En Droit constitutionnel, un mandat est une «mission que les citoyens confient à certains d’entre eux par voie élective, d’exercer en leur nom et pour leur compte, le pouvoir politique». Dans cette définition, le mot «mission» est celui qui nous intéresse le plus, dès l’instant qu’il nous permet de rapprocher le mot «mandat», beaucoup plus de «mander» (en latin «mandere» [chose mandée]) que du verbe «mandater» auquel on l’attache ordinairement. Mander, c’est, dans le sens où nous voudrions l’entendre, «faire tenir à quelqu’un un ordre, une instruction». C’est «ordonner à quelqu’un de faire quelque chose en son nom». Or, «mandater» qui signifie déléguer (représenter), ne colle pas à l’essence du mot mandat. En réalité, un mandat est une mission, une tâche (obligatoire) à accomplir dans un délai précis que l’on confie à un homme ou un groupe d’hommes.
Il se définit beaucoup moins par la simple durée d’exécution d’une tâche que par la tâche elle-même. Et l’on sait que pour déterminer le temps nécessaire à l’exécution d’une tâche quelconque, on se réfère à la nature de la tâche, aux aptitudes de ou de ses exécutant(s) et de leur présomption d’efficacité. Un programme politique est un ensemble de projets économiques ou sociaux que l’on se propose de réaliser en un temps raisonnablement fixé par la Constitution. Le mandat politique, c’est à la fois ce temps nécessaire à la réalisation des projets et les projets eux-mêmes.
Dans un pays où la durée du mandat présidentiel est, par exemple de cinq ans, tout candidat qui demande le suffrage des populations doit pouvoir concevoir un programme non seulement taillé aux dimensions des possibilités réelles du pays, mais qui soit également à la portée des hommes préposés à son pilotage, dans le délai de rigueur de cinq ans. C’est un peu à l’image d’une activité d’enseignement-apprentissage, une leçon de géographie, par exemple, dont le crédit horaire est fixé à deux heures. Sa réalisation effective dans cet espace de temps est bien possible, mais à la condition que le professeur soit doté d’une formation pédagogique de qualité lui permettant d’être capable de faire des choix de supports pertinents et adaptés, exploitables en moins de deux heures et d’utiliser des méthodes efficaces. Mais si le prof se passe des recommandations méthodologiques du programme, ne prépare aucune fiche et utilise des documents «kilométriques» et inappropriés, il est fort évident que même en six heures, il ne pourra pas terminer sa leçon. De toute évidence, ce professeur qui improvise son cours, au-delà de ses tâtonnements autour de quelques connaissances tirées de supports inadaptés, exploités de façon hasardeuse, se livrerait à des digressions inutiles qui l’empêcheraient d’aller à l’essentiel. De même, un président de la République qui arrive au pouvoir, même avec un programme pertinent et réalisable, s’il est mal entouré et s’il se laisse distraire par une certaine opposition «politicienne», de surcroît, ligoté par des contraintes politiques partisanes, il ne pourra rien faire même en dix mandats. Par contre, s’il se libère de toutes ces contraintes et se focalise sur l’essentiel, avec une équipe compétente et laborieuse, c’est certain qu’il pourra réaliser l’intégralité de ses projets en un mandat de cinq ans maximum.
