L’Islam politique serait-il à ses balbutiements en république du Mali ? En tous cas, au vu de la grande mobilisation réussie par des leaders religieux au stade du 26 mars, la question mérite d’être posée. Car, il est difficile de comprendre la démarche entreprise par le président du Haut Conseil Islamique et le Chérif de Nioro. Faire des prières pour un Mali prospère et apaisé et, en même temps, exiger la tête du gouvernement et de son chef, est plus qu’un complexe travail d’équilibrisme. Alors que l’on pensait, peut-être naïvement, que la sphère du religieux conservait sa sacralité en n’étant pas entaché par la politique politicienne, l’on se rend compte, soudainement, que tous les Maliens ont en commun une seule et même religion : la politique.
Le meeting du dimanche 10 février 2019 aurait pu être un tremplin d’espoir pour les Maliens, s’il s’était seulement limité à des prières et bénédictions pour le salut du pays. Mais, très vite, il a viré en un rassemblement politique qui ressemble, à s’y méprendre, à ceux auxquels l’on a l’habitude d’assister de la part de la classe politique classique.
D’abord, la présence même d’hommes politiques sur les lieux, fut une maladresse de la part des organisateurs. Certes, ces derniers sont des Maliens et, de ce fait, ils ont le droit d’être présents. Mais, s’il faut inviter des hommes politiques, ils doivent être de tous bords, opposition comme majorité. Cependant, seuls des politiques de l’opposition étaient présents. Et ensuite, ces leaders religieux devraient comprendre que critiquer la gouvernance en place doit se faire sans aucune considération de personnes. Ils doivent indexer les tares de la politique menée par les autorités, tout en mettant l’accent sur l’aspect morale de la vie publique, clé de voute de leurs missions.
Et enfin, que dire alors de l’initiateur de cette démarche, en la personne de l’imam Mahmoud Dicko ? Par ce meeting, très réussi, il aurait voulu montrer que, lui aussi, est capable de mobiliser une foule des grands jours, tout comme le font assez régulièrement, les poids lourds de la classe politique malienne. Il voudrait, également, forcer les bonnes grâces du pouvoir, pour qu’il puisse rester à la tête du HCIM, où d’ailleurs son mandat touche à sa fin. De plus, l’effet de buzz qu’il a créé suite aux 50 millions que lui a donné le gouvernement, n’est pas digne de sa carrure de chef religieux, qui devrait inviter à la retenue et éviter tout scandale.
Quoiqu’il en soit, la « classe politique religieuse » est une réalité au Mali. Et elle n’obéit pas à des logiques d’obédiences. Avant, l’on savait qu’il y a avait d’un côté, les adeptes de l’Islam mystique composé de différentes confréries soufis, et de l’autre, les adeptes d’un Islam rigoriste. Sans mettre totalement de côté ces considérations, désormais, les religieux s’assemblent selon leurs intérêts politiques. Ainsi, pour le meeting du dimanche dernier, l’on a assisté à la complicité de l’imam Mahmoud Dicko et du Chérif de Nioro, Bouyé Haidara, pourtant de deux bords religieux différents. Une alliance contre-nature qui rappelle celle qui se font souvent durant les législatives et communales.
Ceci étant, assiste-t-on à la naissance d’un Islam politique au Mali ? Pour le moment, aucun élément concret ne le prouve. Une chose est sûre, la sphère religieuse musulmane est souillée par la politique, depuis maintenant fort longtemps, au grand dam des fidèles, qui sont de plus en plus nombreux, à ne pas savoir à quel saint se vouer.
Ahmed M. Thiam
Source: Infosept