L’histoire du jardin d’enfants du coach Ben Oumar Sy nous a été racontée dans le cadre de cette rubrique. Elle est passionnante et met en évidence l’audace d’un technicien qui a également laissé une empreinte digitale dans les annales de l’histoire du football malien. Pour avoir le cœur net et une explication détaillée des faits, nous sommes allés à la rencontre d’Issa Yattassaye, un fruit de la pépinière de l’ancien entraineur du Stade malien de Bamako et des Aigles du Mali. L’homme n’avait pas ce physique impressionnant, mais il était un artiste. De Yaoundé 72 à Noisy FC le Grand en France, il revient sur sa carrière et explique comment est venue l’idée du jardin d’enfants de Ben Oumar Sy.
Issa Yattassaye était de la campagne de la Coupe d’Afrique des Nations de Yaoundé 1972. Mais dans la capitale camerounaise, on a accusé l’entraineur allemand des Aigles, Karl Weigang, d’avoir manqué de courage et même de fermeté pour titulariser une fin technicienne. La seule fois où il a voulu le mettre sur la feuille de match, des voix se sont élevées pour dire qu’il est un faiblard. Et selon Yattassaye, c’est là où Ousmane Traoré dit Ousmanebleni s’est rebellé pour dire qu’il est inconcevable, sinon incompréhensible que Yattassaye évolue dans le championnat malien, qu’il soit sélectionné pour la CAN et qu’on vienne raconter des balivernes, pour mettre en cause son physique. Sans doute, il voulait argumenter que le football n’a pas besoin d’un physique de catcheur ou de boxeur pour s’imposer. Les choses en resteront là ; Issa Yattassaye aura été un touriste de la CAN. C’est-à-dire qu’il n’a pas joué un seul match à Yaoundé.
Exacerbé par cette attitude de l’encadrement technique qu’il a qualifiée d’injustice, Yattassaye opta pour une décision radicale : tourner le dos à l’équipe nationale. Mais, Ben Oumar Sy a vite réagi dès le retour des Aigles, en l’invitant à domicile pour lui dire de ne pas se laisser emporter par la colère. Et surtout qu’il évite de poser des actes pouvant le rattraper à l’avenir. Le seul fait qu’il soit sélectionné pour la CAN prouve à suffisance qu’il a des qualités. C’est le maître qui a parlé à son élève. Issa Yattassaye se résigne et administre la preuve à ses détracteurs quelques mois après la CAN. C’était le 7 mai 1972 à Bamako contre la Tunisie, à la faveur des éliminatoires des Jeux olympiques, Jeux de la XXe olympiade de l’ère moderne, célébrés à Munich, en République fédérale d’Allemagne, du 26 août au 11 septembre 1972. Titularisé, Issa réalise un grand match et marque même le deuxième but malien. Coup d’essai, coup d’éclat, dès lors il porte les galons de titulaire contre la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Sénégal, la Gambie. Il n’aura quitté les rangs de l’équipe nationale qu’avec son départ pour la France en 1974, où une blessure impactera la suite de sa carrière. Avant de parler de son aventure française, revenons en arrière pour parler de ses débuts au Stade malien de Bamako.
C’est en 1968 qu’il rejoint la famille blanche, après des débuts prometteurs dans le quartier de Dravela où Flèche noire menait la cadence. Quand il a décidé de jouer au Stade malien de Bamako, un dirigeant du nom de Sidi Diarra le déconseilla au motif que l’équipe regorgeait de talents et il n’était pas évident qu’il s’y fasse un chemin. Pour avoir été découragé dans sa tentative, Yattassaye va au COB, mais sera vite rappelé par celui-là même qui l’avait empêché d’aller au stade. Avant d’accepter la main tendue de Sidi, il s’est permis de lui rappeler ses propos. Son ainé n’engagea pas la polémique avec lui. Il le convainc seulement de ne plus signer la licence avec le COB, parce que son avenir se trouve désormais au Stade. On le présenta à Ben Oumar Sy, comme un jeunot plein de talent et d’avenir. Ben ne manqua pas de mots pour lui garantir toute son assistance. Ainsi, il intégra la catégorie de jeunes des Blancs de Bamako. C’est à partir de ce moment que son destin s’est dessiné dans la famille blanche. Les mauvais résultats enregistrés par le Stade malien devinrent un casse-tête pour l’entraineur Ben Oumar Sy. La seule solution dans son analyse le fait penser aux juniors, d’où l’appellation de ” Jardin d’enfants “. Parce que cette catégorie de jeunes paraissait trop faible, pour remédier à une situation immédiate. Et les supporters n’étaient pas du tout d’accord avec la nouvelle politique de leur entraineur. Mais le technicien avait sa conviction et personne ne pouvait le dérouter.
Dans sa nouvelle option, il n’a pas totalement jeté les jeunots dans la gueule du loup. Il leur faisait évoluer de temps en temps dans l’équipe B. Finalement, il décida de rajeunir l’équipe et Issa Yattassaye se retrouva avec les Mamadou Kéïta dit Capi, Cheick Diallo, Rafan Traoré, Mamadou Bah, Modibo Sissoko, Bagnamé Sylla, Tiémoko Sinaté, Yacouba Samabaly dit Calin. Décision certes courageuse, mais elle a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Les dirigeants et les supporters ont exprimé leur désapprobation. Ils estimaient que les jeunes n’étaient pas encore mûrs pour la haute compétition.
