Evoquer le nom de Seydou Traoré « Guatigui » rappelle ce jeune gardien de l’AS Réal de Bamako de la fin des années 1960, qui avait le don des détentes dorsales extraordinaires et des relances de balle magiques. Un club qui l’a vu grandir et dans lequel il s’est imposé comme un élément incontournable de la dream time des Scorpions, composée à l’époque de Beïdy Sidibé dit Baraka, Amadou Vieux Samaké, Boubacar Sidibé dit Jardin, Soumaïla Diakité dit Pelé, Ousmane Doumbia dit Man, Mamadou Coulibaly « Benny » et autres. Il a laissé aussi une empreinte indélébile au sein des Aigles où son parcours dura quinze ans. Aujourd’hui, l’homme est malade, même très malade. Nous l’avons rencontré dans le cadre de votre rubrique préférée « Que sont-ils devenus ? ». Entretien émouvant ! Une fois n’est pas coutume : « Nous en appelons à la solidarité des autorités en ce mois de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, des opérateurs économiques et hommes d’affaires, des nostalgiques de la belle épopée du football malien (1960-1990), des camarades solvables de Guatigui, des amoureux du ballon rond et de toutes les bonnes volontés ». Pour toutes fins utiles, câblez le 79 24 13 78.
Le journaliste reporter est parfois comme ce médecin ou ce magistrat qui tombe parfois sur des situations qui donnent le dégout de la profession. Cela est dû à l’aspect humaniste que la vie en société crée en l’homme. Il faut braver ces situations pour faire son travail. Nous sommes jeunes et nous n’avons pas vécu certains événements émouvants. Mais ce que nous avons vu le week-end dernier en rencontrant Seydou Traoré dit Guatigui mérite d’être pris au sérieux par tous, les autorités en première ligne, et cela avant qu’il ne soit trop tard, avec des attitudes de regrets et des larmes de crocodile. Comme ce fut le cas en avril 2008, quand le président Amadou Toumani Touré a donné des instructions à la dernière minute pour évacuer Mamadou Keïta dit Capi. Mais les médecins ont fait savoir à ses émissaires que la fin du match n’était pas loin. Quelques jours après, l’ancien joueur et entraineur du Stade malien de Bamako et de l’équipe nationale et non moins gardien des Aigles du Mali à Yaoundé 72 rendit l’âme.
La (noble) proposition de Zoba
Est-ce que les autorités du pays, les dirigeants de l’AS Réal de Bamako vont attendre aussi le dernier souffle de Guatigui pour « se lever ? ». L’ancien joueur des Scorpions et de l’équipe nationale de 1967 à 1982, est très malade. Il vit des recettes d’une fontaine publique que lui a léguée sa défunte mère. Son cas nous avait certes été décrit, mais nous ne savions pas que la situation avait atteint certaines proportions.
Arrivé sous son hangar peu avant 17H, nous le trouvâmes assis sur une chaise, sa canne à portée de main. C’était émouvant et pathétique ! A vue d’œil, on sent que Guatigui est atteint par la maladie, la misère et la solitude. Nous avons eu de la peine à retenir nos larmes. Parce que nous le revoyions encore plus frais dans les buts de l’AS Réal de Bamako, avec des commentaires de feu Demba Coulibaly comme : « Ramassage aérien, détente dorsale, claquette de Seydou Traoré dit Guatigui ».
Entretemps, un autre ancien joueur du Djoliba et des Aigles, Modibo Fodé Kouyaté dit Zoba arriva. Guatigui nous le présente et lui explique notre démarche. Sur ce, le visiteur s’assoit à côté de nous et déverse sa colère : « L’Etat malien ne fait rien pour nous les anciens joueurs. Certes, nous sommes nombreux, mais on pourrait fixer des critères sur la base des dix matches. C’est-à-dire accorder une pension à tous ceux qui ont dix sélections et échelonner les montants en fonction du nombre d’années et de matches. Cela nous évitera de faire le mendiant, comme beaucoup d’entre nous le font aujourd’hui. D’autre part, je n’ai pas de moyens, mais le cas de Seydou Guatigui me préoccupe. Je vous demande à cause de Dieu de l’aider pour que sa situation soit améliorée. Le petit ne mérite pas cette situation ».
Après ce coup de gueule, Zoba prend congé de nous. Comme à ses habitudes, il donne 1000 Fcfa à Guatigui. Le réquisitoire du visiteur imprévu nous a donnés la force morale de tenir le coup.
