaires et militaires soient prisées. Bien qu’elles puissent être utiles, parfois nécessaires, ces réponses doivent s’inscrire dans un cadre beaucoup plus large qui inclut prévention, persuasion et résolution. Une perspective de résolution des conflits peut faire référence à des actes, tactiques ou stratégies terroristes, mais refuse de qualifier les acteurs de « terroristes » : le jugement moral attaché au qualificatif rendant opaques ou invisibles les enjeux politiques derrière les agissements des acteurs.

Toute violence doit être dénoncée et évitée, mais il n’en demeure pas moins que la violence de ces groupes « terroristes » reste imbriquée dans des dynamiques conflictuelles précises, historiques et indéniablement politiques.

Région sous tension

En 2012, une rébellion au nord du Mali et un coup d’État à Bamako ont constitué un tournant pour la région. Du programme de lutte antiterroriste américain Trans-Sahara Counterterrorism Partnership (depuis 2005) aux opérations françaises Sabre (2012), Serval au Mali (2013) puis Barkhane (2014) pour l’ensemble de la région sahélienne, le processus de militarisation du Sahel a été largement justifié sur une lecture de la crise malienne qui met l’accent sur l’islam violent, extrémiste ou radicalisé. La logique, la raison et la rationalité d’une « guerre au terrorisme » dominent les débats.

Il existe au moins quarante ans de recherche démontrant que la forme que prend la discrimination de l’État et la marginalisation politique et économique mènent, avec le temps, aux demandes et exigences de changements politiques et économiques. Comme Achille Mbembe l’écrit, de nombreuses guerres africaines ont pour objet « les raisons d’être de la communauté politique et la moralité de ses systèmes de répartition des charges, des pouvoirs, des biens et de privilèges ». La teneur « islamiste » des conflits est variable, certainement discutable, et nous devons nous demander jusqu’à quel point les histoires et expériences de marginalisation sont vécues d’un point de vue religieux, plutôt que sur une base régionale ou ethnique.

Au Mali, pour ne donner que cet exemple, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) est en partie créé en réaction à — ou pour se différencier — des groupes étiquetés touaregs. Plusieurs Peuls se sont joints au MUJAO pour cette raison, mais aussi pour les tensions sous-jacentes entre les Peuls sédentaires « nobles » et les nomades anciens captifs. Il semblerait que certains Peuls l’ont par la suite quitté parce que, pour eux, le mouvement est rapidement tombé sous le contrôle d’arabophones du Mali et de Mauritanie.

L’apparition du MUJAO doit donc aussi se lire à la lumière des tensions entre tribus arabes Kunta, qui dominaient l’économie politique du Nord-Mali, et des anciens subalternes arabes lemhars. Le MUJAO fut à la fois une occasion pour des Arabes lemhars de contrecarrer le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et ses alliés historiques kuntas et de prendre le contrôle du trafic de drogue et d’autres matières illicites.

Le discours de « guerre au terrorisme » a une fâcheuse tendance à obscurcir, négliger, sinon cacher volontairement ces enjeux fondamentaux.

Un rôle pour le Canada ?

Les discussions et rumeurs vont bon train quant à l’éventuel « retour » du Canada sur la scène internationale. L’Afrique francophone et le Mali notamment sont fréquemment mentionnés. Les opérations de maintien de la paix de l’ONU nécessitent toujours du personnel bien équipé, bien entraîné et francophone. Les alliés européens sont enthousiastes à l’idée d’un appui canadien dans leurs opérations de sécurité et de développement au Sahel.

Un engagement canadien au Mali ou au Sahel ne devrait pas participer à la militarisation et la sécurisation des politiques visant le Sahel. L’opération Barkhane est au coeur d’une restructuration fondamentale de la gouvernance régionale sécuritaire permettant des opérations militaires internationales en continu. Ces opérations reviennent à endosser, voire soutenir les comportements de régimes autoritaires qui ont en partie alimenté les conflits au départ. De plus, la visibilité grandissante des forces militaires françaises et américaines semble avoir renforcé le profil et les activités des groupes djihadistes, plutôt qu’avoir discrédité leur idéologie.

Si le Canada veut s’investir au Mali et au Sahel, il doit encourager l’engagement politique, plutôt que militaire, de la communauté internationale. Ici, il y a énormément à faire. La résolution des conflits rencontre un défi de taille, car il n’est pas toujours clair que les modalités internationales sont perçues comme légitimes aux yeux des belligérants locaux, soient-ils eux-mêmes « terroristes » ou non.

Lorsque l’autorité et la légitimité mêmes de l’État sont au coeur du conflit, quels peuvent être les fondements d’un (ré)engagement politique international en matière de résolution de conflits si la conception des institutions politiques est l’un des enjeux du conflit ? Minimalement, un engagement stratégique et politique doit éviter et même décourager la militarisation grandissante de la région sahélienne.

Source: ledevoir

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