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Rencontre avec le père des barrages et des centrales hydroélectriques au Mali M.Lamine KEITA Ancien Ministre

Le crédit est à l’homme qui est véritablement dans l’arène et dont le visage est couvert de poussière, de sueur, et de sang et qui s’efforce vaillamment de vaincre : mais qui se trompe, qui monte et qui tombe et tombe encore par ce qu’il n’y a pas d’effort sans erreur et sans défaut, qui connaît la grande dévotion et qui se dépense pour une cause valable, qui au mieux connaît à la fin le haut accomplissement du triomphe et qui au pire s’il échoue tout en ayant fortement osé, sait que sa place ne sera jamais avec âmes froides et timides qui ne connaissent ni victoires ni défaites.Le temps et les hommes passent, mais le bilan et les marques restent pour l’éternité. Les vrais hommes du progrès sont ceux qui ont comme point de départ, le patriotisme, la volonté de s’investir avec les moyens disponibles.L’occasion nous a été donnée de rencontrer un as  de cette race de bâtisseurs des premières années de l’indépendance du Mali. Il s’agit du père des barrages hydroélectriques au Mali, à savoir Lamine KEITA.

  • Ancien Directeur Général de l’Hydraulique et de l’Energie ;
  • Ancien Ministre du Développement Industriel et du Tourisme (en charge des secteurs de l’eau, de l’énergie, des mines, de l’industrie et du Tourisme) ;
  • Ancien Ambassadeur du Mali auprès de la CEE accrédité auprès du Royaume de Belgique, du Royaume des Pays Bas, du Grand-Duché du Luxembourg, du Royaume de Grande Bretagne, de l’Irlande du Nord et de l’Italie.

Le Journal Carrefour a voulu savoir ce qu’il a fait de sa carrière d’Ingénieur depuis 1961.Avec plaisir et humilité il nous a raconté son expérience et ses hauts faits d’arme. Ecoutons-le donc dans la première partie de notre interview.

 Nous savons que vous êtes un Ingénieur Hydraulicien, quel a été votre parcours scolaire ?

Comme beaucoup d’autres maliens, nous avons bénéficié de l’appui des dirigeants de l’époque pour nous donner une formation à la hauteur des besoins de notre pays. Ce qui m’a amené à fréquenter successivement :

  • 1947-1953, le Lycée Terrassons de Fougères actuel lycée Askia Mohamed à Bamako (République du Mali) où j’ai obtenu le Diplôme du Baccalauréat Mathématique.
  • 1953-1955, l’Université de FANN à Dakar (Sénégal) – où j’ai obtenu le Certificat de Mathématiques, physiques et Chimie.
  • 1955 à 1957, l’Université de Grenoble (France),où j’ai eu la Licence en Physique,
  • 1957 – 1960, l’Institut Polytechnique de Grenoble où j’ai obtenu le Diplôme d’Ingénieur Hydraulicien en juin 1960.

 Vous êtes rentrés en 1961 pour servir votre pays le Mali qui venait d’accéder à  l’indépendance. Quel rôle comptiez-vous jouer pour le développement des secteurs qui sont les siens. Je veux dire en premier lieu le secteur des barrages et des centrales hydro électriques sachant que votre cursus scolaire a embrassé aussi le secteur de l’eau en général?

Ma décision de rentrer au pays était guidée par plusieurs motivations. On peut citer entre autre :

  • Mon désir de doter mon pays des infrastructures qui sont à la base du développement de toute nation. Je pensais avoir le savoir-faire particulièrement dans le domaine qui est le mien;
  • Mon désir aussi d’améliorer les conditions de vie des parents du monde rural d’où je suis issu.

En tout cas sur le chemin du retour, je n’avais qu’une seule chose en tête, amorcer le développement de mon pays le plus vite possible. C’était une espèce d’égoïsme constructive. Ils ont réussi à le faire pourquoi pas nous quand je sais que j’ai fait les mêmes écoles que les cadres de ces pays.

A mon arrivé au pays, je fus muté à la Direction Générale de l’Hydraulique sous la supervision du premier Directeur malien Monsieur KANTE auquel je rends un hommage mérité.