A la question de savoir, de quoi souffre-t-il ? Seydou Traoré nous répond qu’il traine les séquelles d’une fissure au niveau de l’os central de la cuisse gauche. Il a eu ce choc en 2007, quand les dirigeants de l’AS Réal l’ont sollicité pour encadrer leurs jeunes gardiens de buts. Pour cette nouvelle fonction, il était payé à 50 000 Fcfa. Malheureusement, au cours d’une séance d’entrainement, il a eu ce choc qui a abouti à une intervention chirurgicale prise en charge par feu le Dr Bouaré. Pour la circonstance, les dirigeants du Réal lui ont remis cinq mois de salaire. Dès lors, plus rien ! C’est à la suite de ce choc, rendant difficile son déplacement, qu’il a demandé au président Seydou Sow de lui payer une moto d’occasion. Cela lui permettra de se faire transporter pour aller à l’hôpital ou pour aller prendre sa pension. Ce dernier a dit qu’il conseille à Guatigui de prendre un taxi dont il assurera les frais. Mais l’ancien gardien des Scorpions et des Aigles s’est dit qu’à son âge il ne peut pas tout le temps demander de l’argent à ses cadets. Mais avec une moto, il peut facilement se déplacer pour ses courses évoquées plus haut. Raison pour laquelle, il n’est plus parti revoir Seydou Sow pour un quelconque problème.
Ces derniers temps, en plus des séquelles du choc de la cuisse, un mal de dos s’y est greffé, rendant ses déplacements plus difficiles. Tenaillé par des douleurs intenses, l’idée lui vint d’écrire une lettre au président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, pour solliciter son aide. La chance lui sourit pour avoir reçu un coup de fil anonyme l’invitant à se rendre à Koulouba. Arrivé au palais présidentiel le jour du rendez-vous, un collaborateur du président IBK du nom de Fofana le reçoit et prend en compte ses préoccupations.
« Mon seul souhait est de rencontrer le président IBK… »
Comment les choses ont évolué après ? Seydou Traoré dit Guatigui raconte la lueur d’espoir suscitée par cette initiative à Koulouba. « Après mon entretien avec Fofana, il m’a remis 5 000Fcfa, comme frais de transport et m’a promis de rendre compte au président IBK. Quelques jours après, Fofana, en compagnie de Boubacar Baba Diarra, ancien président de la Femafoot et Tidiane Niambélé, est venu me trouver devant ma fontaine. Je me suis débrouillé à marcher pour les recevoir à la maison. Fofana me rassure que le président IBK a vu ma lettre et qu’il promet de m’évacuer à l’extérieur pour un traitement approprié. Le temps pour lui de trouver une solution à la crise du nord. En attendant, il me demande de me soulager avec la somme de 500 000 (Cinq cent mille) Fcfa. Cela fait plus d’un an, je n’ai reçu aucun signal venant de Koulouba. Très sincèrement, cette somme du président m’a permis de payer des ordonnances, faire certaines échographies et rembourser une partie de mes dettes. Sinon, les anciens footballeurs en France ont promis de m’aider, mais à condition que je sois évacué. Nous avions tenté cette option, avec l’appui de ma fille qui est mariée en France. J’ai confié mes dossiers à l’ancien ministre Mamadou Dipa Fané, qui n’a pu rien faire. Un jour, il est venu me remettre mes documents. Dès lors, je me bats avec les douleurs et pour me déplacer ce n’est pas facile. C’est pourquoi, je reste sur place du matin au soir, sauf quelques rares fois où je m’efforce à aller à la toilette. Des gens de bonne volonté m’aident, en l’occurrence Zoba qui me donne 1000 Fcfa à chaque fois qu’il passe. Bakary Traoré dit Alliance Bakary aussi vient me voir de temps en temps et me file entre 200 et 300 Fcfa, pour me témoigner sa sympathie. En plus de ces gestes, la jeunesse de Bozola a organisé une mini cérémonie pour me remettre 250 000 Fcfa. Aujourd’hui, mon seul souci, est de rencontrer le président IBK pour lui expliquer ma situation afin qu’il m’évacue vers l’extérieur ».
Un moment de silence et il poursuit : « Ainsi va la vie, j’ai tout donné au Réal. Mais en retour, l’équipe ne m’a rien donné comme récompense. Il faut prendre les choses avec une dose de conviction religieuse, tout en sachant que tout dépend du Bon Dieu ».
