L’image échappe difficilement aux usagers de la circulation routière dans notre capitale. Des hommes à vélo, aux porte-bagages surchargés de plats superposés, sont visibles surtout sur la route de Koulikoro ainsi que sur l’avenue de l’OUA. Pour la plupart, ils convergent vers le Grand marché entre 12 heures et 14 heures
Un jeune homme évoluant dans la livraison des repas a accepté que nous le suivions durant sa journée de travail. Ses clients sont pour la plupart des commerçants officiant au Grand marché. Rendez-vous est pris à 8 heures du matin, devant l’Institut national des arts (INA), en face de la Grande mosquée de Bamako.
Marié et père de deux enfants, Kalilou Coulibaly est âgé de 28 ans. Il est originaire de la Région de Ségou, précisément, du village de Dougoukouna appelé aussi NGolokouna. à l’heure du rendez-vous, le jeune homme se présente en t-shirt de couleur bleue et en pantalon Jeans ultra serré. Il porte des chaussures en plastique, appelées « Faligalaka ». De taille au dessus de la moyenne et mince de corpulence, Kalilou Coulibaly nous invite à le suivre à Sarambougou et à Marseille, deux quartiers à la périphérie de la ville. C’est là-bas qu’il se se rend pour prendre ses délicats colis.
Nous prenons la route de Sarambougou, en passant par un dédale de voies. L’homme a une maîtrise exceptionnelle du chemin. « Je m’y rendais, avant, par la route de Koulikoro, mais maintenant, je suis contraint de contourner cette voie. On traverse Banconi, en passant par l’Hippodrome », s’explique-t-il, en cours de chemin. La chaîne de la bicyclette du jeune Coulibaly lâche, à l’entrée du quartier de Banconi. Y a-t-il une panne ? « Non, c’est la chaîne qui s’est détendue », répond-t-il. Ça t’arrive souvent ? « Non…je suis même étonné », dit-il.
Des bicyclettes peu ordinaires – Plus de peur que de mal. Nous arrivons à destination sans aucun autre désagrément. Au garage du réparateur de vélos, nous rejoignons le collègue de Kalilou. Celui-ci s’appelle Sidy Coulibaly. Il est en train de faire réparer le guidon de sa bicyclette. Kalilou en profite pour demander au réparateur d’ajuster la chaîne de son vélo.
Les deux hommes disposent de bicyclettes adaptées à la livraison de colis spéciaux. Les roues arrière des montures ont des jantes aux rayons doublés afin de porter des bagages lourds. Les porte-bagages sont démesurément grands et peuvent accueillir deux rangées de plats atteignant la hauteur du conducteur de la bicyclette assis sur la selle.
En plus, un morceau de bois est attaché au guidon pour pouvoir porter des colis supplémentaires. Ce qui permet de donner un certain équilibre au vélo. Une longue corde en élastique, tissée pour plus de sûreté, permet d’attacher solidement les nombreux plats, emballés dans des tissus pagnes. « On dépose un colis contenant un seul plat sur le guidon pour équilibrer le poids, sinon je risque d’être soulevé par la charge de la dizaine de colis attachée à l’arrière. Je transporte 12 plats aux marchés, chaque jour. J’attache 11 plats en deux rangées sur le porte-bagages», explique Kalilou Coulibaly.
Une autre caractéristique de ces moyens de transport est leur klaxon. Cet appareil est fait pour que son bruit n’épargne les oreilles de, presque, personne dans la circulation. Les livreurs l’utilisent, à tout bout de champ, pour signaler leur passage et demander la voie.
Un travail qui nourrit son homme- Sidy Coulibaly est âgé de 37 ans, marié à deux femmes et père de cinq enfants. Il vient du même village que Kalilou. Selon lui, ce métier consiste à apporter le déjeuner aux commerçants, dans leurs boutiques. Très motivé, au guidon de son vélo, Sidy n’est pas avare de commentaires sur tout ce qu’il a gagné grâce à la livraison de repas aux commerçants. « J’ai eu tout dans ce travail. Je me suis marié à deux femmes. J’envoie de l’argent pour l’entretien de mes femmes et de mes cinq enfants. Je contribue, aussi, aux charges de la grande famille. J’ai pu construire une maison avec la toiture en tôle au village», énumère, peu fier, Sidy.
Il dit avoir commencé ce travail au côté de son oncle, depuis longtemps. « Je le faisais avec mon oncle, mais c’est en 2017 que j’ai décidé de m’y consacrer, à temps plein, après le retrait de ce dernier du secteur », raconte Sidy Coulibaly. Son gain mensuel se situe dans la fourchette de 60.000 à 100.000 Fcfa.
