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Que sont-ils devenus… Issiaka Kané dit Chakaba : Contraste entre le talent et les retombées

Issiaka Kané dit Chakaba a l’art dans le sang. Dès le bas âge, il dit avoir choisi le théâtre et la danse comme potentielles professions. C’était une façon pour lui de se construire un avenir, malgré le fait que le comédien était considéré comme un bouffon. Les téléspectateurs maliens l’ont découvert sur le petit écran dans la pièce de théâtre “Chakaba ka muso ko”. A la suite, le cinéaste Souleymane Cissé valorise son talent dans le film “Yeelen” en 1987. Une occasion pour le jeune comédien de faire le tour du monde. Faudrait-il rappeler qu’il est l’épouse de la regrettée Mamou Diabaté dite Mamou Dièman. Nous avons décidé de le rencontrer dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” pour informer l’opinion de sa situation. Certes il n’est pas malade, mais il traverse des moments difficiles. Il garde le moral, c’est d’ailleurs un homme  très lucide, avec une grande vision de l’art malien. Mais en réalité, l’homme n’a rien gagné dans l’art. Comment ? Vivons ensemble la vie misérable de l’artiste au talent multidimensionnel.

Notre entretien avec le comédien  Issiaka  Kané était prévu pour le vendredi dernier, juste avant la prière. Mais, il nous appela pour dire que le drapeau national est sacré pour lui. Comme le Mali devait jouer à 14h contre la Tunisie à la CAN 2019 en Egypte, il proposa de différer l’interview après le match. Sinon il serait difficile qu’il se démette de la pression avant la fin de la rencontre des Aigles. Au risque de nous offusquer, Chakaba décida d’effectuer le déplacement chez nous, aux environs de 16H. Le directeur du journal, qui suit de très près l’évolution de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, a apprécié à sa juste valeur cette initiative de l’artiste.

Un festival à l’honneur de Mamou Dièman

Issiaka Kané est un homme aimable, mais depuis le décès de son épouse, la cantatrice Mamou Diabaté dite Mamou Dièman, il est tombé dans le dénuement. Les deux époux étaient tellement liés, qu’il a de la peine à se défaire du choc. Pour immortaliser  son ex-femme, Chakaba organise chaque année “le Festival du Marigot”, non loin du pont Richard. Ce lieu est devenu un palais. Chaque jour, il entretient les abords du marigot qui relève de son territoire, bien aménagé et décoré avec de belles images.

Pour organiser ledit festival, Chakaba se débrouille avec les contributions de ses connaissances et amis, dont le maire de la Commune IV, Adama Bérété. Pour la circonstance, il invite des artistes et les grandes personnalités. La sœur cadette de son ex-épouse, Safi Diabaté, agrémente généralement le festival par ses prestations. Pour ce qui est de l’édition de cette année, Chakaba est confronté à un problème de sous nécessaire.

Quand l’artiste raconte  sa vie, on a de la chair de poule. C’est le petit écran qui a révélé de jeunes comédiens talentueux en 1984, à travers deux pièces de théâtre : “Chakaba ka  muso ko” et “L’os de Morlan” interprété par feu Mamadou Doumbia dit Djifili.

Très actif dans le mouvement pionnier dans les années 1974-1975, Chakaba profita pour s’engouffrer dans le théâtre, au détriment  du football. Parce qu’il  ne savait pas jouer au ballon. Il intégra la troupe théâtrale du quartier d’Hamdallaye à Bamako, comme danseur comédien. Athlétique et souple dans ses gestes, il tient ladite troupe en main à telle enseigne que les responsables communaux lui collent le grade de metteur en scène en 1980.

Deux ans après, il est sélectionné comme danseur, comédien pour défendre les couleurs du District de Bamako, à l’occasion de la biennale à Bamako.

Ce grand événement de sa carrière lui permet de progresser . D’abord le cinéaste Souleymane Cissé lui donne rendez-vous  au Kibaru parce qu’il avait un projet de film, Chakaba semblait être son acteur idéal. Dans l’immédiat, il n’a pas daigné répondre à l’invitation.

Ensuite, son camarade Mamadou Doumbia dit Djifili lui propose de l’assister pour conquérir la troupe théâtrale du District de Bamako. Ensemble, ils vont poser des actes dans ce sens, en proposant un animateur de jeunesse engagé, Lamine Sidibé.

De la troupe du quartier, en passant par celles des rails et du District, il n’a pas gagné un centime dans les différentes prestations. Il n’en faisait pas un problème, parce qu’il misait sur l’avenir.  Son  projet avec Difily a marché, et la troupe a produit de nombreuses pièces, notamment le mariage de Sokona, Chakaba Ka Muso Ko, l’os de Morlan.

Un jour, par le pur hasard, de passage devant le Kibaru, il décide de répondre enfin à l’invitation à Souleymane Cissé. Le cinéaste n’en revenait pas, et ce fut le début d’un partenariat fécond entre les deux hommes.

