Soungalo Samaké a été pendant longtemps un élément influent et déterminant du Comité militaire de libération nationale (Cmln) pour sa bravoure doublée d’une promptitude à toute épreuve à exécuter les missions secrètes du régime. Formé à Dakar et devenu commando parachutiste redoutable, il rejoindra l’armée malienne après l’indépendance. Artisan du coup d’Etat militaire de novembre 1968 contre le régime de Modibo Keïta, premier président du Mali, Soungalo dirigera par la suite le Régiment des Commandos Parachutistes (RCP) de Djicoroni Para jusqu’à son arrestation en février 1978. Accusé de complot contre la sureté nationale, il sera jugé et déporté à Taoudénit où il purgera une peine de dix ans de travaux forcés. Après sa libération en 1988, il s’installa dans son village natal, Dioïla, à 160 km de Bamako et consacre désormais sa vie à l’élevage au milieu de ses enfants et petits enfants. Le capitaine Soungalo Samaké n’a rien perdu de ses convictions et reste attaché au RCP. Ce qui l’a poussé d’ailleurs à monter à Kati, en 2012, pour dire au capitaine Amadou Haya Sanogo de sursoir à la suppression de la Compagnie para. Nous avons rencontré l’ex commandant d’unité du RCP dans son fief à Dioïla où il savoure une retraite bien méritée. Qu’est-ce qui explique sa témérité d’antan ? Regrette-t-il d’avoir contribué pleinement à l’arrestation de l’ex président feu Modibo Keïta ? Quelles sont ses relations avec le général Moussa Traoré qui a été à l’origine de sa disgrâce ? Quel regard sur l’armée malienne ? Le commando parachutiste, héros du jour de votre rubrique préférée ” Que sont-ils devenus ? “, n’use point de détours pour répondre à toutes ces questions.
Arrivés à Dioïla à 09h 07mn, nous fûmes accueillis puis confortablement installés dans le salon par Mariam Diarra, la première épouse du capitaine Soungalo Samaké. Oui, celle qui préparait les repas de l’ex président Modibo Keïta quand celui-ci était en détention au camp para de Djicoroni. Quelques minutes après, le capitaine vint nous souhaiter la bienvenue avec tous les honneurs. Premier constat qui tape à l’œil : ce n’est plus le commando parachutiste qui défrayait la chronique au temps du Cmln, n’hésitant pas à bondir sur n’importe qui pour le neutraliser. Les dix ans de travaux forcés au bagne de Taoudénit et l’âge ont eu raison de sa vivacité et de son dynamisme. Néanmoins, malgré ses 84 ans, Soungalo demeure solide avec une vision impeccable et une mémoire fine, pour narrer toute sa vie au détail près.
Ami pour la vie d’ATT
A peine le capitaine eut fini de nous tendre sa main que nous lui signifiâmes notre étonnement de voir le poster géant de la photo de l’ancien président Amadou Toumani Touré. Notre interlocuteur répond sans équivoque qu’ATT est plus que son frère pour avoir été son adjoint et son remplaçant comme commandant d’unité au camp para. Cette relation de notion hiérarchique a créé une confiance mutuelle entre les deux officiers. Mieux, poursuit-il, quand sa maman est décédée pendant que lui Soungalo était en détention, ATT s’est occupé de toutes les funérailles. Des faits inoubliables. Aujourd’hui encore, ils se téléphonent régulièrement.
Nous étions jeunes au temps du Cmln, mais notre entourage parlait quotidiennement des dignitaires du régime de l’époque, mais plus précisément d’un homme, le capitaine Soungalo Samaké, qu’on surnommait “Camp para Soungalo”. Il était redoutable et ne reculait devant rien. Lors des événements du 28 février 1978 (date de l’arrestation de la Bande des trois & consorts du Cmln), pour l’arrêter il a fallu qu’on lui tende un piège indétectable et imparable. Lui-même, dans son livre “Ma vie de soldat”, révèle qu’il a été pris bêtement. Comment ? Nous en parlerons plus bas.
L’adolescence de Soungalo a été marquée par des déboires et de mauvais traitements, de la part des maîtres d’école et de son frère. Après un échec au Certificat d’Etudes Primaires en 1949, il n’était plus prêt à retourner à l’école, pour éviter l’enfer de ses formateurs. Il s’en va chez son grand frère à Markala, où il décrochera un petit boulot auprès de l’Administration coloniale. Confronté à une jalousie maladive de son tuteur, le jeune Soungalo rejoint Niono en 1953. Après quelques mois comme magasinier à la quatrième unité de culture de l’Office du Niger, Soungalo décide de s’engager comme volontaire dans l’armée. Cela s’est passé à un moment où les jeunes fuyaient la tenue, à cause des guerres en Indochine et en Algérie. Et c’est à sa juste valeur que l’administrateur coloniale a apprécié le courage du jeune Samaké. Mais, il n’a pas l’âge requis pour intégrer l’armée. Il a tellement insisté qu’on finira par l’admettre un jour du 12 janvier 1953.
Après la formation militaire à Ségou, Soungalo assoira son niveau entre le Sénégal, le Maroc et l’Algérie. A l’indépendance du Mali en 1960, il rentre au bercail pour former l’armée malienne.
Contre toute attente, sur le lot de militaires rapatriés, la hiérarchie ne choisit que trois et les autres sont renvoyés au champ. Après une année de vie civile, Soungalo est rappelé à l’activité pour être nommé au Congo comme attaché militaire. Il décline l’offre, puis une deuxième fois quand le même poste lui fut proposé pour la Guinée. Exacerbé par les agissements de son subalterne, le commandant Tiémoko Konaté lui demande ce qu’il veut réellement dans sa vie. Et Soungalo de répondre qu’il est un commando parachutiste, prêt à servir à la Compagnie para. C’est ainsi qu’on l’affecta dans cette unité dirigée à l’époque par le lieutenant Amara Danfaga. Mais ses relations avec son commandant d’unité se détériorent. Conséquence : l’affectation de Soungalo au champ de Samanko. Même là, ses qualités de commando rompu à la tâche finiront par convaincre Danfaga à le nommer adjoint de la compagnie. Dommage qu’au cours d’un saut de meeting sur Nioro en 1963, l’hélice de l’avion lui arracha une partie de sa tête. A présent, ses cicatrices sont visibles, et il ne s’est pas gêné de nous autoriser à toucher la partie endommagée il y a de cela 55 ans. Après une première intervention au Mali, les autorités décident de l’évacuer sur la France, à l’hôpital de Passy de Paris où tout a été mis en œuvre afin qu’il soit sauvé et demeuré le vrai soldat tel qu’on l’a connu. Effectivement, tout s’est bien passé et Soungalo retourna au Mali pour reprendre service.
Le préposé aux missions secrètes
Puisque les soldats qui avaient servi sous le drapeau français pendant plus de huit ans ne devaient pas bénéficier de pension à leur retraite, pour éviter de les jeter dans la rue, le gouvernement crée une unité de production dans la région de Sikasso, pour caser ces malheureux militaires. Soungalo Samaké qui devait faire partie du lot a trouvé des arguments valables pour convaincre Amara Danfaga. Mais en réalité, avec les Moussa Traoré, Tiécoro Bagayoko, Kissima Dougara et autres, ils avaient mûri l’idée de fomenter un coup d’Etat contre le régime du président Modibo Keïta. Danfaga, qui avait des relations à travers sa femme avec Modibo, ne pouvait être informé du projet, surtout qu’il a condamné avec la dernière rigueur la chute de Kwame Nkrumah au Ghana.
Les jeunes officiers profitèrent de son voyage sur la France pour les festivités du 14 juillet pour se concerter et peaufiner un plan d’exécution. Ils trouveront comme alibi la crise économique à laquelle était confronté le pays, les mauvaises conditions de vie et de travail des militaires et les excès de la milice, pour s’emparer du pouvoir.
Le Cmln promet plus de liberté et des élections démocratiques pour ensuite rentrer dans les casernes. Mais ses membres ne s’entendront pas sur la gestion du pouvoir et le premier clash viendra du clan du capitaine Diby Silas Diarra.
D’après Soungalo, Diby était un militaire très bien formé, valeureux, qui avait de la peine à digérer que Moussa Traoré le commande. Sous la forme d’une tentative de coup d’Etat, en complicité avec d’autres jeunes officiers, il manifesta sa désapprobation vis-à-vis du Cmln. Leur arrestation confiée au régiment des commandos parachutistes fut le véritable baptême de feu de Soungalo. Cet incident entre les novices dans la gestion administrative du pays n’était que le début d’une révolution de palais et de règlements de compte. L’adjudant Soungalo Samaké, de par sa formation, son audace et sa bravoure est utilisé pour exécuter les missions secrètes du Cmln qui faisait face à une fronde non seulement au sein de l’armée, mais aussi dans le milieu intellectuel. De nombreuses tentatives de coup d’Etat seront déjouées, des intellectuels comme Victor Sy, Héla Diallo, Sidiki Diarra, Germaine Diarra, Bakary Konimba Traoré, Cyr Mathieu, sont arrêtés et torturés au camp para de Djicoroni, sous la houlette du puissant Soungalo.
Promu au grade de capitaine en 1974 et nommé commandant de la garde présidentielle, Soungalo a le plein pouvoir pour forcer l’amour du Cmln. Homme de confiance du président Moussa Traoré et ami personnel de Tiecoro Bagayoko, même quand l’ancien président Modibo Kéïta a quitté Kidal où il était détenu, c’est Soungalo qui l’a accueilli au camp para.
La chute !
A la question de savoir si réellement il a ressenti, à un moment donné, des regrets pour avoir participé à l’arrestation de Modibo Kéïta, le capitaine Soungalo soutient qu’un vrai militaire ne regrette jamais son acte. En tant qu’humain, il peut avoir éprouvé un sentiment pour l’ex président, mais pas de regret. Malheureusement, au sommet de son art, Soungalo chuta en février 1978. Accusé de complot contre la sureté nationale, il est arrêté avec beaucoup d’officiers dont son ami Tiécoro Bagayoko, et Kissima Doukara, Charles Samba Sissoko, Karim Dembélé et autres. Jusque-là, il clame son innocence et dit qu’il n’a jamais eu l’intention de tenter quoi que ce soit contre le président Moussa Traoré. Si c’était le cas, l’action n’aurait jamais échoué, parce que ce sont ses hommes qui assuraient la garde de Moussa.
Dans cette affaire, lui-même reconnait qu’il y avait une atmosphère de confusion au sein du Cmln, surtout entre Tiécoro, Kissima et Moussa. Vu la position de Soungalo, en sa qualité de commandant d’unité du Rcp, et ami personnel de Tiécoro, Moussa est parvenu à la conclusion que le danger rôderait même au cas où Tiécoro serait neutralisé. Il fallait donc se débarrasser du capitaine aussi. Pourtant, Soungalo a été informé de son arrestation imminente par un charlatan et son seul salut résidait dans la torture d’un crapaud. Mais très sûr de lui-même, il refuse de faire du tort à un animal innocent et pire, il ne prend aucune autre disposition. Alors, comment est-il tombé si facilement, alors qu’il avait rétorqué à “l’homme de Dieu ” que quiconque tenterait de l’arrêter, prendrait une balle dans la tête le premier?
A cette question, le capitaine Soungalo demande si le poisson peut s’échapper des petites mailles d’un filet fin ? Quarante ans après, il revient sur la technique employée par ses bourreaux pour le mettre aux arrêts.
“Le jour de mon arrestation, c’est le président Moussa Traoré en personne qui m’a demandé de le rejoindre à son bureau. Entre lui et moi, il régnait une confiance mutuelle absolue. J’étais son homme de main. Donc, je ne pouvais pas du tout douter de Moussa. Arrivé au Comité, j’ai laissé toutes mes armes dans le véhicule, parce que convaincu que rien ne pouvait m’arriver là. Déduction fatale ! Une fois dans son bureau et en pleine causerie, Filifing vient me demander d’aller patienter dans le bureau de Youssouf Traoré, le temps que le président reçoive un ambassadeur. Youssouf m’accueille et me montre un fauteuil en face de lui. Je m’assieds, dos à la porte. Quelques instants après, mon hôte se lève et me dit qu’il va voir si Moussa a fini son audience avec l’ambassadeur. En sortant, il me tend un journal à lire ; certainement une façon de me distraire. Deux à cinq minutes seulement après, une corde est subitement nouée autour de moi, suivi de tirs. Du coup, je me retrouve par terre, attaché à la chaise. Le temps que je réalise ce qui m’arrive, des soldats se sont jetés sur moi pour m’attacher”.
