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Religion : la laïcité malienne ne peut et ne doit pas être la française

Le dictionnaire Larousse donne au mot laïque la définition qui suit : « Qui concerne la vie civile, par opposition à la vie religieuse : habit laïc. Indépendant des organisations religieuses ; qui relève de la laïcité : État laïc. Lois laïques. » Pourtant, pour Jean-Pierre Lalloz dans ‘’ Qu’est-ce que la laïcité ‘’, la notion n’est pas l’opposition de la domination de la religion, elle est politique. C’est un acte de non-agression sociale. Être laïc ne veut pas dire être anti-religieux. La notion donne un espace de liberté aux religieux, et empêche la domination des religions dans la vie sociale sans les opposer. La laïcité a pour but de primer la citoyenneté, l’appartenance à une nation avant toute autre chose.

Il est important de noter que c’est la loi de décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat qui consacra le principe de la laïcité en France. Mais le seuil se trouve être la période révolutionnaire de 1789, et la première république de 1791. La notion a progressivement évolué, de la loi scolaire Jules Ferry, qui avait supprimé le droit de contrôle du ministère des Cultes au sein des écoles primaires, à d’autres lois du genre, qui ont contribué à amoindrir, puis à totalement bannir la puissance des pouvoirs confessionnels. Et la France, graduellement s’est retrouvée dans une posture de neutralité d’Etat, acceptant juste aux religions des statuts d’associations privées. La France a choisi d’être un Etat intégriste laïque. L’Etat français n’accepte aucune influence potentielle de la religion. Cela est son choix, selon son vécu historique, selon les confrontations qui ont abouti à la création de sa base républicaine.

Le Mali a choisi pour sa démocratie, la notion de la laïcité selon la vision de la France, sans prendre en compte que d’autres modèles existent, et que cette notion est sujette surtout aux réalités historiques d’une nation.

La laïcité, une notion non uniforme

Les démocraties se caractérisent par la séparation des pouvoirs et par le respect des libertés fondamentales. La liberté de conscience est un droit inaliénable dans une démocratie, et c’est elle qui renferme la liberté de religion. Cette dernière est le baromètre essentiel de la laïcité. Le type et le degré de la laïcité d’un Etat sont jaugés à travers ses rapports avec la religion. Par exemple aux Etats Unis, le premier amendement de la déclaration des droits adopté en 1789, consacre la séparation des pouvoirs, donc la laïcisation institutionnelle, mais pourtant les religions ne sont pas maintenues à distance. Les signes religieux sont possibles à l’école, et les lobbys religieux y sont capables de contribuer à l’élection d’un homme politique. La laïcité est un acquis au Liban, chacun est libre de croire ou pas, mais pourtant pour être au sommet d’une institution libanaise, il faut appartenir d’abord à une communauté religieuse. Selon HiamMouannès, un maître de Conférences, « La démocratie laïque y est ainsi intrinsèquement et paradoxalement fondée sur l’équilibre et le consensus communautaire. » La constitution de la Norvège pose la religion chrétienne (Evangélique luthérienne) comme religion officielle de l’Etat. Et en même temps ladite constitution garantit le droit d’exercer librement sa religion à « tous les habitants du royaume ». Malgré que la laïcité soit garantie en Italie et en Allemagne, dans ces pays les organisations religieuses coopèrent fortement avec ces Etats. Donc il n’y a pas une laïcité, mais des laïcités.

La réalité identitaire du Mali

Le peuple du Mali est issu, de ces populations qui ont vécu dans des régions qui ont été influencées par des empires qui ont successivement instauré des modes de vie. En effet tous les peuples vivants dans le Mali actuel, ont connu à travers l’histoire les cultures qui ont été celles des empires du Ghana, l’initiatique, du Manden, l’idéal, et du Songhoï, la synthèse. Et cela implique qu’ils ont d’abord été influencés par les religions animistes venues d’Egypte, puis l’Islam s’est imposé aux dirigeants avant de se populariser, puis le christianisme avec la colonisation, et le tout se diluant après dans un syncrétisme extraordinaire.

Le peuple malien est un peuple qui croit et qui a toujours cru. La religion y a été toujours à côté des pouvoirs. Les hommes religieux ont toujours influencé les rois qui ont existé dans ces contrées. Dans le Ghana, les prêtres du dieu Bida, pesaient dans les décisions royales. A son apogée ses rois musulmans dirigeaient au nom de la religion islamique. Dans le Manden, l’animisme était la religion d’Etat, mais les prêtres animistes, étaient concurrencés par les marabouts musulmans, qui, un moment ont pris même le dessus. Dans le Songhoï, le fondateur était dans une sorte de syncrétisme, mais l’influence des animistes dominait. Et sous les Askias, les seigneurs musulmans prirent totalement le pouvoir.

Seul l’Etat colonial dérogea un peu à cette règle de la prééminence des religieux dans la gestion publique, même dans ce cas aussi il faut être prudent. La plupart du temps les colons se servaient des dignitaires religieux pour apaiser les tensions sociales.

La religion a toujours été présente au Mali, et sur le plan individuel, et sur le plan public. Et pour cela elle pouvait être traditionnelle ou importée.

Une laïcité malienne à affirmer

Au Mali, du Sud au Nord, les peuples se retrouvent toujours. Parce que ce pays a su prôner la tolérance à un niveau si élevé, qu’elle frôle le laxisme. Elle s’est muée en passerelle, permettant aux différentes cultures locales de s’interconnecter, jusqu’à donner l’impression que ce pays n’a qu’une seule culture, mais avec des nuances, plus ou moins prononcées.

Et au Mali la religion n’a jamais servi de discorde, si ce n’est ces derniers temps. Au moment de la pénétration de l’Islam dans ces régions, on pouvait trouver parmi les fils d’une même famille des animistes idolâtres, et des musulmans fervents, sans que des tensions y existent. Et les liens familiaux persistaient. Les croyances servaient dès fois même d’alibi pour se chahuter. Dans les villages avant, pour prendre les grandes décisions, se réunissaient le grand féticheur du village, l’imam du village, le prêtre chrétien, si c’était une zone ou le christianisme existait, et le chef du village, qui en général, était aussi plus ou moins adepte de la religion traditionnelle.

Les fils du Mali ont vécu en bonne harmonie pendant des siècles, sans que les uns et les autres ne soient marginalisés à cause de leur croyance. Et les religieux ont toujours été consultés concernant les grandes décisions. Le Mali ne peut pas aujourd’hui chercher à les exclure parce que son modèle d’Etat moderne voit ainsi. Le Mali doit plutôt réfléchir, surtout analyser les données nouvelles en présence. Et avec les éléments de réponse, définir, ou peut être redéfinir son type de laïcité, celle qui donnera plus de consistance, et de cohérence à son modèle démocratique. Les maliens doivent se baser sur du concret pour trouver les meilleurs outils qui construiront leur nation, et la notion de coexistence, du vivre ensemble doit y jouer un rôle prépondérant.

Moussa Sey Diallo

Source: Le Démocrate

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