Quant à Kalilou, il confirme que ce travail rapporte et précise que ses gains mensuels atteignent 70.000 Fcfa. « Notre travail n’est pas facile, mais on gagne dignement. Je fais ce boulot depuis 2015 bien avant que je sois marié. J’ai une femme, actuellement, avec deux enfants dans notre foyer », révèle-t-il.
Il est 9 heures 30 mn, nous arrivons dans la première famille pour récupérer le repas. Nous sommes au quartier Marseille. « C’est ici que je commence à me charger. Je peux attendre, souvent, la cuisinière », nous prévient-il. Cinq minutes après, il ressort avec un grand colis emballé dans un pagne noir pour bien l’installer sur le porte-bagage. « Ici, c’est chez l’un de mes premiers clients. J’apporte son déjeuner à 6.000 Fcfa par mois. Il y a trois colis de ce volume dans ma livraison», détaille-t-il.
Pour se faciliter la tâche, le jeune livreur commence à partir des quartiers les plus reculés. Après 30 minutes de vélo, nous voilà dans une deuxième famille, au flanc de la colline, toujours à Marseille, dernière le cimetière du quartier. Déjà, notre homme transpire. Cette famille est un peu en altitude. Kalilou descend deux fois pour pousser sa bicyclette afin de monter la côte. « Il me faut ça, sinon mes nerfs vont lâcher », dit-il. C’est pourquoi, ajoute-t-il, le prix mensuel de cette livraison est de 10.000 Fcfa. Trois autres clients sont à 15 minutes de vélo. Ils habitent dans des concessions contiguës. Kalilou sort avec 4 colis de ces familles.
Dans la dernière famille où Kalilou semble être familier avec les dames, il range sa cargaison et nous invite à manger. « Ici, c’est la famille Traoré. Nous sommes chez des commerçants ressortissants de Banamba. Cette famille me réserve le déjeuner depuis le début de notre relation jusqu’à maintenant. Quelle réelle humanité ! », dit élogieusement le jeune Coulibaly. Quand il finit de manger, nous reprenons la route pour les livraisons au marché. La route est mauvaise, mais elle est actuellement plus carrossable que pendant la période des grandes pluies.
Quand nous atteignons la route de Koulikoro, le cycliste-livreur peut souffler. Il pédale allègrement et se sert de ses bras comme clignotant, en cas de besoin. Il n’est pas avare de coups de klaxon. Sur sa bicyclette, au milieu de ses colis, le jeune livreur transpire énormément. Il est aussi accroché à son téléphone auquel il jette régulièrement des coups d’œil.
Soudain, il me fait signe de m’arrêter. «Il est midi. Il est l’heure du journal de RFI en langue manding. J’écoute ce journal chaque jour », nous surprend le jeune livreur. Il capte RFI, met les écouteurs à ses oreilles et se remet à pédaler.
Un garçon sérieux ! La première destination est au ‘Dibidani’. « Je dépose les quatre derniers colis dans la grande boutique de la famille Traoré. Ils ont quatre boutiques au marché. Chacun viendra enlever le sien», nous explique notre livreur.
Nous nous introduisons dans ce magasin de quincailleries au marché ‘Dibidani’. « Kalilou est un jeune sérieux. Il nous livre notre repas à l’heure. Il est courageux. Il nous appelle si, en cours de route, sa bicyclette tombe en panne. Il nous informe, aussi, en cas d’indisponibilité indépendante de sa volonté. C’est un contrat de confiance qui nous lie parce qu’on ne laisse pas tout le monde le soin de livrer le repas », témoigne le jeune commerçant A. Traoré, au comptoir de sa boutique.
Kalilou a un mois de congé durant l’année. « Il n’y a pas de livraison pendant le mois de Ramadan. Je profite de cette période pour me rendre au village, auprès de ma famille. Je peux, aussi, prendre une permission d’absence, s’il y a des événements sociaux au village, comme le décès d’un parent par exemple », souligne le jeune livreur de repas.
La livraison des repas à bicyclette aux marchés est un travail honnête, mais plus d’un livreur estime que les commerçants doivent revoir leur rémunération à la hausse. Au moins à 500 Fcfa par jour ce qui revient à 15.000 Fcfa par mois.
Oumar DIAKITé
Moussa DIARRA
Source: L’Essor-Mali