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Pratiques coloniales; Victor Hugo : Ce qu’on ne nous a pas dit à l’école

Victor Hugo, l’un des plus grands auteurs de la littérature française, était aussi un adepte fieffé de la colonisation ; entreprise pourtant connue pour sa grande barbarie. Aujourd’hui, à l’heure de tous les révisionnismes, il importe de faire connaître cette face cachée de l’immense écrivain. N’a-t-il pas soutenu qu’ «… au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde » ? Le penseur allemand Hegel n’en avait pas dit plus. Il faut aller contre la conspiration du silence et « oser » décoloniser notre enseignement.

 

La substance de la pensée hugolienne se trouve cristallisée dans un seul texte, « le discours sur l’Afrique », prononcée à l’occasion d’un banquet, le 18 mai 1879, à l’initiative de son ami Victor Schœlcher, passé à la postérité comme étant l’un des farouches adversaires de l’esclavage. Ce banquet qui comptait cent vingt convives a été l’occasion d’une grande magnificence du verbe. Schœlcher a introduit Hugo. « Cher grand Victor Hugo.

La bienveillance de mes amis, en me donnant la présidence honoraire du comité organisateur de notre fête de famille, m’a réservé un honneur et un plaisir bien précieux pour moi, l’honneur et le plaisir de vous exprimer combien nous sommes heureux que vous ayez accepté de nous présider. Au nom de tous ceux qui viennent d’acclamer si chaleureusement votre entrée, au nom des vétérans anglais et français de l’abolition de l’esclavage, des créoles blancs qui se sont noblement affranchis des vieux préjugés de leur caste, des créoles noirs et de couleur qui peuplent nos écoles ou qui sont déjà lancés dans la carrière, au nom de ces hommes de toute classe, réunis pour célébrer fraternellement l’anniversaire de l’émancipation, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre appel ».

Schœlcher ajoute : « Vous, Victor Hugo, qui avez survécu à la race des géants, vous le grand poète et le grand prosateur, chef de la littérature moderne, vous êtes aussi le défenseur puissant de tous les déshérités, de tous les faibles, de tous les opprimés de ce monde, le glorieux apôtre du droit sacré du genre humain. La cause des nègres que nous soutenons, et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher, devait avoir votre sympathie ; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par votre présence au milieu de nous. »

Schœlcher continue : « Cher Victor Hugo, en vous voyant ici, et sachant que nous vous entendrons, nous avons plus que jamais confiance, courage et espoir. Quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénétrera jusqu’au cœur de l’Afrique, sur les routes qu’y fraient incessamment d’intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine ; votre parole, Victor Hugo, aura puissance de civilisation ; elle aidera ce magnifique mouvement philanthropique qui semble, en tournant aujourd’hui l’intérêt de l’Europe vers le pays des hommes noirs, vouloir y réparer le mal qu’elle lui a fait. Ce mouvement sera une gloire de plus pour le dix-neuvième siècle, ce siècle qui vous a vu naître, qui a établi la république en France, et qui ne finira pas sans voir proclamer la fraternité de toutes les races humaines. »

Victor Hugo prend la parole et procède par un échange de bons procédés, en ces termes. « Messieurs, Je préside, c’est-à-dire j’obéis; le vrai président d’une réunion comme celle-ci, un jour comme celui-ci, ce serait l’homme qui a eu l’immense honneur de prendre la parole au nom de la race humaine blanche pour dire à la race humaine noire : Tu es libre. Cet homme, vous le nommez tous, messieurs, c’est Schoelcher. Si je suis à cette place, c’est lui qui l’a voulu. Je lui ai obéi ». Il précise : « Messieurs, le moment actuel sera compté dans ce siècle.

C’est un point d’arrivée, c’est un point de départ. Il a sa physionomie : au nord le despotisme, au sud la liberté ; au nord la tempête, au sud l’apaisement. » Il poursuit : « Quant à nous, puisque nous sommes de simples chercheurs du vrai, puisque nous sommes des songeurs, des écrivains, des philosophes attentifs ; puisque nous sommes assemblés ici autour d’une pensée unique, l’amélioration de la race humaine ; puisque nous sommes, en un mot, des hommes passionnément occupés de ce grand sujet, l’homme, profitons de notre rencontre, fixons nos yeux vers l’avenir ; demandons-nous ce que fera le vingtième siècle. »

Hugo devient docte et passe à la caractérisation de l’espace. Il dit : « Géographiquement, -permettez que je me borne à cette indication, – la destinée des hommes est au sud. Le moment est venu de donner au vieux monde cet avertissement : il faut être un nouveau monde. Le moment est venu de faire remarquer à l’Europe qu’elle a à côté d’elle l’Afrique. Le moment est venu de dire aux quatre nations d’où sort l’histoire moderne, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la France, qu’elles sont toujours là, que leur mission s’est modifiée sans se transformer, qu’elles ont toujours la même situation responsable et souveraine au bord de la Méditerranée, et que, si on leur ajoute un cinquième peuple, celui qui a été entrevu par Virgile et qui s’est montré digne de ce grand regard, l’Angleterre, on a, à peu près, tout l’effort de l’antique genre humain vers le travail, qui est le progrès, et vers l’unité, qui est la vie ».

Il est même messianique : « La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie. Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de nations : Unissez-vous ! Allez au sud. »
« Est-ce que vous ne voyez pas le barrage ? Il est là, devant vous, ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui, depuis six mille ans, fait obstacle à la marche universelle, ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité,-l’Afrique », s’interroge-t-il.
« Quelle terre que cette Afrique! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire; l’Afrique n’a pas d’histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touchée, pour la supprimer ; et, quand elle s’est crue délivrée de l’Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de ces épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa! », s’exclame-t-il.

Comment tient-il son portrait de l’Afrique ? Il parle de « flamboiement tropical », où un « un excès de soleil est un excès de nuit ».
La France et l’Angleterre ont investi le terrain et « l’Italie accepte sa part de ce travail colossal ». L’entreprise coloniale est en route depuis que de « hardis pionniers se s’ont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce sol étrange est apparu réel ; ces paysages lunaires deviennent des paysages terrestres. » Pour Hugo, cette « Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie… ».

Hugo a la verve et prophétise la mission de l’Europe : « au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra. » L’ordre est donné : « Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. à qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. » Il va plus loin : « Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. »

La colonisation est salvatrice. Hugo en donne la table des matières : « Allez, faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté! » C’est au nom de la mission civilisatrice que Hugo parle. La France est une grande nation. Elle doit aider les peuples attardés.

Plus d’un siècle après, Hugo demeure une source d’inspiration pour plusieurs hommes politiques français. En 2007, Nicolas Sarkozy, le président français était venu décliner à Dakar, dans l’antre de l’université Cheick Anta Diop, les contours du « drame de l’Afrique » : « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »

Dans le cas de Victor Hugo, on voit bien que les programmes encore en cours dans nos écoles font l’impasse sur son engagement en faveur de l’agression coloniale. Les manuels n’en parlent pas. On connaît Hugo de « La Légende des siècles », Hugo de « Les châtiments », Hugo contre « Napoléon Le Petit ». On connaît Hugo qui accède à l’Académie française. Mais on ne connaît pas Hugo, le suppôt du colonialisme. On peut juste se consoler avec la boutade d’André Breton. Il dira, dans le « Manifeste du surréalisme » que Hugo est « surréaliste quand il n’est pas bête ».

Sources documentaires
Victor Hugo, Discours sur l’Afrique, Actes et paroles, IV, 1879
André Breton, Le manifeste du surréalisme, Paris: Gallimard, coll. Idées, 1967

Source : L’ESSOR

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