Ce lundi 20 avril 2020, au gré de mon jogging matinal, j’ai eu le privilège d’écouter un chef d’œuvre de la musique malienne dédiée à la paix, à la cohésion sociale, à l’entente, à l’unité… Une chanson qui a au moins 60 ans, mais reprise par des héritiers en featuring avec l’auteure : feue Mariam Kouyaté Diabaté ! Avec son épouse Safi Diabaté et son fils Sidiki, Madou Sidiki Diabaté a ressuscité sa regrettée maman à travers sa puissante voix pour exhorter les Maliens à l’entente et à la cohésion sociale. J’ai écouté « Banalisa » ce matin dans l’émission « Bamako Matin » (ORTM) et j’ai encore la chair de poule. Et qu’elle ne fut ma surprise quand Momo me dira plus tard que cette superbe reprise date de 2012, quelques jours avant l’insipide putsch du Capitaine Amadou Haya Sanogo et ses acolytes.
« La paix n’est pas un mot, mais un comportement », disait feu Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire. Un comportement de tous les jours. Et, généralement, les chansons qui louent ce comportement sont intemporelles. Depuis le début de la crise malienne, des artistes ou collectifs ont pleinement joué leur partition dans la réconciliation par des chansons. Et « Benbaliya » de Madou Sidiki Diabaté est sans doute l’une des plus atypiques de ces initiatives. « Le problème du Mali est que quand tu n’es pas dans un réseau inféodé au pouvoir, tout ce que ce que tu fais de bien passe inaperçu parce qu’on y accorde jamais l’importance requise. Il faut accepter d’être formaté et étiqueté pour être considéré. Sinon, à mon avis dans le domaine de la musique dédiée à la paix au Mali, ce titre est atypique », déplore l’auteur du remix avec beaucoup de mélancolie.
Le fils a ressuscité sa mère, à travers sa superbe voix, pour prêcher la paix. Cette chanson, la sublime Mariam Kouyaté l’avait dédiée à l’entente et à l’union sacrée derrière les pères de l’indépendance dans les réformes courageuses qu’ils avaient engagées pour consolider la souveraineté politique par une vitalité économique.
« Elle y prêchait la paix et l’entente dans nos familles et nos communautés, entre les artistes, entre les leaders… », explique Madou Sidiki. « Benbaliya » est un titre enregistré par feue Mariam Kouyaté depuis le temps de la Radio Soudan. Aujourd’hui, c’est une chanson qui est plus d’actualité vu ce que notre pays traverse depuis 2012.
Le virtuose de la kora y a ajouté sa touche personnelle aussi bien au niveau de la mélodie que la thématique comme la paix et la réconciliation nationale. « J’ai eu l’idée de la reprendre en mars 2012 avant le coup d’Etat. La mort est un message à part. Mais, quand une défunte parle aux vivants et les exhorte à l’entente cordiale et à la cohésion sociale, je pense qu’elle ne nous laisse d’autres choix que d’emprunter ce chemin tracé », a expliqué Momo (Madou Sidiki Diabaté).
« C’est un morceau qui m’appartient car c’est la composition de ma regrettée maman. Ce n’est pas une chanson du terroir. Grâce à la technologie, nous sommes parvenus à un featuring entre ma mère et sa bru Safi Diabaté. Nous avons procédé à aucun trucage dans ce travail. C’est la voix de la maman telle qu’elle a chanté que nous avons mixée avec la voix de Safi. Et je pense que c’est du jamais vu au Mali. Au niveau de la mélodie, nous avons programmé les instruments sur la gamme de sa belle et puissante voix », précise l’artiste.
Baliser les pistes d’une exploitation judicieuse de notre patrimoine artistique
« Nous sommes ouverts à toutes les civilisations et à toutes les religions… Mais, nous n’accepterons jamais qu’on prenne des armes pour nous soumettre et diviser notre pays », dit-il dans la reprise.
« A partir de cette expérience, je veux démontrer aussi aux artistes de notre époque et des futures générations que le Mali très riche dans le domaine des arts et de la culture. Dans ce domaine, ainsi que dans bien d’autres domaines, Dieu nous a tout donné. Nous n’avons pas encore exploité même les 20 % de potentialités artistiques de notre pays », rappelle El Hadj Mamadou (Madou) Sidiki Diabaté.
Pour l’héritier des koras héros du Mandé, « c’est donc dommage de voir que de plus en plus nous envions d’autres, que les nouvelles générations sombrent de plus en plus dans le mimétisme artistique. Imaginez l’héritage que nous ont laissé les Sidiki Diabaté, Batrou Sékou, Nfa Diabaté, Djélimady Sissoko… Nous n’avons même pas fini d’explorer ce fabuleux héritage pour nous sentir orphelins au point de vouloir toujours copier chez les autres ».
« Chaque fois que nous nous inspirons de ces œuvres gigantesques, nous surprenons le monde. Ce sont les autres qui doivent nous envier. Et certains comme Youssou Ndour avec Djadjiri », conclut-il.
Le single « Benbaliya » est donc une œuvre remixée qui transcende les générations avec les sublimes voix de notre regrettée maman Mariam Kouyaté et de Safi Diabaté ainsi que la virtuosité instrumentale de Madou Sidiki (kora et voix) et de son fils Sidiki Diabaté (piano). Sans compter la contribution remarquable de Djodjo Diabaté (Fille de Oumou Dédé), qui est aussi une belle-sœur à Madou Sidiki, comme choriste. Un vrai délice qu’on peut écouter en boucle avec un plaisir croissant !
Moussa Bolly
LE MATIN