Quand on écoutait les reportages de Sacko Maguiraga sur l’ORTM, on aurait dit qu’elle est une sortante de l’Ecole nationale d’administration (ENA), section sciences juridiques, tant elle maîtrisait de façon enviable le jargon juridique. Quand nous sommes arrivés chez elle sous un soleil de plomb, nous avions hâte de savoir, si réellement elle est une juriste de formation ? Pas du tout, elle n’a jamais mis pied à l’ENA. C’est un concours du hasard qui l’a fait nommer correspondante de presse auprès du ministère de la Justice puis chargée de communication au même département. A présent, Sacko Maguiraga ne peut expliquer les raisons qui ont poussé le directeur de Radio-Mali à porter son choix sur elle. Peut-on alors qualifier sa carrière journalistique comme un incident du parcours ? Professeur d’anglais de 1970 à 1980, elle dit avoir enseigné au lycée de grandes sommités du pays à l’image de Saouti Haïdara (directeur de publication du quotidien L’Indépendant), Me Magatte Sèye (ancien bâtonnier) et Pr. Mamadou Bocary Diarra (cardiologue à l’hôpital Mère-Enfant le Luxembourg). C’est après dix ans de service dans l’enseignement qu’elle est mutée au ministère de l’Information. Comment a-t-elle concilié ses fonctions et son foyer ? Pour répondre à cette question Sacko Maguiraga tire le chapeau à son défunt mari, qui s’est comporté en responsable pour la comprendre et la soutenir dans tout ce qu’elle a entrepris. C’est une sommité de la presse malienne qui nous a reçus à son domicile, à Korofina. Quel est son cursus universitaire ? Comment est-elle devenue journaliste ? Ces deux métiers l’ont-elles nourrie ? L’enfant de Nioro du Sahel nous entretient sur tous ces détails.
Sacko Maguiraga a trois enfants, toutes des filles, mariées aux USA et en France. Elle vit quasiment seule dans une grande cour. Quelles sont ses occupations ? Comment gère-t-elle cette solitude, loin de ses enfants et de ses petits-enfants ? La réponse est qu’elle partage la maison avec sa belle-sœur et consacre son temps à la lecture du Coran, la mosquée, aux informations et à l’entretien de sa mère. Vu son âge (72 ans) et savoir que sa mère vit méritait d’être vérifié. Et c’est avec plaisir qu’elle nous conduira dans la chambre de la vieille. Avoisinant les 100 ans, c’est une dame bien soignée que nous découvrons.
Après les présentations de sa fille, elle nous a tendu la main pour nous souhaiter la bienvenue dans un français impeccable (elle était agent des affaires sociales au temps colon). Quand nous lui souhaitâmes longue vie, elle formula les mêmes vœux pour nous. La vieille est lucide et vit sous une climatisation 24 h/24 pour maintenir sa santé. C’est des faits rares sur lesquels nous tombons dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Le coup du sort
Sacko Maguiraga a fait ses études fondamentales à Nioro du Sahel et à Markala. Admise au DEF en 1964, elle est orientée au Cours normal secondaire. Aux termes de deux ans de formation accélérée, y compris deux mois dans les vacances, elle est apte à enseigner au second cycle comme professeur d’anglais.
Au moment où les différentes promotions attendaient d’être fixées sur leur sort par un arrêté d’intégration à la fonction Publique, une nouvelle tombe. L’administration scolaire décide d’orienter à l’Ecole normale supérieure (EN Sup) les majors des différentes sections.
Sacko Maguiraga, qui était major de la filière “anglais”, bénéficie de l’opportunité de poursuivre les études à un niveau supérieur, où elle croise sur son chemin une certaine Adame Ba Konaré.
A sa sortie en 1970, avec le grade de professeur d’anglais, elle est affectée au lycée de Jeunes filles, puis au lycée Prosper Kamara pour combler un vide. Elle passera huit ans dans l’établissement populaire des chrétiens (1970-1978). C’est à sa demande, pour des raisons liées aux difficultés de déplacement, qu’elle est mutée au lycée Technique de Bamako.
Sa carrière d’enseignante basculera lors de la grève de l’UNEEM alors dirigée Abdoul Karim Camara dit Cabral. Un mouvement estudiantin qui va obliger les autorités à fermer les écoles. Ce chômage forcé a compromis en son temps l’avenir de beaucoup de jeunes. Sacko Maguiraga ne pouvant pas supporter l’inactivité, elle se trouve alors un plan B. Elle demande un transfert pour le ministère de l’Information. Elle ambitionnait de servir dans la presse écrite, mais c’est à Radio-Mali qu’elle atterrit finalement.
Enseignante-communicatrice, elle n’a pas eu trop de problèmes pour s’adapter à la déontologie journalistique à elle inculquée par Baba Diourté, chargé de la gestion des reportages et de la formation de ses cadets journalistes.