Mes premiers contacts m’ont fait revenir sur terre sans pour autant entamé mon nationalisme. Au cours d’un de nos entretiens avec le Directeur, il m’a donné carte blanche. C’est comme s’il m’avait dit « voilà le cheval et voilà le champ de course ». C’est comme ça que je me suis intéressé successivement en termes d’ouvrages hydro-agricoles comme hydro-électriques ou de régulation. Une année plus tard, on m’a confié la gestion de la Direction Générale de l’Hydraulique. Mes collègues et moi avons mis le turbo. En matière de recherche de site, nous sommes intéressés successivement:

Le site de Goundam. Il s’agissait de réaliser un ouvrage hydro-agricole près de la ville de Goundam. Ce projet devrait permettre de contrôler l’alimentation en eau des lacs Télé et Faguibine et par conséquent la culture de décrue sur une superficie d’environ 25 000 ha. Les études étaient terminées et le financement obtenu de la Communauté Economique Européenne. Le projet n’a pas pu se réaliser pour des considérations indépendantes de la volonté du jeune ingénieur que j’étais.

Le site de Sotuba. Il s’agissait de réaliser un ouvrage à but multiples à Sotuba sur le fleuve Niger (électrique et agricole). Il qui devrait permettre la production d’électricité et aussi la production agricole dans le périmètre de Baguineda. Ce projet a été conçu de manière à avoir une prise d’eau, un canal d’amenée d’eau, une usine hydro-électrique, un canal de fuite et un ouvrage de restitution de l’eau dans le canal d’irrigation de Banguineda. Par la grâce de Dieu et l’engagement patriotique de la classe politique, l’ouvrage  a été inauguré en 1966 par le Président Modibo KEITA.

J’ai donc par la suite consacré mes recherches de sites pour la construction  de barrages réservoir sur le haut bassin du Niger. Les recherches nous ont permis de découvrir 11 sites. Parmi ces sites il y avait ceux de Fomi en Guinée et de Sélingué au Mali. Le site de Fomi était techniquement meilleur à celui de Sélingué.

J’attire votre attention que la réalisation des ouvrages d’une telle  ampleur ne pouvait se faire sans impacts sociaux, environnementaux et surtout politiques qu’il faut résoudre. Ces aspects sont la plupart plus complexes que les aspects techniques.

Le site de Sélingué situé sur le fleuve Sankarani a été choisi pour des raisons de nationalisme. Il s’agissait de réaliser un ouvrage à but multiples (électrique et agricole). Il devrait permettre la production d’électricité et aussi la production agricole par l’aménagement d’un périmètre agricole de 50 000 hectares.

 

Les études ont révélé que la queue du réservoir de la retenue du barrage s’étendait jusqu’à Niani (Capitale de l’empire du Mali au 12ème siècle), un site culturel très important sur lequel le Gouvernement guinéen avait déjà fait de nombreuses fouilles archéologiques. Ce qui fait que Le Gouvernement guinéen n’était pas d’accord pour la réalisation de ce barrage qui pouvait inonder le village de Niani. Il a fallu une rencontre de haut niveau entre les Présidents Sékou TOURE de la Guinée et Moussa TRAORE du Mali pour régler le différend. Mon rôle à cette rencontre était de démontrer les avantages technico économiques que cet ouvrage pouvait apporter aux deux peuples.Le Président Sékou Touré a dit ceci : « ce qui est dans l’intérêt du Mali, est également dans l’intérêt de la Guinée, par conséquent je ne m’oppose plus à la réalisation de ce barrage ». la 1ère pierre du barrage de Selingué a été posée le 19 Novembre 1976 par le Général Moussa TRAORE.

Les problèmes au niveau du Mali concernaient :

Le déplacement des populations de certaines localités maliennes touchées par le projet. Par la grâce de Dieu, l’engagement politique du moment en faveur du projet et l’esprit citoyen des populations concernées, ce problème a été résolu. C’est le lieu de saluer et remercier les populations de ces localités qui ont accepté d’abandonner leurs terroirs au profit de la réalisation du projet. C’est comme ça que les villages de Kangaré et de Dalabala ont constitué une seule entité.