Ce piège sonne la fin du règne du capitaine Soungalo Samaké, et ce jour, il se rappelle avoir dit que “l’homme propose, Dieu dispose”. La suite est connue : Soungalo et tous les autres seront jugés et envoyés au bagne de Taoudénit où ils retrouveront certains de ceux qu’ils avaient envoyé dans cette prison dix ans plus tôt, à l’image de Samba Sangaré qui bouclait ses 10 ans de travaux forcés. D’ailleurs, Soungalo écopa de dix ans de travaux forcés.
Officier dur à cuire, il supporta tous les sévices et recouvra la liberté le 12 août 1988. L’émotion nous a envahis quand il a parlé de son retour dans sa famille où sa femme Mariam Diarra, dépassée par l’émotion et la joie, n’a pu rien faire que de montrer aux enfants leur père.
Après dix ans de souffrance, c’est une autre phase de la vie qui commence pour le capitaine Soungalo. Puisque les Charles Samba Sissoko libérés avant lui, ont attaqué devant la Cour suprême le décret qui a cassé leurs grades, ont eu gain de cause, donc ils ont tous été remis dans leurs droits, c’est-à-dire leur grade, la pension et autres avantages. L’ancien commandant de compagnie du Rcp s’installa dans son village natal, Dioïla. Il mène actuellement une vie paisible avec ses enfants et petits-enfants. Ses préoccupations en dehors des heures de prières à la mosquée, demeurent l’élevage et le champ. Chaque matin, une fois qu’il termine l’alimentation de ses animaux, il s’engouffre seul dans sa Mercedes, direction le champ où il joue le rôle de coordinateur pour cadrer ses enfants et petits-enfants.
Quelles sont ses relations avec Moussa Traoré ? Rien de particulier, répond-il, et depuis qu’il a été arrêté jusqu’à ce jour, ils ne se sont pas vu, ni téléphoné. Paradoxalement, Soungalo dit qu’il pardonne à Moussa Traoré et à tous ceux qui lui ont causé du tort dans cette affaire. Il lie les choses au destin. Ce qui est sûr et indéniable, c’est que Moussa s’est trompé en l’arrêtant. Lui Soungalo demeure un vrai bambara qui ne trahit jamais.
Partage-t-il le même avis que Moussa Traoré sur l’armée malienne à l’état actuel des choses ? A titre de rappel, l’ancien président a donné une interview à nos confrères de TV5 et il s’est prononcé sur divers sujets dont la déliquescence de l’armée malienne après son départ. Il estime que l’armée malienne d’aujourd’hui n’est pas celle qu’il a laissée en 1991 et que la présence des forces étrangères sur notre territoire est une grosse honte pour le Mali. Sans pour autant avoir le même avis que l’ex président, le capitaine Soungalo dit que pour parler de deux choses, il faut avoir une certaine connaissance d’elles. Autrement dit, il connait l’armée quand le Mali était indépendant, mais pas aujourd’hui au moment où le pays est sous tutelle.
Nous n’avons pas pu quitter le capitaine sans lui poser la question sur sa témérité. Comment s’est-il forgé une notoriété au sein du Cmln et de la population ? Pourquoi avait-il une audace face aux missions secrètes, mais souvent difficiles ? Soungalo répond : “On ne meurt qu’une seule fois dans la vie. Je ne peux pas faire la guerre en Algérie, en Indochine et avoir peur de qui que ce soit. Le 19 novembre 1968, si j’avais eu peur ou si j’étais complexé, le coup d’Etat aurait échoué parce que vous savez bien le rôle que j’ai joué”.
Avec le recul et malgré ses 84 ans, l’intrépide capitaine Soungalo Samaké reste attaché au régiment des commandos parachutistes. Et quand le capitaine Amadou Haya Sanogo avait décidé de supprimer le Rcp, il s’est déplacé jusqu’à Kati pour lui dire de ne même tenter cette mauvaise aventure, au risque de décrédibiliser l’armée malienne.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui Mali