Quel était son secret pour briller d’abord à Radio-Mali et plus tard à l’ORTM ? L’enfant de Nioro du Sahel dit avoir lié la pratique à la théorie. C’est-à-dire mettre en exécution les directives des différentes réunions de rédaction.
De 1980 à 1993, elle est reporter, présentatrice des journaux à la radio, traductrice de documents en anglais à l’ORTM, correspondante de presse auprès du ministère de la Justice (journaliste spécialisée et chargée de tout ce qui a trait à la justice), productrice de l’émission “Chronique judiciaire”, correspondante de BBC Afrique pour l’émission “Focus in Africa”.
La preuve par l’efficacité
Comment a-t-elle été nommée journaliste attitrée du ministère de la Justice ? Sacko Maguiraga rappelle ce moment solennel : “J’ai appris après que le département de la Justice n’appréciait pas les reportages de mon collègue précédent comme correspondant. On lui reprochait ses commentaires sur les décisions de justice. Le ministère s’est plaint et a demandé qu’on le remplace. Sur ce, le directeur de Radio-Mali, Younouss Hamèye Dicko, m’a nommée à sa place. C’est Baba Diourté qui me notifia la décision. J’ai eu peur d’évoluer sous les ordres d’un militaire qui était ministre de la Justice. Je suis partie voir le DG pour exprimer mes appréhensions par rapport à la nouvelle mission qu’il venait de me confier. Il m’a encouragée tout en me disant qu’il est persuadé que j’étais la journaliste indiquée pour donner les résultats escomptés. Devant de tels propos, je n’avais qu’à foncer. Dieu merci, j’ai relevé le défi”.
Comme les auditeurs de Radio-Mali et téléspectateurs de l’ORTM ont pu le constater, les reportages de Sacko Maguiraga sur les questions judiciaires ont été déterminants dans le rapprochement de la justice des justiciables. Son assiduité, son courage et surtout sa détermination à réussir lui ont valu le poste de chargée de mission au département de la Justice en 1994. Durant neuf ans, à travers sa communication, elle donna plus de visibilité aux activités du département. Elle quittera ce poste en 2003. La raison ?
La nouvelle ministre de la Justice, Me Fanta Sylla, à son arrivée a renouvelé le cabinet. Elle a demandé à retourner à l’ORTM. Selon elle, le ministre de la Communication à l’époque, Gaoussou Drabo, était très mal à l’aise parce que dans l’immédiat, il ne savait pas où la caser. Drabo voyait mal, que du poste de chargée de Mission, Sacko Maguiraga se retrouve simple journaliste à l’ORTM. Mais l’enfant de Nioro du Sahel dit avoir insisté pour retourner dans son ancien service. Finalement, le ministre l’affectera à l’ORTM.
Dépourvue de tout complexe de supériorité, elle accepte le statut de simple journaliste. Une modestie qui lui vaudra d’être nommée chef section des langues nationales quelques mois plus tard. Un poste qu’elle occupera jusqu’à sa retraite en 2009. Depuis, elle a disparu des radars là où d’autres auraient tenté une seconde vie au prix d’une reconversion.
Pourquoi ce silence durant tout ce temps ? Sacko Maguiraga explique : “Avant ma retraite, ma santé commençait à se dégrader. En plus, mon défunt mari (paix à son âme) était aussi malade. Il fallait passer le maximum de temps à son chevet. C’est cela aussi le mariage, sentir son conjoint dans les moments cruciaux. A son décès, je n’ai songé à rien entreprendre”.
Médaillée du Mérite national quand elle servait au ministère de la Justice, elle fut membre de la Commission nationale d’organisation de l’Espace d’Interpellation démocratique (de 1994 à 2003), du Réseau des journalistes pour la promotion des droits de l’Homme (depuis 1996), du Conseil supérieur de la communication (2003).
Pour approfondir ses connaissances, Sacko Maguiraga a participé à plusieurs formations :
– Stage de formation en linguistique appliquée et civilisation américaine à San Francisco en 1974 ;
– Programme de l’Agence d’information des USA sur le système télévisuel à Washington, aux Etats-Unis, en 1990 ;
– Séminaire international sur la “Dimension socioculturelle du développement”, à l’Université de Pittsburgh, aux USA, en 1992.
Elle retient de ses 39 ans de service, l’atmosphère ambiante de la Radio, qui s’est toujours manifestée par le respect des cadets vis-à-vis de des ainés.
C’est le même traitement dont elle a bénéficié au ministère de la Justice. Bref, Sacko Maguiraga se dit réconfortée dans sa retraite.
Contrairement au monde de la presse plus large, et où il y a plus de contacts, l’environnement de l’enseignement est restreint. Mais, elle dit avoir aimé ces deux métiers par conviction, et n’éprouve aucun regret pour services rendus à la nation dans les deux domaines.
Aujourd’hui, elle ne se rappelle d’aucun mauvais souvenir. Ce qui est rare dans la vie.
Sacko Maguiraga parle trois langues : l’Anglais, le Français, le Soninké et le Bambara.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali