En sanctionnant ce lundi 29 mai neuf hauts responsables du régime de Joseph Kabila au Congo-Kinshasa, l’Union européenne a pointé du doigt leur responsabilité dans les violences et dans l’impasse politique actuelle en RDC. Leurs noms viennent allonger une liste dans laquelle figurent d’autres personnalités du pouvoir congolais précédemment visées par l’Union européenne et les États-Unis. Il s’agit de la deuxième salve de sanctions adoptées par l’Union européenne à l’encontre de hauts responsables du régime de Kinshasa.
L’UE a ciblé une garde plus rapprochée du président Kabila
Cette fois-ci, le courroux de l’UE s’est abattu sur des personnalités de tout premier plan du pouvoir. Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, qualifié par les Kinois de « vuvuzela » ou encore de « ministre du mensonge » ; l’ancien et l’actuel ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab et Emmanuel Ramazani Shadary, ainsi que le redouté patron de l’Agence nationale de Renseignements (ANR), Kalev Mutond, ont été épinglés. Il s’agit de quatre des principales figures du régime de Joseph Kabila. Mais l’ire de l’Union européenne ne s’est pas arrêtée là. Elle s’est également portée sur cinq autres responsables : les gouverneurs du Haut-Katanga et du Kasaï central, Jean-Claude Kazembe Musonda et Alex Kande Mupompa, les commandants de brigade Muhindo Akili Mundos (commandant de la 31e brigade des FARDC – Forces armées de la République démocratique du Congo) et Éric Ruhorimbere (général de brigade), ainsi que Gédéon Kyungu Mutanga, un ancien chef de milice de sinistre réputation, réhabilité par Kinshasa.
Déjà en 2016, des sanctions…
Les dispositions de ce mois de mai arrivent après une première série de sanctions intervenue le 12 décembre 2016. Elle avait alors frappé quatre responsables des forces de l’ordre ayant planifié, dirigé ou commis de graves violations des droits de l’homme – notamment lors de la grande manifestation de l’opposition du 19 septembre 2016 –, ainsi que trois personnalités du régime accusées d’entraver une solution pacifique à la grave crise politique qui secoue la RDC. Plusieurs généraux « sécurocrates » avaient alors été mis à l’index : Ilunga Kampete, commandant de la garde présidentielle ; Gabriel Amisi, alias « Tango Four », commandant de la région militaire incluant Kinshasa ; Célestin Kanyama, commissaire provincial de la police de Kinshasa ; John Numbi, ex-patron de la police nationale ; Delphin Kahimbi, chef de la Demiap (renseignement militaire) ; ainsi que le commissaire supérieur principal Fernand Ilunga Luyoyo, commandant de la Légion d’intervention de la Police nationale, et Roger Kibelisa, chef de la Sécurité intérieure à l’ANR. Précision : les sanctions de l’Union européenne viennent s’ajouter à celles prises par les États-Unis en juin, septembre et décembre 2016, à l’encontre de plusieurs hauts responsables RD congolais, parmi lesquels figuraient déjà Évariste Boshab et Kalev Mutond.
L’appareil sécuritaire visé, les populations épargnées
Avec ces nouvelles sanctions, c’est d’abord le haut de la hiérarchie de l’appareil sécuritaire RD congolais qui est visé. En particulier en raison de son implication dans la grave crise qui secoue les Kasaï et qui, à ce jour, a fait selon l’ONU 1,27 million de déplacés et 400 morts. Ainsi, Kalev Mutond est épinglé pour son rôle central dans la répression qui frappe les provinces du centre du pays. Évariste Boshab, l’ex-vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique jusqu’en décembre 2016, est lui considéré comme la cheville ouvrière de la répression au Kasaï depuis août dernier. Idem pour son successeur, Emmanuel Ramazani Shadary, qui poursuit la même politique en l’intensifiant. Mis à l’index eux aussi, le gouverneur du Kasaï central, Alex Kandé Mupompa, citoyen belgo-congolais et homme-lige de Kinshasa, le brigadier général Éric Ruhorimbere, chef des opérations militaires dans la région, et le chef milicien Gédéon Kyungu, censé être en résidence surveillé à Lubumbashi dans le Haut-Katanga, mais dont les hommes ont été repérés dans le centre du pays.
Une initiative en faveur du processus démocratique
Sinon, il y a lieu de retenir que l’Union européenne a également entendu sanctionner ceux qui entravent le processus démocratique en RDC, mis à mal par la volonté de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir en dépit de l’interdiction que lui en fait la Constitution. C’est le sens des sanctions prises à l’encontre de Lambert Mende. « L’Union européenne a souhaité frapper ceux qui provoquent l’insécurité, en particulier dans le centre du pays, et l’instabilité politique en s’efforçant de retarder au maximum la date des élections », explique en off un haut diplomate européen. Dans le même temps, ajoute-t-il, « nous avons pris soin d’épargner les populations, déjà fortement éprouvées par la situation en RDC. Pour nous, c’était la ligne rouge à ne pas franchir ». Il s’agit en effet de sanctions individuelles. Les personnes concernées sont désormais interdites de voyage dans l’Union européenne, leurs avoirs y ont été gelés et interdiction leur est faite de percevoir des fonds de la part de tiers en Europe.
Une valeur symbolique et une portée pratique
Peu après leur annonce officielle, le ministre angolais des Affaires étrangères, Georges Chikoti, a jugé « un peu prématurée » la prise de ces sanctions sans les remettre en cause sur le fond et tout en réclamant la mise sur pied d’une enquête internationale pour faire la lumière sur les massacres au Kasaï. Quant à l’Union africaine (UA), elle s’est montrée à ce stade plutôt partisane du dialogue avec Kinshasa, quand bien même la méthode s’est révélée inefficace. Les réactions sont en revanche plus franchement positives au sein des mouvements citoyens congolais, même si ceux-ci auraient souhaité que les sanctions aillent plus loin.
« L’Union européenne et la communauté internationale peuvent et doivent faire davantage », a indiqué La Lucha dans un communiqué. Autrement dit, frapper Joseph Kabila lui-même ? « Ça n’est pas d’actualité même si, évidemment, ces sanctions ont une valeur symbolique forte. Elles sont un signal adressé au chef de l’État congolais”, décrypte un autre haut diplomate européen. Mais outre leur valeur symbolique, ces sanctions ont une réelle portée pratique. « L’Europe, en particulier la Belgique, représente une base d’action importante pour les autorités congolaises. Pour elles, ne plus pouvoir y mettre les pieds est extrêmement handicapant sur le plan professionnel mais aussi personnel. Souvent, leurs épouses y résident et leurs enfants y étudient », fait observer ce diplomate aguerri. Et d’ajouter : « Face à l’oppression dont sont victimes la population et l’opposition congolaises, ces sanctions sont pour elles une planche de salut. » À Kinshasa, lundi soir, les autorités tentaient de faire bonne figure. Mais leur moral semblait bel et bien entamé.