Dimanche 3 février, à minuit, a été officiellement lancée la campagne pour l’élection présidentielle du 24 février 2019 au Sénégal. Pour chacun des cinq candidats, le lieu choisi pour sa première sortie ne l’a pas été au hasard.
Début de campagne : un candidat, un lieu
L’ex-Premier ministre et ancien maire de Thiès Idrissa Seck a opté pour son fief électoral. Accueilli en grande pompe, le candidat de la coalition « Idy 2019 » a montré sa forte popularité dans sa ville d’origine. Madické Niang, proche de la puissante confrérie mouride et des milieux religieux, pas appuyé par le parti dans lequel il a navigué pendant des années, le Parti démocratique sénégalais de Me Abdoulaye Wade, a débuté sa campagne à Mbacké, non loin de Touba, ville sainte et capitale des Mourides. Il y a d’ailleurs eu un télescopage dans la ville fondée par Serigne Touba, car le président sortant Macky Sall a choisi d’y entamer sa campagne en indiquant au Khalife général des Mourides son intention d’y réaliser un aéroport et un parc industriel une fois la réélection acquise. Ousmane Sonko, figure de la jeunesse, et Issa Sall, candidat du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), ont entamé leur campagne dans les rues de Dakar. Le leader des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) est allé à la rencontre de ses jeunes électeurs dans des quartiers et espaces où ils sont très actifs et représentés : Ouakam, université Cheikh-Anta-Diop (UCAD), marché Sandaga, Médina, s’arrêtant au boulevard du Général-de-Gaulle, où il a tenu son meeting. Celui d’Issa Sall a, lui, lieu dans la banlieue dakaroise, à Guinaw Rails.
Prestation télévisée réglementée
Dans la soirée, la première allocution télévisée de chaque candidat a été diffusée sur la RTS, la chaîne publique. Ils se sont adressés aux Sénégalais dans un ordre tiré au sort par la Commission nationale de régulation de l’audiovisuel (CNRA) : Madické Niang d’abord, suivi de Macky Sall, Issa Sall, Idrissa Seck, et Ousmane Sonko enfin. Ce temps de parole, limité à sept minutes, a d’ores et déjà donné des indices sur la stratégie de chacun pour motiver les électeurs à choisir le « bon bulletin ».
Pour Madické Niang, le Sénégal est un pays dévasté à relever
« En 2012, vous avez choisi le président Macky Sall, aujourd’hui grande est votre déception et je vous comprends. » C’est ainsi que le dissident du PDS a introduit son propos, avant de faire le portrait d’un Sénégal plongé dans la précarité et dans l’oisiveté, où « la justice est instrumentalisée ». Sans avancer de proposition concrète, il a délivré « le sens de [son] action » : « Les jeunes et les femmes seront les fers de lance de mon action. (…). Mon combat est celui des jeunes qui ont perdu tout espoir, des femmes qui endurent l’insécurité, la faim et la pénurie d’eau. » Comme gage de crédibilité, l’avocat de 65 ans, doyen des candidats, n’a pas manqué de rappeler son parcours – avocat et plusieurs fois ministre sous Abdoulaye Wade – et sa proximité avec les chefs religieux, « gage de stabilité du Sénégal ».
Pour Macky Sall, une action à juger à partir du bilan de son septennat
Le leader de la coalition Benno Bokk Yakaar a profité de ce temps de parole privilégié pour faire le bilan du mandat qu’il achèvera dans vingt jours. Santé, électricité, formation professionnelle, éducation des enfants, allègement des travaux des femmes dans le milieu rural, tous les domaines sont listés, sans démonstration réelle de ce qui a été amélioré. C’est sur la « politique audacieuse de modernisation de nos infrastructures routières, autoroutières, ferroviaires et aéroportuaires » que le président sortant s’est arrêté. Les inaugurations enchaînées par le président ces derniers mois ont donné beaucoup de visibilité aux nouvelles infrastructures (aéroport international Blaise Diagne, Train Express Régional [TER] jusqu’à Diamniadio, pont entre le Sénégal et la Gambie, etc.). Le fondement de ce bilan ? La première phase du Plan Sénégal émergent (PSE). « Sa deuxième phase couvre les années 2019 et 2023 », a expliqué le candidat, période couvrant justement le prochain quinquennat. Il a promis « cinq nouvelles initiatives, trois programmes et cinq accès universels », qu’il a promis de dévoiler dans les prochaines semaines de campagne.
