Le Président Amadou Toumani Touré a créé 11 nouvelles régions par une loi en date du 2 mars 2012. Elles devaient toutes être opérationnelles au plus tard cinq ans après, soit en mars 2017. Neuf ans plus tard, le processus est toujours à la traîne. Sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Kéïta, des avancées ont été enregistrées, mais mitigées. Sur les 11 régions créées, 6 avaient des gouverneurs mais seulement 2 ont eu droit à un découpage administratif. Dans sa feuille de route, le gouvernement de transition se saisit du dossier au titre de ses réformes politiques et institutionnelles. Les lignes bougent très rapidement, mais le chemin est jalonné d’obstacles.
Le grand sabre du découpage territorial refait surface et c’est le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga qui le tient cette fois-ci. Le ministre de l’Administration territoriale va bientôt procéder au découpage territorial, avec la délimitation des cercles, des arrondissements et des communes des nouvelles régions. D’ores et déjà, le contour global de la nouvelle réorganisation territoriale se dessine. Il ressemblera à ceci : 19 régions, 111 cercles, 372 arrondissements, 761 communes et le District de Bamako dont les 6 communes seront érigées en arrondissements.
Le gouvernement sait qu’il marche sur des œufs. C’est pourquoi rien ne filtre pour l’heure quant au choix des différents cercles, arrondissements et communes. « Les critères qui ont été retenus sont des critères de population et de statistiques, sociologiques, historiques, le vivre ensemble, la viabilité économique. On a aussi un maillage du territoire qui prend en compte les questions sécuritaires en vue d’assurer une nette présence de l’État et des services sociaux de base. Le dernier critère est celui de la compensation, qui consiste à tenir compte de la situation initiale du nombre de cercles des différentes régions. Il faut procéder à un équilibrage. Et il y a certaines régions qui se scindent pour donner naissance à d’autres régions. Par exemple, la région de Kayes a donné naissance en 2012 aux régions de Nioro et de Kita. Le travail a été fait en respectant tous ces critères, pour éviter des frustrations et créer les conditions d’une meilleure présence de l’État », explique un expert du ministère de l’Administration territoriale.
Avancées
Les 11 nouvelles régions devaient toutes être opérationnelles cinq ans après leur création en 2012, soit en mars 2017. À la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta, les régions de Ménaka, Taoudénit, Bougouni, Koutiala, Nioro et Dioïla avaient leurs gouverneurs nommés. Mais seules Ménaka et Taoudénit ont eu droit à leur découpage administratif. À l’arrivée du gouvernement de transition, les gouverneurs des 5 régions restantes, Kita, Nara, San, Douentza et Bandiagara, ont été nommés en Conseil des ministres le 25 novembre 2020.
Le Collectif des régions non opérationnelles (CRNOP) est satisfait du coup d’accélérateur donné au processus. « Nous nous réjouissons de l’allure que l’actuel ministre de l’Administration territoriale de la transition a adoptée. Ce qu’il a réalisé en si peu de temps, le régime précédent, en sept ans, n’a pas pu le faire. Le ministre nous a appelés juste une semaine après sa nomination pour un entretien. Et nous lui avons dit que notre souhait aujourd’hui était de ne pas aller aux élections sans la nomination de tous les gouverneurs et après d’aller rapidement au découpage administratif. Dieu merci, toutes les nouvelles régions ont leurs gouverneurs, chefs de cabinets, conseillers administratifs et financiers. Donc ça bouge », déclare Mamba Coulibaly, Président du CRNOP.
Défis
Poursuivre le chantier de la régionalisation est un objectif-clé du quatrième axe de la feuille de route de la transition, dédié aux réformes politiques et institutionnelles. Cependant, au regard du temps imparti et du contexte politico-sécuritaire et économique, les défis sont énormes. « Le temps et les moyens demeurent les premiers défis à surmonter pour la mise en œuvre de cet axe. Le travail à abattre est énorme. Le nombre de régions créées est grand et ne répond par endroits à aucune nécessité. La mise en œuvre de la décentralisation recommande le rapprochement de l’administration des administrés. Pensée et conçue sous cet angle, la création de nouvelles régions est une bonne chose. Cependant, dans le cas présent du Mali, le conflit au nord et sa résolution ont imposé au pays une régionalisation à outrance mal réfléchie.