C’est totalement infondé de penser qu’il n’est pas possible de réaliser un programme politique au cours d’un seul mandat présidentiel dont la durée est raisonnablement fixé par la Constitution du pays. Un programme sérieux, bien réfléchi, méticuleusement conçu, piloté par des hommes avertis, sérieux et compétents, doit pouvoir se réaliser au cours d’un seul mandat présidentiel. L’histoire offre une pile d’exemples de prouesses réalisées par des chefs d’Etat dans un espace temporel de moins de cinq ans, l’équivalent d’un mandat présidentiel dans la plupart des pays africains. En 1949, quand Mao est arrivé au pouvoir en Chine, après plusieurs années de guerres civile et étrangère, les défis à relever étaient énormes : stagnation de la production, désorganisation industrielle, faillite financière, désordre politique, surpopulation, trafic de l’opium, pénurie constante, misère sociale, insécurité publique, etc. Le Parti communiste chinois (Pcc) entreprend, entre 1949 et 1953, plusieurs grandes campagnes de réformes qui, à terme, ont permis à la Chine de retrouver la santé qui lui a permis d’apercevoir le chemin de l’émergence. Après les réformes de 1950 (la loi sur le mariage pour libérer la femme et les réformes agraires), le régime lance, de 1951 à 1952, les trois campagnes dites d’«éducation populaire» dont l’objectif était de «forger» un nouveau type de chinois, sain physiquement et mentalement, discipliné et orienté vers le travail. Dès 1953, un premier plan quinquennal pose les jalons de l’industrialisation du pays, suivant le modèle soviétique. Sur le plan externe, l’engagement de Mao dans le camp socialiste amène la Chine à intervenir, directement ou indirectement, dans les conflits de la guerre froide. Son soutien matériel au Vietminh, son intervention en Corée et, plus tard, sa participation à la conférence afro-asiatique de Bandung, en avril 1955, consacrent le rayonnement diplomatique du pays à travers le monde. De même, après l’échec du «Grand bond en avant», il a fallu à l’équipe de «réajustement», mise en place à partir de 1961 sous la conduite de Liu Shaoqi, un espace temporel de seulement trois ans pour remettre l’économie sur les rails et hisser la Chine au rang d’une puissance nucléaire, dotée de l’arme atomique.
Que dire de l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 ? Après une plus ou moins longue période de troubles politiques, liés à la «Révolution culturelle», puis aux agissements de la «Bande des Quatre», Deng Xiaoping, appelé à la rescousse de Hua Guofeng comme premier vice Premier ministre, change rapidement d’orientation en matière de politique économique. Il décide que le temps est venu pour la Chine de développer sa production au lieu de chercher à changer le monde. Sans perdre de temps, il lance de nouvelles campagnes connues sous l’appellation de «Quatre modernisations», amorce un processus de «démaoïsation» du système chinois, supprime les fameuses «communes populaires» et ouvre l’industrie chinoise aux techniques et aux capitaux étrangers. Dès 1979, la Chine fait son entrée au Fmi et, l’année suivante, des «Zones économiques spéciales» sont ouvertes sur le littoral. Ces réformes économiques s’accompagnent de changements dans les conditions de travail : remise en question de l’égalitarisme salarial, contractualisation du travail, suppression de certains avantages sociaux, etc. Les résultats de ces réformes ont été immédiats et spectaculaires. Et depuis le tournant des années 1980, la Chine a connu un certain décollage économique.
Des exemples de ce genre existent à profusion dans le monde, aux Etats-Unis, en Asie de l’Est (Corée du sud, Taiwan, Singapour, Thaïlande, Indonésie) et en Amérique latine (le Brésil avec Lula). C’est sur le continent noir seul que l’on enregistre des records de compilation de mandats vierges, sans réalisations constructives. Des régimes font vingt ans au pouvoir, l’équivalent de quatre mandats de cinq ans, sans jamais terminer un seul projet. Et toujours, c’est le même langage : «Donnez-moi un autre mandat pour terminer mes chantiers». Des chantiers qui mettent trente à quarante ans à «germer» ! En réalité, des chantiers «poussent», mais ne fleurissent que pour le Président, sa famille, les membres de ses gouvernements successifs et pour leurs proches. Rien n’est plus «criminel» pour un régime que de gérer les deniers publics pendant des années, sans impacter la situation économique du pays et le niveau de vie des populations. Les Peuples africains doivent dépasser ce degré de passivité et opter pour plus d’exigence à l’endroit de leurs dirigeants. Thierno Sileymane Baal, lors de la «Révolution Torodo» de 1776, émit les recommandations suivantes : «Celui qui dirige (…) ; s’il cesse de servir le Peuple, il doit être chassé du pouvoir ; si sa fortune augmente sans que cela repose sur de la transparence, il doit être chassé du pays». Quand on passe cinq ans à la tête d’un Etat sans résultats, on doit être sanctionné, non pas uniquement par les urnes, ce qui serait trop facile, mais par la voie pénale, l’incarcération suivie de la confiscation de tous les biens des membres du régime.
