Dans l’interview ci-dessous, Mamadou Samaké, professeur de droit public et de science politique à la Faculté des sciences administratives et politiques de Bamako livre son analyse sur les résultats provisoires du 2è tour des élections législatives du 19 avril dernier. Le politologue se prononce également sur ce qui devra être, à ses yeux, les priorités de la nouvelle Assemblée nationale
L’Essor : Le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a proclamé les résultats provisoires du second tour des législatives. Quelle analyse en faites-vous ?
Pr Mamadou Samaké : L’analyse qu’on peut faire de ces résultats, c’est que le nombre de partis à l’Assemblée nationale a beaucoup diminué. En 2013, je crois qu’il y avait à peu près 15 partis représentés à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, on a un peu moins de 10 partis qui vont se retrouver à l’Hémicycle, sur un total de plus de 230 enregistrés. Cela voudra dire que beaucoup se disent partis, mais ont encore du chemin à faire. Parce que l’exercice de la politique, même étant la conquête du suffrage, un parti qui n’a pas de mandat à l’Assemblée nationale, encore moins dans les collectivités, comment va-t-il mettre en œuvre son projet de société ? Le MPM (Mouvement pour le Mali) sort comme la très grande surprise de cette élection. Parce qu’avec environ 11 députés, sous réserve de confirmation de la Cour constitutionnelle, il se tape à lui seul un groupe parlementaire. Pour le reste, la hiérarchie des normes n’a pas tellement changé, parce que le RPM (Rassemblement pour le Mali, parti présidentiel) reste encore devant avec une majorité relative de 43, voire 47 députés. Ce qui est un peu en deçà du résultat que ce parti avait obtenu en 2013 (60 députés, ndlr).
L’URD (Union pour la République et la démocratie) qui était la seconde force politique à l’Assemblée nationale devient la troisième avec ses 19 sièges. L’Adema occupe la deuxième place avec plus de 20 députés. Donc, le jeu des alliances aidant, l’Adema étant de la majorité présidentielle, l’ASMA n’ayant quand même pas officiellement dit qu’elle n’appartenait pas à la majorité présidentielle, on peut dire que la mouvance présidentielle a déjà la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Parce que les 40 et quelques sièges du RPM plus ceux de l’Adema et de l’ASMA font environ 74 députés, qui est la majorité absolue. Du coup, ils ont une majorité confortable pour gouverner.
L’Essor : Quels constats faites-vous de l’ensemble du processus ?
Pr Mamadou Samaké : Le constat qu’on peut faire, c’est que c’est un processus qui s’est déroulé en pleine crise à la fois sécuritaire et sanitaire. Bien entendu, crise économique aussi, parce que la campagne électorale tant pour le premier que le deuxième tour a été terne. Le second constat, c’est qu’on observe une relative prise de conscience des citoyens, parce qu’au premier tour c’est à peu près 22 sièges qui sont tombés essentiellement au nord et au centre du pays. Dans toutes les grandes circonscriptions, il y avait ballotage. Ce qui a fait que l’exercice du deuxième tour a été très intéressant parce que les différents dinosaures de la politique malienne qui étaient en ballotage ont mouillé le maillot. Si pour les Occidentaux, le taux de participation de 35%, est relativement faible, au regard du contexte de crises sécuritaire, sanitaire et économique, moi je le trouve honorable. À ma souvenance, ce n’est qu’en 2013 que l’élection législative au deuxième tour a atteint un taux de participation de 36%.
Donc, ceci n’est pas lié à un travail de la classe politique. Je lie cela à l’apparition des réseaux sociaux, à la démocratisation de l’information et à une relative prise de conscience des citoyens vis-à-vis de la chose publique. Le constat que je fais, c’est que le Malien, de plus en plus, commence à comprendre qu’il est contribuable et que ceux qui gouvernent vont gérer sa contribution. Donc, il se doit d’être regardant sur la gestion de cette contribution depuis déjà l’élection de ceux-là qui auront en charge cette gestion. Bien entendu, on aurait souhaité que les reformes recommandées par les différentes missions d’observation au moment des présidentielles et par des institutions comme la Cedeao se fassent.
Mais, vous avez vu que le Dialogue national inclusif (DNI) s’est tenu en décembre. La première résolution était l’organisation des législatives à court terme. Le mandat de l’Assemblée nationale ayant expiré depuis près de 16 mois, il aurait été vraiment souhaitable que ces réformes politiques et législatives voient le jour avant les élections, mais ça n’a pas été le cas. Donc, l’une des premières priorités de cette nouvelle Assemblée nationale, c’est déjà commencer à opérer ces réformes.
Bien entendu, la révision de la Constitution pour pouvoir y implémenter les dispositions relatives à l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger pour la création du Sénat. Mais aussi la perfection de notre système électoral qui a quand même plusieurs organes qui interviennent dans l’organisation des élections.
L’Essor : Quel est, selon vous, le rôle que doivent jouer les députés de la 6è législature dans la consolidation de notre système démocratique ?
Pr Mamadou Samaké : J’ai parlé tantôt des réformes. Il faut des reformes politiques, des réformes législatives pour parfaire notre système démocratique. Si on veut créer le Sénat, on ne peut le faire sans changer la Constitution. Si on veut aller à un organe unique d’organisation des élections, on ne peut le faire sans changer la loi électorale. Le mode d’inscription sur la liste électorale qui est aujourd’hui automatique ; si on veut le changer pour aller à l’inscription volontaire, il faut des lois au niveau de l’Assemblé nationale. Donc, sans l’Assemblée nationale, il n’y a de jeu démocratique, c’est le temple de la démocratie, c’est la représentation nationale et c’est elle qui vote l’expression de notre volonté générale qui est la loi.
L’Essor : Quelle contribution la nouvelle Assemblée nationale devra apporter dans la résolution de la crise sécuritaire dans notre pays et relever les défis du développement ?
Pr Mamadou Samaké : Ces députés vont apporter beaucoup, parce que c’est eux qui adoptent la Loi de finances. Sans ressources, difficilement on peut faire la guerre. Le député est l’élu du peuple, le représentant de la Nation. Je crois qu’en matière de sensibilisation des forces vives afin que chacun puisse réellement s’impliquer pour l’avènement d’un Mali de concorde, de fraternité et de solidarité, le député a un rôle prépondérant à jouer. Parce que c’est lui qui peut être la jonction entre les populations. Mais aussi être une courroie entre les collectivités et le gouvernement pour la promotion des actions de développement au niveau de sa circonscription.
Il est difficile de faire croire aux valeurs démocratiques quand on n’arrive pas à alléger les souffrances des populations en termes de meilleure redistribution du bien commun qui est l’effort de tous. Donc, je crois que la nouvelle Assemblée sera beaucoup regardante sur la gestion, en tout cas, du gouvernement, des contributions des Maliens c’est-à-dire le budget national afin que nos maigres ressources puissent profiter au maximum de Maliens.
Propos recueillis par Bembablin DOUMBIA
Source : L’Essor