Des dizaines d’étudiants suivant les cours depuis l’extérieur des amphis, faute de place, l’image n’est pas rare et traduit une réalité partagée par plusieurs facultés du Mali : l’insuffisance des structures d’accueil. Si l’on y ajoute un corps enseignant insuffisant et souvent peu outillé et des étudiants peu motivés, difficile « de faire des miracles dans ces conditions », selon certains acteurs. Plus de vingt ans après sa création, l’université malienne doit encore relever d’énormes défis pour former des cadres compétitifs.
Créée dans un contexte « d’éducation de masse », l’Université du Mali a été fondée sans les préalables nécessaires à son bon fonctionnement. « Cette décision politique », qui a entraîné un bouleversement du paysage, imposait d’accueillir des milliers de jeunes sans les infrastructures et le personnel d’encadrement indispensables pour assurer la formation. À ces défis logistiques s’ajoutait un énorme problème de gouvernance, caractérisé par des jeunes de moins en moins intéressés par les questions de formation. Pour réussir dans un tel contexte, il fallait donc envisager une « amélioration drastique et rapide de la situation », explique le Professeur Kissima Gakou, Doyen de la Faculté de Droit Privé (FDPRI). Face à ce qu’il n’hésite pas à qualifier « de grosse pagaille », il a fallu prendre des mesures radicales. « Nous avions des étudiants fictifs. Un système parallèle généralisé, juste pour l’argent. Nous avons radié près de 4 000 étudiants ». Outre les étudiants fictifs, ceux qui avaient d’autres préoccupations que les études n’avaient pas non plus leur place dans l’espace scolaire. Ainsi pour circonscrire la violence, des commissions d’instruction ont été mises en place et les décisions des conseils de discipline ont exclu de l’espace universitaire les étudiants convaincus d’actes de violence ou contrôlés en possession d’armes.
La formation continue, gage de qualité
Mais assainir l’espace scolaire suppose de « reprendre la main » sur tous les aspects, notamment la formation des enseignants, pour atteindre la qualité souhaitée. Alors que le ratio préconisé par l’UNESCO d’un enseignant pour 25 ou 30 étudiants est largement dépassé au Mali, la qualité des enseignants est également en deçà des attentes. À l’origine de ce phénomène, plusieurs facteurs, dont l’insuffisance de financements. « L’enseignement supérieur n’a pas bénéficié de beaucoup de financements ces derniers temps. L’essentiel était de maintenir le calme. Et que les étudiants ne sortent pas », note le Professeur Bouréima Kansaye, Vice-recteur de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques (USJP). Pendant ce temps, c’est le premier pilier de l’enseignement supérieur qui en devient le parent pauvre. Or « un enseignement supérieur sans recherche scientifique ne fait que répéter les résultats de la recherche effectuée ailleurs et souvent inadaptés à nos réalités », déplore le Vice-recteur.
Et, pour garantir cette qualité, il faut instaurer une véritable culture de la formation continue. Et aussi faire en sorte qu’après le « doctorat, il faille faire la recherche avant d’enseigner ». Cette « obligation de s’enrichir pour enrichir » passe par une « valorisation du savoir ». Il faut également vulgariser les résultats de la recherche afin d’inciter la jeune génération à vouloir prendre le relais.
Indispensable sélection
Mais il faudra du temps pour aboutir à une université où les jeunes étudiants, plus « portés actuellement par des considérations matérielles », prendront le relais. Ce changement ne sera obtenu qu’à la condition de renoncer à « la démagogie de masse », selon le Professeur Hamidou Magassa, anthropologue et enseignant du supérieur durant plusieurs années. Cet ordre d’enseignement n’a pas échappé à « la dictature du social » ou à la « peur collective d’assumer la compétition et où la qualité est même négligée », soutient le Professeur Magassa. Pourtant la sélection est indispensable si l’on veut obtenir la qualité. Mais « cette incapacité » à gérer les flux au niveau du supérieur n’est pas le seul mal qui gangrène et menace la qualité de la formation. Il faut réintroduire l’éthique et le sens des valeurs qui semblent abandonner l’espace scolaire depuis plusieurs années. En effet, « le rapport à l’école a été faussé avec l’arrivée de l’Association des élèves et étudiants (AEEM) au pouvoir », note le Professeur Magassa. « Le fil de l’école a été perdu avec la recherche du pouvoir » et cette politisation à outrance de l’espace scolaire a entraîné une omniprésence de l’AEEM, qui « a son mot à dire sur toutes les questions qui concernent l’école ».