L’échec de la plupart des gouvernements en Afrique, malgré la compilation de mandats, est souvent lié à des facteurs qui ont pour noms : manque de visibilité, impertinence des programmes politiques, souvent trop ambitieux et irréalisables, la prédation et l’amateurisme des gouvernants dont la plupart n’a pas le profil adéquat au pilotage des projets. A cela, s’ajoute la politique «politicienne», les invectives pouvoir-opposition entre autres, qui obligent les régimes à rester toujours sur la défensive pour sauver leur mandat et prétendre obtenir un second qui conduit à tous les dérapages. C’est le cas, par exemple, du Sénégal où le Ps a fait quarante ans au pouvoir sans faire du pays ne serait-ce qu’une Nation pré-émergente. Il est vrai, ce serait trop nihiliste de dire qu’il n’a rien fait, car Senghor a, quand même, le mérite de s’être battu pour l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale et d’avoir posé les fondements d’une Nation sénégalaise «démocratique» et stable. Mais, il n’est point abusif de faire savoir que toutes les pratiques prédatrices dévoilées sous Wade grâce au développement des médias, ont pris naissance et se sont développées sous le régime socialiste : les quotas dans les recrutements, les détournements de deniers publics, l’enrichissement sans cause, la corruption, le mensonge d’Etat, etc. Le Président Wade, candidat, avait promis de mettre fin à tout cela et de régler le conflit casamançais en cent jours. Il a fait douze ans au pouvoir, mais le conflit est resté. Son second mandat , avait été un mandat de trop ; mandat de tous les scandales et de toutes les dérives. Le régime de Macky Sall est en place depuis trois ans. Et, malgré sa volonté de restaurer l’Etat de droit en combattant l’injustice et l’impunité et d’asseoir une gestion sobre et vertueuse, le Peuple estime, à raison, que rien de concret n’a encore été fait par rapport aux attentes dans les domaines des infrastructures, de l’emploi des jeunes, de la sécurité publique, de l’éducation, etc. Et Dieu sait que les «apéristes» n’adhèrent pas à la volonté de Macky Sall de réduire son mandat de sept à cinq ans. Tout le prouve, et certains sont allés jusqu’à déclarer que le Président doit faire du «wax waxeet» (dire et se dédire) pour la raison que cinq ans s’avèrent insuffisants pour dérouler le plan d’actions prioritaire du Pse 2014-2018. Le gouvernement de Dione peine encore à trouver des solutions aux doléances des différentes couches de la société. Bref, il faut impérativement à Macky un second mandat, comme d’habitude, «pour terminer ses projets».
Si nos dirigeants n’arrivent jamais à réaliser leurs programmes politiques en deux, trois voire quatre mandats de cinq à sept ans, alors pourquoi ne pas limiter le mandat présidentiel à un seul, non renouvelable ? L’avantage ici, c’est que le Président élu pour un mandat unique, tout en sachant qu’il n’est pas rééligible, ne faillira pas de se mettre au travail. N’ayant qu’un mandat unique, il cessera d’être le chef de son parti et, probablement, brisera toutes les chaines de contraintes liées à la nécessité de promouvoir des proches et de se plier aux exigences de certains lobbies pour obtenir d’autres mandats. Libre, il portera nécessairement son choix sur des hommes de valeur, compétents et vertueux pour réussir son mandat. Le mandat unique pourrait également constituer, à notre avis, un excellent moyen d’amener des compétences, tapis dans l’ombre, à faire de la politique en participant à la gestion étatique et, au pays, d’avoir, comme disent les Anglo-saxons, «The right man at the right place («L’homme qu’il faut à la place qu’il faut»). Un mandat présidentiel unique pourrait servir d’antidote au tumulte de la «politique politicienne», aux invectives pouvoir-opposition, à la campagne électorale permanente qui empêchent les gouvernants de se concentrer sur leur programme et de prendre correctement en charge les préoccupations de leurs Peuples. La politique cessera d’être un eternel recommencement. Elle cessera également d’être une aubaine pour des «sans métier» et deviendra la chasse gardée des intellectuels, des ingénieurs, des cadres et techniciens de haut niveau et, dans une certaine mesure, des travailleurs «informels» consciencieux, sérieux et méritants de la société. Ainsi, un Président élu pour un mandat unique, n’étant plus préoccupé par sa réélection et jouissant d’une liberté inaliénable, sera fort et efficace dans la réalisation de son programme. Et l’Afrique sortira de la décrépitude et du chaos à la stabilité politique et au progrès économique et social.
Moustapha CAMARA – Professeur d’histoire et de géographie
Source: Le Quotidien