Une carrière riche en couleurs

Pour la réalisation du film Yeelen, Cissé se confie à lui, pour lui donner une renommée et il devait jouer un rôle  très difficile. Lequel ? Issiaka Kané explique : “Solo m’a dit deux choses : donner un renom au film, vendre l’image du Mali, à travers ses valeurs ancestrales. J’ai toujours été animé d’un sentiment patriotique, et quand il m’a parlé de l’image du Mali, j’ai été galvanisé. Je me suis engagé et j’ai accepté un rôle que beaucoup n’accepteraient pas”.

Projeté au festival de Cannes le 8 mai 1987, le film Yeelen  a créé la sensation et démontré que le Mali a une culture. L’acteur principal Issiaka Kané devint du coup la vedette de l’événement cinématographique. Le journal français “Libération” réalise un reportage sur lui, ainsi que la télévision cambodgienne, d’autres cinéastes présents à Cannes décident de collaborer avec le jeune comédien.

A son retour au Mali, le président Moussa Traoré lui décerne la médaille du Mérite national avec effigie abeille. En un mot, une nouvelle page de son histoire s’ouvre. Coup sur coup, il est sollicité pour tourner dans une dizaine de films : court métrage de la réalisatrice canadienne Monique Crouyèr en 1991 , la Lumière du Mauritanien Med Ondo, un film qui retrace le calvaire des 106 réfugiés maliens refoulés de la France en 1993 , la Genèse de  Cheick Oumar Sissoko, Fantan fanga du Burkinabé Adama Drabo (1996)  “Yirimogoni”, un film brésilien  tourné dans trois pays ( Mali, Espagne, Brésil), Dah Monzon de Lamine Diabaté ( 2010), Toile d’Araignée ( 2016), Cheïtane d’Alfousseyni Kouyaté tourné cette année.

Cependant, nous avons été moralement aplatis en découvrant ce parcours du comédien Chakaba et savoir aujourd’hui qu’il vit dans la galère.

Qu’est-ce qu’il a gagné dans sa vie d’artiste ? Qu’est ce qui explique sa situation misérable actuelle ? Eu égard à tous ces paramètres de sa vie regrette-t-il d’avoir choisi cette noble profession ? Est-il prêt à redevenir artiste si c’était à refaire ?

Chakaba répond : “Ne soyez pas surpris par mon état actuel après un tel parcours. Souvenez-vous seulement de Balla Moussa Kéïta et pensez à la manière dont il est décédé, dans l’anonymat total. Qu’est-ce qu’il n’a pas fait pour l’art malien. Mais il n’a pas eu les retombées conséquentes de son talent. Je ne saurai dire que l’art ne m’a pas rapporté quelque chose dans ma carrière d’artiste. J’ai fait le tour du monde avec les différents réalisateurs. J’ai marqué les esprits dans toutes mes prestations. Seulement, je ne négociais pas les contrats, je me contentais de ce qu’on me donnait. Seule la Canadienne m’a remis une somme à la mesure de mes prestations. Je ne suis pas intransigeant, parce que j’aime l’art et le drapeau du Mali, plus que tout au monde. Je ne regrette pas d’être artiste, et si c’est à refaire, je choisirais toujours l’art. Le Mali a délaissé son art, c’est pourquoi nous sommes dans des problèmes inter ethniques”.

Chakaba, comme évoqué plus haut, ne jure que par l’art. Le côté paradoxal  de son talent qui aurait dû être un alibi pour se  tourner  vers autre chose, est loin d’être un facteur de découragement. Il continue toujours de servir l’art, et a créé plus de quinze troupes à travers Siby, Kati, Ségou, Mopti. A chaque fois qu’il a un peu de moyens, il se déplace pour faire l’état des lieux. En plus, il coordonne le groupe de ses enfants. Son premier garçon est un as dans le maniement de la Kora, le cadet joue tous les instruments.

Quelles sont ses activités ces derniers temps ? Qu’est-ce qu’il envisage pour l’avenir ?  Réponse : “Aujourd’hui, je consacre ma vie à l’entretien du marigot, et je veille sur l’école qui donne dos à mon petit territoire. Parce qu’il arrive que des jeunes mal intentionnés volent les fenêtres, ou portes de l’école, et à plusieurs reprises je les ai interceptés pour leur retirer le butin, pour le restituer aux gardiens des écoles. Pour rendre hommage à ma femme, j’organise chaque année le Festival du Marigot. Parfois, j’initie des Journées de salubrité dans mon quartier. Je me rappelle avoir invité dans le temps le maire de la Commune IV et ancien Premier ministre Moussa Mara. Ce jour, il était content d’avoir été en contact avec la population. Il a beaucoup apprécié ma démarche. C’est pourquoi depuis ce jour il m’appelle ” Monsieur Propre, ou Assainissement “.  Pour l’avenir, je projette de créer une école de danse, pour magnifier l’art malien, qui mérite d’être soutenu”.

Issiaka Kané né le 26 novembre 1963 à Bamako  est marié, avec des enfants. Ses deux premières filles sont mariées. Il nous confie que ses enfants s’occupent bien de lui.

La seule chose qui lui fait mal aujourd’hui c’est l’indifférence des autorités maliennes vis-à-vis de l’art malien et des artistes. Sa préoccupation est la cohésion de la jeunesse. Il déteste l’injustice.

O. Roger Sissoko

Source: Aujourd’hui-Mali

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