Sans nier l’impact nocif que peuvent avoir les « considérations souvent matérielles » des actions de cette association corporatiste, certains acteurs préconisent plutôt des rapports de complémentarité, l’université « étant un tout » et les intérêts des étudiants n’étant en principe pas contradictoires avec ceux de l’enseignement.
S’ils admettent que la gestion des flux ne se fera pas de « façon miraculeuse », les acteurs affirment qu’elle doit se faire de manière progressive et « rationnelle ». En effet, « ce n’est pas parce que nous avons trop d’étudiants, mais parce que nous n’avons pas assez d’infrastructures », relève le Professeur Lassana Diakité, Directeur général de l’École Supérieure de Journalisme et des Sciences de la Communication (ESJSC). Pour atteindre la masse critique de cadres nécessaire à notre développement, il faut « mettre l’accent sur les filières professionnelles en lien avec les besoins de notre économie », souligne le Professeur Diakité.
Vision globale
Mais les problèmes de l’enseignement supérieur ne peuvent trouver leur solution que « dans une vision holistique », où il existe un lien entre les différentes chaînes de l’enseignement, du préscolaire au supérieur, tel que le suggère le nouveau Programme Décennal pour l’Éducation (PRODEC), actuellement en cours de validation. C’est pourquoi « il faut investir dans les filières porteuses, surtout au niveau du secondaire », ajoute le Professeur Diakité, ajoutant qu’il s’agit d’une vision politique dont la mise en œuvre peut prendre du temps.
Envisager la création de niveaux d’enseignement supérieurs dans les régions, en lien avec les besoins et opportunités dans ces localités, est également une alternative pour absorber les flux et permettre un développement plus équilibré.
Si elle fut l’une des premières institutions de l’université au Mali, la Faculté de médecine n’en demeure pas moins affectée par les maux qui affectent la qualité de l’enseignement supérieur au Mali. Parmi eux, les effectifs pléthoriques, surtout en première année, où on compte « à ce jour 3 000 étudiants pour 2 amphithéâtres d’une capacité de 600 étudiants », précise le Professeur Yacouba Toloba, chef du Département Études et Recherche (DER) Médecine et spécialités médicales de la Faculté de médecine et de pharmacie. Une situation qui oblige les étudiants à écouter les cours de l’extérieur des amphithéâtres ou à se contenter des notes de leurs camarades. Une réalité qui affecte doublement la qualité, par le non respect du ratio professeurs / étudiants et la mauvaise qualité de rétention des derniers cités.
Pour y remédier, les acteurs « se concertent sur la nécessité de l’application des critères déjà en vigueur », selon le Professeur Toloba. En plus de ces critères, relatifs à l’âge, à la mention obtenue au baccalauréat et à la spécialité étudiée, il faut envisager un concours d’entrée à la faculté pour « recruter le nombre d’étudiants dont on a besoin et qu’on est sûr de pouvoir former », ajoute le chef de DER.
Malgré ces difficultés, la Faculté « peut être la vitrine » de l’enseignement supérieur, car « elle a fourni beaucoup d’efforts mais veut aller plus loin ». Elle se réjouit surtout « que ces dernières années plusieurs professeurs issus de ses rangs affrontent les compétitions internationales et reviennent lauréats ». Une culture de l’excellence que veut aussi incarner la FDPRI à travers des « conventions de formation avec l’université de Paris I » et des « codirections de thèse », expliquent ses responsables.
Une bonne dynamique est en tout cas en œuvre avec « le bac, qui devient sérieux », souligne le Vice-recteur de l’USJP. Outre la diversification des offres de formation et des améliorations dans la gouvernance, le respect de la déontologie est également à mettre au crédit des acteurs. « Les ventes de notes sont de moins en moins à la une et l’application des règlements intérieurs, ainsi que la formation d’une bonne centaine d’enseignants », sont autant de motifs de satisfaction.
Journal du mali