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Pourquoi la France ne peut échapper à l’Afrique

L’année 2013 marque une inflexion majeure de la politique africaine de la France. Comme le retour cinglant d’une fatalité et d’une exigence, cinquante ans après une décolonisation ratée où l’on a bâti à la serpe « des États et pas des nations », comme le dit le général Vincent Desportes (lire ci-dessous), ancien commandant du Collège interarmées de défense (l’école de guerre).

carte présence militaire française afrique

Il suffit de prendre la carte du Mali (en forme de sablier, du Sahel touareg et arabe au nord à l’Afrique noire au sud) et l’implantation des populations de la Centrafrique (chrétiens au sud, musulmans au nord) pour comprendre le malaise avec des pays coupés en deux.

L’interventionnisme militaire au Mali et en Centrafrique répondait à deux urgences différentes : neutraliser l’expansion de groupes djihadistes terroristes dans le premier cas, s’interposer au beau milieu d’une crise politique (démission hier vendredi du président centrafricain, Michel Djotodia), humanitaire et interreligieuse. Une mission claire (détruire un ennemi reste le premier métier du militaire quoi qu’on en pense) et une délicate, surtout avec des effectifs réduits.

Le point commun du Mali et de la Centrafrique est la faillite des États, manipulés et corrompus, d’un développement économique anéanti, de rivalités ethniques et religieuses. La France est donc dans ces contrées pour longtemps. L’Europe et la communauté internationale doivent apporter leurs pierres pour aider l’Afrique à se structurer politiquement, économiquement et militairement.

Car la situation sécuritaire reste fragile et la plupart des États voisins du Mali et de la Centrafrique ne sont pas à l’abri de pareils effondrements.

«La France ne peut pas tout faire en Afrique mais elle est la seule qui sache le faire»

Questions au Général Vincent Desportes, professeur de stratégie à HEC et Sciences-Po Paris.

Général Vincent Desportes professeur stratégie HEC Sciences-Po Paris

– Du Mali à la Centrafrique, quel bilan peut-on tirer de cette année 2013 et de cette montée en puissance française en Afrique ?

« Le bilan est mitigé. L’année avait bien commencé avec une démonstration remarquable de l’armée française au Mali dans une opération relativement classique : une mission militaire où il s’agit de détruire un ennemi. Mais l’année s’est terminée sur le résultat pour le moins ambigu de l’opération Sangaris, qui est la mission la plus compliquée pour un militaire, se retrouver au cœur d’une guerre civile sans faire usage de la force, surtout avec un effectif réduit. Il fallait y aller, bien sûr, mais c’est infiniment plus compliqué qu’on ne pensait. Clausewitz disait qu’on ne joue pas le premier coup sans avoir pensé au second. Au Mali, on savait jouer le second, la politique. En Centrafrique, on n’en a aucune idée. »

– Quelles leçons politiques et militaires en tirez-vous ?

« La grande leçon militaire de l’année, c’est que nous avons une armée sans épaisseur stratégique, une armée à un coup. On peut jouer une fois et l’emporter. On sait gagner une bataille parce que nous avons des moyens et une armée de professionnels. Mais quand il faut bâtir sur la durée et gagner la guerre, c’est de plus en plus difficile. »

– Pourtant, la France se réengage fortement en Afrique…

« Il y a à l’évidence une inadéquation entre une politique interventionniste et une armée qui n’est plus capable d’en être l’outil. Nous avons besoin d’effectifs terrestres. François Hollande a été rattrapé par le principe de réalité en Afrique. Son prédécesseur et lui ont dégradé les armées. Or quand il y a inadéquation entre la politique et le modèle de forces et d’opérations, il faut changer l’un ou l’autre. »

– Les guerres probables sont dans ces régions…

« Au Sahel, dans la région subsaharienne, dans le nord de l’Afrique noire. La réalité revient en pleine face après les divers retraits de nos bases entrepris par François Mitterrand, puis Nicolas Sarkozy. La France ne peut pas échapper à l’Afrique après une décolonisation où l’on a bâti des États et non pas des nations. C’est notre histoire mais aussi une réalité géopolitique. C’est un peu l’histoire de Lagardère, si nous ne nous occupons pas de l’Afrique, c’est l’Afrique qui s’occupera de nous avec le djihadisme et des menaces de déplacements massifs. La population du continent africain va doubler d’ici 25 ans pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. S’il n’y a pas un développement économique suffisamment soutenu et une stabilité de la sécurité, l’Afrique ne retiendra pas ses populations et cela pèsera sur nos économies. L’Europe est condamnée à l’Afrique même si beaucoup de nos partenaires ne l’envisagent pas ainsi. »

– Pourquoi la France est-elle assez isolée sur cette question et pourquoi l’Europe n’est-elle pas plus offensive ?

« L’ADN de l’Europe, c’est la paix. La guerre a disparu. Cet ADN, c’est sa qualité et son grand défaut. Le sens de l’intérêt stratégique européen n’existe pas. La capacité politique à s’engager a disparu. La preuve par mille, ce sont les battlegroups européens qui n’ont jamais été déployés et qui seraient parfaits en Centrafrique. Les politiques sont incapables d’expliquer à leur propre population et ne prennent pas de risques. Un Suédois ou un Allemand ne peut pas mourir en Afrique. Donc quand on parle de pooling and sharing (mutualisation et partage) en Europe, on trouve des capacités, un bateau, un avion, un drone, jamais des hommes, jamais de risque de sang versé. C’est une autre leçon importante de 2013. »

– Quelles options reste-t-il à la France ?

« La France ne peut pas tout faire en Afrique mais il se trouve qu’elle est la seule qui sache le faire. Mais si la France veut rester la France, elle doit arrêter de casser ses forces. Parce que l’on se fait une fausse idée de la guerre. Le First in, First out (premier entré, premier sorti) ou le Hit and Transfer (frapper et transférer) avec une petite armée ramassée qui passe rapidement la main, ça ne marche pas ! Notre armée devient impuissante. Si on ne change pas les moyens, changeons de politique. Il me semble que cela coûterait moins cher d’investir en Afrique que de supporter les conséquences de son abandon. » OL. B.

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