En allant à la rencontre de Guatigui, nous avons pu photographier Tidiane Konaté dit Konan, un ancien joueur du Stade malien et de l’équipe nationale, lui aussi malade, assis dans son coin à côté du jardin de l’ex Soudan Ciné. Quand nous avons exhibé la photo pour la lui montrer, Guatigui a reconnu son cadet. Il ajoute que parfois Konan vient le voir pour ses petits besoins de 200 ou 300 Fcfa. Mais il le fait dans la plus grande discipline et ne veut même pas que l’entourage sache qu’il demande service à Guatigui. Ça c’est le comble.
Maintenant que Seydou Traoré dit Guatigui a fini de nous éclairer sur son cas qui nous avait beaucoup été raconté à travers des coups de fil, des Sms, on peut aborder sa carrière footballistique.
C’est suite à une rencontre inter quartiers que Seydou N’Daou dit petit N’Daou est allé voir le frère aîné de Guatigui, Binkè Traoré, afin qu’il le contraigne à évoluer à l’AS Réal. Deux jours après, au finish du dîner son doyen lui tend la licence et lui intime l’ordre de signer. Guatigui veut comprendre, Binkè lui dit que c’est pour jouer avec le Réal de Bamako. Nous sommes en novembre 1964. Et dès le lendemain les dirigeants lui trouvèrent les équipements nécessaires pour commencer les entrainements, avec les juniors. Il y reste deux ans et intègre la catégorie des seniors en 1966.
Son baptême de feu avec les Scorpions date du 7 janvier 1967 contre le Djoliba, après la débâcle du titulaire Bah Sacko en éliminatoires de la Coupe d’Afrique des clubs champions. Malgré la défaite de 1 but à 0, Guatigui se rappelle avoir fait un grand match. Une semaine après, il confirme ses talents face au Stade malien de Bamako qui s’incline par 2 buts à 1. Après cette rencontre, l’entraîneur des Aigles, Ben Oumar Sy, le retrouve dans les vestiaires pour lui demander de rejoindre immédiatement le groupe à l’internat. Mais le complexe qu’il éprouve vis-à-vis des titulaires Abdoulaye Traoré dit M’Baye élastique et Yacouba Samabaly plus connu sous le nom de Calin l’empêchent de répondre à la convocation de l’entraineur des Aigles.
Artisan de la campagne de Yaoundé 72
Le surlendemain, un mercredi matin, Ben Oumar Sy et toute l’équipe, en allant à l’entrainement matinal, débarquent chez lui quand il prend sa bouillie devant la porte de sa tante (marâtre) qui l’a élevé. La présence à cette heure d’une telle délégation sème la panique dans la famille de Seydou Traoré dit Guatigui. Mais le coach Ben Oumar Sy rassure en disant à la vieille Sabou Diarra que c’est la nation qui a besoin de son fils sous les drapeaux. Avec ce discours, la vieille accompagne son enfant jusqu’à la porte avec des bénédictions. De retour à l’internat, Yacouba Samabaly reconnait qu’il est le meilleur et en conséquence il va l’aider à assoir sa confiance. C’est ainsi que, chaque matin, son mentor le réveillait dès l’aube, avant les autres, pour des séances individuelles d’entrainement. Il le manipulait tellement que Guatigui passait le reste de la journée à dormir. Voilà comment il a pu gagner sa place de titulaire en équipe nationale.
Sa progression au Réal a été faite en même temps que celle de l’équipe nationale. C’est-à-dire de 1967 à 1982, année de sa retraite aux deux niveaux.
Avec les Scorpions, Guatigui a remporté trois coupes du Mali : 1967, 1968 et 1980, et disputé toutes les éliminatoires des Coupes d’Afrique des clubs champions et de vainqueurs de coupe. Son parcours avec les Aigles débute effectivement en 1967.
Artisan de la campagne de Yaoundé 72, comme titulaire avant sa blessure lors du premier match, il a également disputé les éliminatoires de Jeux Africains d’Alger, celle des CAN de 1974, 1976, 1978, 1980 et 1982, et participé à tous les tournois Amilcar Cabral de son entrée en équipe nationale jusqu’à sa sortie : 1980, 1981 et 1982.
Durant tout ce temps, muni de son diplôme du Centre Père Michel, niveau CAP, spécialité Mécanique, Seydou Traoré dit Guatigui ne travaille pas. Il se contente des primes circonstancielles au Réal et en équipe nationale. Sa maman, choquée par cette attitude des dirigeants, lui demande d’arrêter le football si son équipe ne lui cherche pas du boulot. Il apporte cette information au président du club, Mamadou Samba Konaté. Celui-ci tient des propos qui ne rassurent pas. Guatigui décide d’abandonner les séances d’entrainement, mais il sera rappelé par les dirigeants qui promettent de voir son cas. Cette période a coïncidé avec l’émergence des jeunes Moussa Bagayoko dit Maier et Ousmane Farota. La rébellion de Moussa pour soutenir Seydou lui coûta son poste et Farota en profita pour s’installer comme titulaire.