Pour sa part, Issa Yattassaye n’avait pas beaucoup de soucis à se faire pour deux raisons : d’abord, il avait les qualités requises pour s’imposer, ensuite le cas du jardin d’enfants de Ben Oumar Sy auquel il appartenait était pour le technicien un baroud d’honneur. Donc, en aucune manière, il ne pouvait demeurer orphelin dans la famille blanche ou souffrir d’une mise en touche au sein du groupe.
Avec le Stade, il remporta deux coupes du Mali (1970 et 1972) et disputa des éliminatoires de coupe d’Afrique des clubs champions dont un quart de finale. Mais, coup de massue pour le Stade : en 1974, le départ de Yattassaye, Moussa Traoré dit Gigla, Mamadou Fané, Cheick Diallo, Mamadou Keïta dit Capi va provoquer une saignée énorme au sein du club.
Le coup de pouce de Tiécoro Bagayoko
Comment a-t-il pu partir en France, quand on sait qu’une consigne politique interdisait à tous les joueurs internationaux de sortir du pays ? Cette volonté des autorités avait pour but de préserver le leadership au sein de l’équipe nationale. Issa Yattassaye se rappelle bien comment il a pu contourner cette décision. “Les passeports étaient entre les mains de Karounga Keïta dit Kéké, qui était absent du pays au moment où j’ai décidé d’aller en France. C’est ainsi que j’ai pris mon courage à deux mains pour aller voir Tiécoro Bagayoko et lui faire part de mes intentions de m’exiler dans l’Hexagone. Il m’a remis une note pour un policier, lequel m’a rapidement délivré un passeport. J’ai commis l’erreur de le montrer à Sidi Diarra, parce qu’il informera le comité directeur du Stade malien. Personne n’est d’accord, le général Amadou Baba Diarra m’a même promis du boulot. Une fois de plus, le sens élevé de Ben Oumar Sy triompha et il plaida pour ma cause. Mieux, il demanda à Bakoroba Touré dit Bako de m’envoyer un certificat d’hébergement. Avec ce document, j’ai quitté le Mali et je me rappelle encore, comme si c’était hier, que les dirigeants stadistes m’ont remis de l’argent comme frais de route“.
Au-delà du geste appréciable de Tiécoro Bagayoko, comment des stadistes ont-ils pu dire qu’il a organisé de façon délibérée le départ de Yattassaye pour affaiblir davantage le Stade, mais aussi faire mal aux dirigeants et supporters ? L’intéressé lui-même ne fait pas assez de commentaires. Tout ce qu’il sait, l’ancien directeur des Services de Sécurité a agi dans le bon sens à un moment où lui Issa Yattassaye en avait le plus besoin, pour réorienter sa carrière et son avenir. Bref il évite de tomber dans des commentaires stériles. Contrairement aux autres, Issa Yattassaye, en décidant d’aller en France, a fait un saut vers l’inconnu. Autrement dit il n’avait aucun repère. Une fois dans l’Hexagone, il loge chez Bakoroba Touré qui lui trouve le T.A.F (Troyes Aube Football), avec comme avant-gout un contrat stagiaire professionnel de deux ans.
En 1976, il quitte le statut de stagiaire pour signer un contrat professionnel. Au club T.A.F, il évoluait avec deux autres Maliens, en l’occurrence Cheick Diallo et Moussa Traoré dit Gigla. En plein festival dans l’attaque de Troyes, il se fractura le tibia en 1979. Un choc qui joua sur sa carrière, surtout que d’autres clubs l’avaient contacté pour la nouvelle saison.
Son deuxième souci commença lorsque son rétablissement coïncida avec la descente de l’équipe en deuxième division. Elle a été poussée dans la disgrâce pour des raisons financières. Finalement, Issa Yattassaye transfère au Gap Fc des Alpes de Haute Province pour deux ans (1983 à 1985). Il prendra sa retraite dans une équipe de division d’honneur, le Noisy le Grand. Le mal du pied, conséquence de sa fracture, devenant plus régulier, finalement, il décide de raccrocher les crampons.
Finie la carrière de football, il faut maintenant se faire une nouvelle vie. Yattassaye ne rentre pas au pays et reste en France pour travailler. Les nombreuses années passées lui ont permis de se tisser des relations. C’est en 1996 qu’il met également fin à son aventure pour rejoindre le bercail et mener son propre business. Il ouvre un magasin d’articles sportifs.
Son éloignement du monde footballistique s’explique par les nombreux problèmes qui entourent le football. Selon lui, le football malien ne peut être géré par des gens qui ne connaissent rien de la discipline. Il ne se laisse pourtant pas rongé par la crise du football malien. A chaque fois que son cœur a tendance à balancer, Yattassaye se replonge dans les bons souvenirs de sa carrière, notamment le jardin d’enfants de Ben Oumar Sy, tout ce temps avec l’Allemand Karl, le séjour du trio malien (Cheick Diallo, Gigla et lui-même).
Sa blessure qui a freiné en quelque sorte son élan demeure à présent un mauvais souvenir pour lui, donc il ne saurait y ajouter les soucis de la crise du football malien.
Mais Issa Yattassaye est convaincu que personne ne fera ou ne donnera vie au football malien plus que les acteurs.
O. Roger SISSOKO
Source: Aujourd’hui-Mali