Les impacts du tracé des lignes. Ils ont connus aussi des difficultés qui ont pu être aplanis grâce à la clairvoyance des hautes autorités.Le barrage de Sélingué a été inauguré le 11 Décembre 1982 par le Général Moussa TRAORE  pour un coût de 35 milliards FCFA.

Le site de Tossaye vers Bourem sur le fleuve Niger. Je vous informe que le nom de ce site a une légende. Les plans du fleuve Niger existants d’avant l’indépendance, le site s’appelait Défilé de Tossaye alors que le vrai nom est Taoussa qu’il a fallu porter sur les documents.Il s’agissait de réaliser un ouvrage à but multiples (électrique et agricole). Il devrait permettre la production d’électricité et aussi la production agricole. Comme je vous avais annoncé, les aspects politiques ont freiné la mise en œuvre du projet après la finalisation des études. Ce qui est tout à fait normal quand les pays comme le Niger et le Nigéria devraient subir des retombés soit disant négatifs alors que c’est tout à fait le contraire. Vu le statut international du fleuve Niger, il fallait l’accord préalable de ces pays. Les raisons évoquées vu du politique étaient le manque d’eau pour alimenter les barrages de Kandadji au Niger et Kandji au Nigeria et aussi l’utilisation des eaux du Niger pour l’irrigation des périmètres de l’Office du Niger qu’ils trouvent trop consommateur d’eau. Je me suis livré à des explications technico- économiques pour convaincre les deux parties. Ce plaidoyer a continué dans le temps et s’est traduit par l’obtention de l’accord de ces deux pays pour la réalisation du projet. Bien que retirer des affaires, j’ai suivi l’évolution de ce projet qui me tenait à cœur. Comme le barrage de Goundam, ce projet devrait être un facteur important pour amorcer le développement de cette partie du Mali défavorisée par la nature.Je tiens à féliciter mes cadets qui ont pris le relais de ce projet jusqu’à son aboutissement. Je sais qu’ils n’ont ménagé aucun effort pour son aboutissement.

Les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) souhaitaient réaliser cette Unité à partir des groupements régionaux. Notre Ministre Monsieur Mamadou AW paix à son âme m’a chargé de trouver un projet intégrateur dans notre secteur et qui réponde aux souhaits des hautes autorités africaines. Ce qui était plus facile pour nous avec la présence de deux grands fleuves dans notre sous-région et qui traversent pour ne pas dire relient plusieurs pays.  Ils’agit des fleuves Niger et Sénégal.Avec l’appui du Ministre AW, nous avons prospecté beaucoup de sites dans le bassin du fleuve Sénégal, en Guinée, au Mali et au Sénégal. Ces prospections nous ont permis d’identifier des sites parmi lesquels les sites de Gouina situé au Mali et de Diama situé à cheval entre le Sénégal et la Mauritanie.Pendant ce temps les responsables politiques étaient animés par la création d’Institutions sous régionales intégrateurs. C’est ainsi que le Comité Inter-Etat pour l’Aménagement du Fleuve Sénégal est née et est devenu par la suite l’Organisation des Etats Riverains du Fleuve Sénégal (O.E.R.S) avec comme membres la Guinée, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie.Avec l’évolution des ambitions d’intégration, l’O.E.R.S est devenue l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (O.M.V.S) regroupant le Sénégal, la Mauritanie et le Mali.

 

La prospection s’est poursuivie par la découverte des sites de Gourbassi sur le fleuve Falémé, de Diama, de Manantali et de Galougo sur le fleuve Sénégal. Ce dernier constitue un verrou naturel. Vu du technicien que je suis, J’étais très fier de ce site. Seulementil avait des impacts sociaux et environnementaux négatifs. Sa retenu noyait Bafoulabé, Mahina et le chemin de fer devrait être transféré sur environ 110kms).

