Prévue pour le 17 décembre 2017, l’élection des conseillers des collectivités territoriales (couplée aux communales partielles) a été reportée au mois d’avril 2018 par le gouvernement malien. Une décision qui a été annoncée par le communiqué du conseil des ministres du dimanche 26 novembre 2017. Pressentant cette décision du gouvernement, nous avions interrogé quelques leaders sur les enjeux et les conséquences d’un tel report. Il s’agit de Moussa Mara (leader politique), Abdourhamane Dicko (société civile) et Fousseyni Camara (syndicaliste). Voici leurs réactions !
«La sécurité peut être un argument pour ne pas tenir les élections ici ou là, mais pas sur l’ensemble du territoire. Nous devons sortir de certains débats de principe et être pragmatiques. Il faut tenir les élections car c’est l’essence même de la démocratie que de consulter les populations pour désigner périodiquement leurs dirigeants. Là où, cela s’avèrera impossible, on le fera plus tard. Mais ne nous laissons pas prendre en otage par cette question d’insécurité. Ce report aura comme conséquences politiques la poursuite illégitime du mandat des élus locaux et municipaux actuels. Il faut rappeler que leur mandat est arrivé à terme depuis avril 2014 soit près de 4 ans. Des élus dans cette situation ne peuvent pas entreprendre les actions de développement au profit de leurs administrés car ils n’en ont pas la légitimité.
Dans un contexte où la décentralisation est perçue comme la voie principale de la restructuration de l’Etat, on perd ainsi des opportunités significatives. Et si on suit la logique de reporter tous les scrutins prévus en décembre 2017 pour cause d’insécurité, il sera difficile de tenir les élections générales en 2018 car les mêmes arguments seront en ce moment valides. En effet, la situation d’insécurité ne changera pas fondamentalement en 7 mois. Donc faisons attention, organisons les élections là où ce sera possible et avançons.
En 2018, on pourra faire de même et tenir des élections générales même si elles ne seraient pas parfaites. Il faut éviter d’entraîner notre pays dans des aventures incertaines, car sortir des délais constitutionnels serait très périlleux pour le Mali.
L’élection des conseillers des collectivités territoriales (couplée aux communales partielles) devrait permettre de désigner des élus choisis au suffrage universel, donc légitimes, pour conduire les collectivités vers un mieux-être de leurs populations. Et, en même temps, elle devrait poser les jalons des vraies réformes de décentralisation au service de l’Etat, du pays et des Maliens.»
Abdourhamane Dicko, association des ressortissants de Gabero (Gao) :
«Le Mali ne doit pas se permettre de troubles politiques aux conséquences incertaines»
«Concernant l’organisation des élections, je pense que les acteurs politiques majeurs, notamment les partis politiques, n’en étaient pas pratiquement sûrs. Mais personne ne voulait prendre le risque de ne pas y aller. Si des élections n’avaient pas eu lieu dans des communes pour des raisons d’insécurité en 2016, il est évident que cette situation s’est dégradée et répandue même à des zones jusque-là «sûres».
Or, il s’agit d’élections au niveau du cercle et de la région, la participation de toutes les communes est donc nécessaire pour valider le vote et assurer la représentation des populations. Ce qui ne semble pas être possible en ce moment. Des élections ne sont pas possibles sur toute l’étendue du territoire. Surtout que les sous-préfets et préfets ne sont pas sur place, même dans des régions dites du Sud comme Kayes où 17 localités ne sont pas pourvues de sous-préfets.
À partir du moment où les conditions d’un vote sincère ne sont pas réunies, il est difficile de comprendre leur programmation. Aussi, des voix se sont-elles élevées du côté de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) pour rejeter la tenue des élections pour des raisons qui ne tiennent pas la route si l’on veut être sincère.
Le retour des déplacés et des réfugiés est un argument de façade car tous les réfugiés et déplacés ne reviendront plus au Mali pour diverses raisons. Conditionner les élections à leur retour, c’est décider délibérément de ne pas aller à une élection… Ne peut organiser d’élections au niveau des collectivités arrange les mouvements armés car cela leur donne une certaine pression sur le gouvernement.
Après avoir vécu les difficultés liées à la mise en place des autorités intérimaires dans les régions dites du Nord, le Mali ne doit pas se permettre de troubles politiques pouvant dégénérer en troubles sociaux aux conséquences incertaines.
Les mouvements armés devraient aussi revoir leur position et avancer dans le processus en s’engageant pour le désarmement et le cantonnement des combattants armés sur des bases saines ; en sensibilisant les déplacés et réfugiés pour leur retour ; mais surtout en s’investissant pour contribuer à réduire l’insécurité dans les différentes localités.
La relecture du Code des collectivités telle que souhaitée par les mouvements armés, ne résiste pas non plus à l’analyse d’autant plus qu’il est clair que la décision de l’Assemblée nationale s’impose à tous. Si leur position n’a pas été retenue comme pertinente, cela ne devrait pas être perçu comme une entorse à l’Accord, mais une décision de la majorité politique.
La doléance majeure est la quête d’un renforcement des pouvoirs au niveau de la région, surtout en ce qui concerne son président. Je pense qu’il faudrait organiser un débat entre experts du processus d’Alger pour mieux éclairer le peuple sur le contenu de cette partie de l’Accord…
Le report des élections peut aussi avoir des répercussions sur l’élection présidentielle à venir. L’insécurité brandie comme argument majeur pour reporter la révision de la Constitution et empêcher éventuellement les élections de renouvellement des collectivités aura assurément une incidence sur l’élection présidentielle.
Il y a donc lieu de reporter toutes les élections jusqu’en 2018 et tenter d’organiser des élections couplées. Toutes les parties (gouvernement, partis politiques et mouvements signataires) s’engageront d’ici-là à des élections propres.
Aujourd’hui, le Mali a plus que jamais besoin de renforcer son dialogue social à travers une approche inclusive et participative. La sortie définitive de la crise passe par une priorisation des compétences des acteurs sur les motivations pécuniaires.»
Fousseyni Camara, syndicaliste et intellectuel de la diaspora malienne en France :
«Le report des élections serait un cinglant désaveu pour le président de la République»
«Les raisons évoquées par la CMA, à savoir le retour non effectif des déplacés et l’insécurité peuvent être des raisons recevables si elles ne cachent pas une entourloupe dont ces mouvements armés ont le secret. Il est fort regrettable que les déplacés qui sont dans les pays voisins ne soient pas toujours de retour. Mais, on a aussi le sentiment que cette situation arrange certains acteurs du processus d’Alger, notamment des groupes rebelles.
Il est vrai que des élections municipales ont pu se tenir presque dans les mêmes conditions. Mais, si j’ai bonne mémoire, elles n’ont pu se tenir dans au moins une cinquantaine de communes au nord et au centre du pays. Je suis presque étonné que la Minusma ne se propose pas de veiller à ce que le vote puisse se dérouler partout sur le territoire national.
L’État est absent alors que c’est lui, à travers l’administration, qui doit d’assurer le bon déroulement des élections… Partout où Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa sévissent, les écoles sont fermées depuis des années. Mais, j’estime que la CMA n’a pas vocation de décider de la tenue ou non des élections. Cela est du ressort du gouvernement en concertation avec les partis politiques.
Les enjeux de ces élections peuvent être politiques, économiques voire socioculturels. Politiques, parce que c’est un défi à relever pour tenter de soigner l’image de l’Etat, redorer son blason… Bref, renouveler sa crédibilité qui a été sérieusement galvaudée. En changeant de cap, l’Etat peut tant bien que mal sauver ce qui doit l’être pour restaurer son autorité dans les zones où celle-ci se désagrège.
Sur le plan économique, le gouvernement peut mettre en œuvre son projet de transférer une partie du budget d’Etat aux collectivités. Ce raisonnement me paraît logique pour leur autonomie financière et pourquoi pas leur développement. À condition bien sûr qu’elles ne gèrent pas leurs collectivités comme le fait le gouvernement dans la gouvernance du pays, c’est-à-dire dans l’opacité et le gaspillage.
Sur le plan socioculturel l’économie locale peut se développer à condition que des mesures draconiennes soient prises pour contrer l’insécurité. C’est la condition sine qua non de ce développement, donc un vrai défi à relever à l’échelle de tout le pays.
Ce report peut engendrer de graves conséquences pour le pays. Cela serait par exemple la preuve incontestable que l’Etat a menti impunément en parlant d’insécurité résiduelle pour soutenir la révision constitutionnelle. Et pire, ce serait aussi l’occasion rêvée pour les forces étrangères de rester dans nos murs encore des années. Ce report sera un cinglant désaveu pour un président qui n’arrive pas à organiser des élections dans son pays. Et du coup, cela conforterait une fois de plus les analyses selon lesquelles les Maliens ont fait une erreur d’analyse en lui confiant le pays.
Bien malin qui peut prévoir l’impact que ce report aura sur l’élection de 2018. Le pays est sous tutelle internationale, ne l’oublions pas. Par manque de vision claire, le pouvoir s’est mis dans une situation qu’il ne maîtrise plus. Le nord et le centre du pays échappent à son contrôle. Et au sud, des associations et mouvements veillent au grain.
Le président de la République ne semble pas prendre acte de cette nouvelle donne, particulièrement au sud, et voudrait se représenter pour briguer un second mandat quoi que cela coûte au pays… Personnellement, je trouve que nous sommes face à un nœud géorgien. La solution consensuelle serait de former un gouvernement d’union nationale d’un an avec des hommes et des femmes patriotes. Et aucun membre de cette équipe de transition ne sera candidat à la présidentielle.
J’ai de gros doutes quant à la tenue de l’élection présidentielle à la date prévue (logiquement juillet-août 2018). Et pour que nous ayons (après cette transition) une élection apaisée, il serait sage que ni l’armée ni leaders religieux ne donnent des consignes de vote. Cette mauvaise habitude a toujours plombé les élections chez nous.
Pour conclure, j’avoue que j’aurais voté des deux mains pour un report des élections de décembre 2017 (finalement reportées) si l’idée ne venait pas de la CMA et si IBK prenait l’engagement de ne pas se représenter à la présidentielle de 2018 ! Que Dieu sauve le Mali !»
Propos recueillis par
Moussa BOLLY
Source: Le Reporter