À plusieurs degrés, Chérif Hamahoullah et Aline Sitoé Diatta ont eu des parcours de vie d’une grande similitude. Résistants pacifiques, tombés sous le coup de l’indigénat, cette abomination, véritable négation systématique des droits de l’Homme dans les territoires colonisés, les deux héros continuent encore de faire l’actualité.
Mon ami Nouhoum Kéita est natif de Faléa dans le Cercle de Kéniéba. Il m’a raconté, au gré d’une conversation fortuite, comment son grand-père et certains de ses amis « ont fait tomber », dans un marigot, le Blanc qui venait de réquisitionner les bras valides ; les plus vigoureux du village, pour son transport dans un hamac. Le déplacement était organisé à la chaîne. Le chef de village fournit les hommes ; les gardes entretiennent le sens de la marche à la cravache ; le Blanc n’avait qu’à se vautrer dans son « filet » pour une journée de 15 à 20 kilomètres. Les porteurs pouvaient être au nombre de quatre ou six. Ils ne portaient pas que le Blanc ; ils transportaient aussi leur nourriture pour la durée de la corvée.
Alors, me dit Nouhoum, dans une gestuelle très rythmée, mon grand-père et son escouade qui avaient mûri leur stratagème, se sont mis à parler en malinké aussi dense que la pâte d’arachide. C’était la trame du complot auquel, bien sûr, le Blanc n’a rien compris. Les gardes qui assuraient sa sécurité aussi n’ont rien vu venir, car les porteurs, pour les semer, avaient accéléré incidemment le pas. Sur le marigot qui était guéable, ils ont subitement lâché prise et voilà le « toubabou ké » dans l’eau avec tous ses attributs de souveraineté : sa tenue de commandement et son casque colonial, tous de couleur blanche. C’est quand l’infortuné commis a hurlé, croyant qu’il allait se noyer, que les gardes se sont rendu compte de leur méprise. Leur forfait perpétré, les porteurs ont enjambé le fleuve Falémé pour se retrouver au Sénégal et pour longtemps. C’était-là une forme de résistance.
L’historien Bakary Kamian rapporte une anecdote du même genre. Ici, il s’agit d’un administrateur basé à San. Il ne pouvait souffrir que son sommeil soit perturbé par le croassement des batraciens des mares environnantes. La solution qu’il trouva était d’armer les jeunes avec des bâtons. Ceux-ci passaient la nuit au bord des mares à faire du tapage pour contenir la musique des animaux aquatiques. Le supplice durait tout l’hivernage. Le sommeil de « Baba Commandant » était à ce prix.
Les administrateurs coloniaux n’étaient pas les seuls dans ce vaudeville. Il y avait les gardes, les goumiers et les interprètes, des auxiliaires d’une grande servilité envers le colon. Chargés de la collecte de l’impôt, ils assuraient également la transmission des messages dans la chaîne de commandement. Almahadi Ag en était un dans le Cercle de Gao. L’homme était notoirement connu pour sa brutalité. Il avait aussi un penchant pour les belles femmes, au point que dans les chansons au clair de lune, il avait sa partition. C’était connu de tous que si Almahadi devait passer la nuit dans un village, il ne pouvait « dormir » seul. Lorsqu’il avait des villages à harceler pour le paiement de l’impôt et l’organisation des réquisitions, il les mettait en série de sorte à venir passer la nuit dans le village où il a prévu d’agrémenter sa nuit avec l’une des plus belles femmes repérées.
Ce jour-là, il fit sa « tournée » et vint à camper dans un village. Il demanda du lait frais dans sa tanière. Ses hôtes se sont empressés de lui donner satisfaction en y ajoutant leur ‘arme de guerre’. Dans le lait fraichement obtenu, ils ont fait remuer la queue de la vache, de sorte à obtenir un liquide hautement purgatif. Dès que Almahadi a fini de boire son lait, il a fini aussi avec la paix ; contraint de prendre ses quartiers dans la broussaille du fait de la diarrhée soudaine qui s’est emparée de lui. Et honteux, il a fini par prendre son chameau et chercher illico sa route. Ne voulait-il pas passer la nuit en galante compagnie ? Ces anecdotes ne traduisent que le côté loufoque de l’entreprise coloniale.
Source: L’Essor- Mali