En ce qui concerne le site de Manantali, son nom  est une légende pour moi. C’est au cours de cette prospection que notre véhicule est tombé en panne la nuit à côté d’un hameau de culture du nom de Manantali. L’hospitalité des habitants (ils nous ont apporté à manger et un toit pour passer la nuit) nous a marqué. Bien que nous ayons dépassé le site dont le hameau le plus proche était Sukutali, à la fin de la mission nous avons décidé de donner le nom Manantali au site. C’est donc grâce au barrage que ce nom Manantali est devenu international.Quand j’ai accompagné le Président de la République le Général Moussa TRAORE qui a tenu à visiter le site, il s’est étonné de la portée internationale du nom d’un hameau de culture. La 1ère pierre du barrage de Manantali a été posée le 11 Mai 1982. Il devrait permettre d’irriguer 37 000 hectares de terre et la production de 800 millions de KW/h.

Les projets des barrages hydroélectriques de Manantali et de Diama sur le fleuve Sénégal étaienttrès importants pour les trois paysà tel enseigne que les trois chefs d’Etat à l’époque le Général Moussa Traore, MoctarOuld Dada, Léopold Sédar Senghor très motivés étaient montés à bord d’un même avion pour faire le tour des bailleurs de fonds afin de trouver leurs financements. Ils étaient considérés comme un vecteur de développement des trois pays. Il faut signaler que ce déplacement commun des trois présidents était une première dans notre histoire politique africaine, et un exemple unique dans la recherche de financement. Ils étaient solidaires et animés d’une volonté inébranlable pour réaliser ce projet. En qualité du président du conseil des ministres de l’OMVS, j’ai eu l’honneur de les accompagner à leur tournée. C’est le lieu pour moi de leurs rendre un hommage mérité. En effet, c’est cette solidarité qui a fait qu’on n’a pas eu beaucoup de conflits dans la réalisation de ces deux projets,comme on en voit partout dans ces types de projets ailleurs.  Le 20 Octobre 1992, soit dix ans après la pose de la première pierre, les barrages de Manantali et de Diama ont été inaugurés par les 3 Chefs d’Etat de l’OMVS.

Le site de Talo sur le fleuve Bani. En reconnaissance de mes expériences et surtout pour ma passion pour les ouvrages hydrauliques, le Président de la République ATT m’a fait l’honneur de me charger de faire la médiation entre les populations de San, de Bla favorables au projet et les populations de Djenné qui étaient contre la réalisation du projet.  Il s’agissait de faire un barrage seuil dans le village de Talo pour permettre l’irrigation de 70 000 ha. Ce projet par son caractère agricole a été logé au sein du Ministère de l’Agriculture. Comme tout projet d’infrastructures, les problèmes politiques, sociaux et environnementaux subsistent. J’avais la casquette de médiateur dans ce projet où quelques dissensions existantes entre les communautés bénéficiaires. Son financement était assuré par la Banque Africaine de Développement (BAD). Les populations hostiles au projet ont compris par la suite, le sens et les avantages du projet, mais en exigeant que Djenné aussi ait son seuil. La BAD a accepté cette solution de compromis. Le seuil de Talo après sa mise en service a fourni beaucoup de poissons à la zone et le seuil de Djenné est en construction. Voici donc un exemple de projets qui a posé des problèmes au début, mais avéré avec un impact social énorme.

Nous avons découvert deux sites également entre Bamako et Koulikoro au droit de Tienfala. Pour permettre la continuité de la navigation, il fallait trouver un site de barrage qui noie ces rapides. Nous avons donc retenus deux sites à savoir celui duGrand Kénié qui permettait non seulement la navigation jusqu’à Koulikoro, mais aussi la production d’électricité et celui du Petit Kénié qui  permettait seulement la production d’électricité. Mais c’est le petit Kénié que nous avions retenu pour des raisons financières.

 

Je recommande à nos écoles, d’Ingénieurs qui regorgent d’étudiants de talents, que les ouvrages existants dans nos pays sont des ouvrages où ils pourront faire le lien entre la théorie et la pratique. Surtout que chaque barrage à ses caractéristiques particulières.

(À suivre dans le prochain numéro)

Interview réalisé par Siramakan KEITA

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