Pour Issa Sall, « un programme axé sur l’homme »
El Hadji Issa Sall a été le seul à décliner les grandes lignes de son programme autour d’un jeu de mots plus qu’évocateur : le « Pur 100 ». En référence à la race équine qui se distingue par sa finesse et sa vitesse, il se veut être la réponse aux « 100 questions des Sénégalais auxquelles ils n’ont jamais trouvé de réponse ». Le président de l’université du Sahel et non moins candidat à la présidentielle a exposé ses axes d’action autour des points suivants : d’abord, le développement humain et la réduction des inégalités. Sur ce point, le docteur en informatique diplômé aux États-Unis veut que l’informatique et l’anglais soient enseignés de la maternelle au supérieur, que les langues nationales retrouvent « une place de choix dans les écoles », et que le bac général soit réformé en supprimant les séries. Ensuite, la construction citoyenne et les valeurs culturelles. Puis, l’équilibre institutionnel et la bonne gouvernance. Sur ce point, fustigeant l’actuel gouvernement qu’il juge pléthorique, il veut limiter le nombre de ministres qu’il veut « compétents et honnêtes » à vingt. Il souhaite aussi que « toute nomination à un poste soit précédée par une enquête de moralité pour s’assurer de la compétence et de l’éthique du candidat » et que le président de la République soit en dehors de tout parti. Pour lutter contre la corruption, Issa Sall promet de supprimer les fonds secrets et spéciaux ainsi que les caisses noires. Point suivant : le développement économique inclusif et durable. « Nous allons consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons », a-t-il déclaré, évoquant des mesures incitatives « permettant aux PME et PMI de créer de la richesse ». Priorité suivante : la paix et la sécurité. Issa Sall promet de mettre un point d’honneur à maintenir la paix en Casamance, et veut installer des brigades pour renforcer le maillage du pays. Les jeunes devront faire un service civique à partir de 18 ans. Enfin, le financement et le partenariat. Le candidat du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR) a évoqué une « citoyenneté fiscale » sans en expliquer la teneur. Il veut par ailleurs « consolider le potentiel financier de la diaspora » et assurer un « suivi systématique des politiques publiques ».
Pour Idrissa Seck, la carte de la proximité avec les Sénégalais
« Au cours des quatre dernières années, j’ai parcouru le Sénégal du Nord au Sud, d’est en ouest. Du Fouta à la Casamance, de Dakar à Tambacounda, j’ai pu vivre avec vous les conditions difficiles de vie de nos populations. » C’est ainsi que le candidat de la coalition « Idy 2019 » a commencé son propos, suggérant ensuite que ses remarques étaient en fait celles des Sénégalais qu’il avait rencontrés lors de son voyage. « Vous avez souhaité », « vous m’avez souvent dit », « votre sentiment est que »… introduisait chacune de ses phrases. Ainsi peut-il, sous couvert de paroles rapportées de citoyens, s’attaquer aux pratiques du président Macky Sall. « Vous avez expérimenté pendant sept ans l’utilisation de la justice contre des adversaires politiques plutôt que comme instrument de régulation des conflits au sein de notre société. » Son vœu : « retrouver une justice indépendante et responsable qui échappe au contrôle de l’exécutif », « une séparation et un équilibre des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ». Et d’avancer qu’il a entendu « un besoin profond de la bonne gouvernance (…), inscrite au premier rang des préoccupations » des Sénégalais. C’est pourquoi il promet que la bonne gouvernance sera « le premier chantier du programme » qu’il va mettre en œuvre. Le reste de son allocution est un florilège de « préoccupations des Sénégalais » dans chaque domaine de la vie du pays, sans proposition concrète. Le candidat de la coalition « Idy 2019 » s’est positionné comme le défenseur d’un « programme de l’ensemble des leaders d’opposition ». À l’appui de ses déclarations, plusieurs candidats refusés à l’épreuve des parrainages l’ont effectivement rejoint ces derniers jours. Parmi eux, Malick Gakou (le Grand Parti), Adjibou Soumaré (Coalition Hadjibou 2019) et Pape Diop (Bokk Gis-Gis).
Pour Ousmane Sonko, une adresse en wolof et un programme offensif
Le candidat du Pastef, nouveau en politique, s’est distingué en ne parlant qu’en wolof. Seuls quelques mots de conclusion étaient en français. De fait, il s’est positionné à l’opposé des autres candidats qui, eux, ont seulement réservé un quart à un tiers de leur temps de parole à la langue wolof. Son programme est qualifié d’« ambitieux » du fait de « l’impératif » d’industrialiser le Sénégal. Il a évoqué la réduction du train de vie de l’État et la renégociation des contrats d’exploitation des ressources naturelles. Sur le plan social, il veut étendre la couverture maladie universelle à toutes les couches de population.
Source: lepoint