Face à une telle situation, Seydou Guatigui dit avoir convaincu Moussa Bagayoko de reprendre les entrainements. Avec la reprise de l’un de ses protégés, les dirigeants ont trouvé la solution de les alterner dans les matches. Farota joue contre le Stade malien et Moussa Bagayoko est aligné lors des matches contre le Djoliba. Cette situation ne pouvait continuer parce qu’il faut à tout prix un gardien titulaire. La solution viendra du côté des Stadistes, même si elle n’arrangeait pas les Réalistes. Le portier Ousmane Farota sera transféré au Stade.
La maman de Guatigui s’impatiente par rapport à la réaction des dirigeants de l’AS Réal. Elle passe à la vitesse supérieure et brûle tous les équipements de son fils afin qu’il se trouve d’autres moyens pour préparer son avenir pris en otage par une discipline qui ne lui a rien rapporté. A son retour de la ville, Guatigui fait le constat, se résigne et s’aligne derrière la décision de sa vieille. Autrement dit, il raccroche les crampons et se débrouille autrement pour gagner sa vie. C’est dans cette ambiance de déception totale que l’Usfas lui avait proposé 150 000 Fcfa par mois pour encadrer ses gardiens. Il devait choisir entre le Réal et la nouvelle proposition parce que Bouaré aussi est venu le chercher dans le même contexte avec un salaire. Il a opté pour son ancien club et ce jusqu’en 1986. Qu’est ce qui s’est passé pour qu’il abandonne ?
Seydou Traoré dit Guatigui raconte la visite d’un ami d’enfance, qui constitue un tournant de sa vie : « Un soir, un de mes amis d’enfance est venu me proposer un emploi à Care Mali, comme j’avais un diplôme. Arrivé sur les lieux, le Dga de l’Ong, David Rody, me dit que la structure a plutôt besoin d’un chauffeur que d’un mécanicien. Mais il peut me recruter si j’ai un permis. J’en avais et voilà comment j’ai décroché mon premier emploi. Je suis resté dans la boite jusqu’à ma retraite en 2006, après vingt-deux ans de service. Aujourd’hui, c’est grâce à cette pension que je me défends, plutôt jusqu’à une période récente où mes difficultés financières ont commencé ».
Seydou Guatigui a-t-il des enfants sensés l’aider ou le prendre en charge ? L’ancien portier des Scorpions nous dira qu’il a perdu deux enfants, qui pouvaient le secourir aujourd’hui s’ils étaient en vie. Cependant, sa première fille est mariée en France et très sincèrement elle fait de son mieux pour lui. Après le décès de sa femme, il a décidé de ne plus se remarier. Finalement, la pression des parents et des amis l’obligea à prendre une seconde épouse dont les enfants n’ont pas encore l’âge requis pour produire.
Le surnom Guatigui qui le suit à présent résulte du fait qu’il est né quelques jours après le décès de son père. C’est ainsi que ses mamans ont dit qu’un chef de famille (Guatigui) est parti, un autre est venu. Il a pris le nom de son défunt père qui était le « Guatigui » de la famille.
Avec son état de santé dégradé, accentué par une misère, nous avons eu de la peine à demander à notre héros ses anecdotes, les bons et mauvais souvenirs de sa carrière. L’essentiel pour nous est d’informer l’opinion, les autorités des conditions de vie déplorables de cet ancien joueur.
Malgré sa galère, Seydou Traoré, âgé de 71 ans, garde le moral et accueille tout le monde avec le même sourire. Sinon, son quotidien n’est pas facile, avec ces différentes couches qui se bousculent autour de sa fontaine pour s’approvisionner en eau. Mais Guatigui maintient l’ordre et agit de telle sorte qu’aucun de ses clients ne se sente offusqué.
Il se dit persuadé que le sport n’est pas ingrat, mais les hommes qui l’animent. Aujourd’hui, les relations créées par le football lui permettent partout où il va de s’en sortir facilement. En ces lieux, les uns et les autres lui témoignent leur admiration et reconnaissent tout ce qu’il a fait pour le football malien. La transition est donc toute trouvée pour que Guatigui donne son avis sur l’indifférence des autorités face aux conditions de vie des anciens joueurs. Sur la question, Guatigui pense qu’il est la principale victime de cet état de fait. Comment ? Son état de santé en dit long sur cette conviction.
O. Roger Sissoko