Elle a été considérée comme solution. Malheureusement, les premières créations, comme Ménaka et Taoudénit, n’ont absolument pas arrêté la dégradation de la situation », explique Salia Samaké, analyste politique.
L’autre défi à relever est l’accompagnement de la classe politique, qui se sent écartée de la gestion des affaires publiques. Elle reste majoritairement convaincue que la transition ne peut pas conduire toutes les réformes et n’a d’yeux que pour l’organisation des élections.
La création de nouveaux cercles va entraîner la création de nouvelles circonscriptions électorales, donc des postes de députés supplémentaires. « L’opérationnalisation de ces régions va forcément avoir une répercussion sur le processus électoral. On ne peut pas créer légalement des entités électorales et continuer à les ignorer au gré d’arrangements politiques. Il faudra établir une liste électorale conforme et mettre en place le matériel électoral en nombre dans toutes ces régions. Si nous voulons des élections non contestées, il y a lieu de faire face à toutes ces exigences, en restant fidèles à nos différents textes en la matière », explique Salia Samaké.
Dans le projet de révision de la loi électorale du ministère de l’Administration territoriale, il est prévu de maintenir le statu quo en matière de circonscription électorale. Reste à savoir si les élections prochaines prendront en compte le nouveau découpage ou pas. « Nous recommandons de dissocier la circonscription électorale de la circonscription administrative », a proposé Adama Diarra de l’ADEMA, lors d’un débriefing du ministère de l’Administration territoriale à l’égard des partis politiques sur les réformes en chantier. « Nous sommes conscients qu’il faut continuer à mettre en place les cercles. Mais un grand problème se posera si au niveau de chaque cercle il y a un député », renchérit Amadi Traoré des Forces démocratiques pour la prospérité (FDP Mali Koura).
Pour le Prof. Salikou Sanogo, 1er Vice-président de l’URD,« créer des cercles pour avoir des députés est du bricolage électoral. Cela ne va rien résoudre ».
Controverses
Le découpage administratif des régions de Taoudénit, Ménaka et Kidal est perçu comme discriminatoire par les populations de culture songhay réunies dans le collectif Songhay Chaawara Batoo. « La finalité de tous ces découpages est politique. Plus vous avez de cercles, plus vous avez de poids, des élus, vous avez le pouvoir. Aujourd’hui, ce que certains groupes armés n’ont pas eu par les armes, depuis un certain temps on est en train de le leur donner à travers des décrets. Cette politique est inique et injuste. La région de Gao est la plus vieille région du Nord. C’est de Gao que sont nées Tombouctou, Kidal et Ménaka. Taoudénit est sorti de Tombouctou. Donc Gao ne peut pas être restreint à trois cercles alors que les nouvelles régions, qui n’ont même pas le tiers de sa population, en ont six. Cela est une injustice criarde. Nous voulons exister. Que la majorité que nous représentons ne devienne pas une minorité électorale. Nous voulons qu’on évite d’appliquer chez nous un schéma discriminatoire basé sur des germes d’apartheid », s’oppose Almahady Moustapha Cissé, coordinateur du Collectif.
En marge de l’atelier d’information et d’échanges du 13 avril dernier, le ministre de l’Administration territoriale a déclaré que des restitutions régionales se tiendraient d’ici la fin du mois d’avril. « Aujourd’hui, nous sommes heureux de constater que nous avons un projet de réorganisation territoriale et, s’il plait à Dieu, avant la fin de ce mois, nous allons procéder à des restitutions régionales. L’étape suivante sera de préparer les avant-projets de textes ».
En attendant de voir le contenu du projet de découpage territorial, Songhay Chaawara Batoo est d’accord pour aller aux élections sur la base de l’ancien fichier électoral ». « Les événements nous ont prouvé que l’État du Mali ne réagit qu’à deux choses : vous prenez les armes, il vous respecte. Vous prenez la rue, il vous respecte. Mais nous sommes républicains et nous allons nous faire entendre par tous les voies démocratiques et légales», conclut Almahady Moustapha Cissé.
Boubacar Diallo
Source : Journal du Mali