L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo appelle les acteurs de la crise qui ébranle le Mali à trouver un compromis, et met en garde contre les risques que font peser une déstabilisation du pays sur l’Afrique de l’Ouest.
Les récents événements au Mali ont attiré l’attention sur l’instabilité et la méfiance qui prévalent dans le pays depuis la signature de l’accord de paix d’Alger, en 2015.
Les 5 et 19 juin, des milliers de personnes sont descendues dans la rue, exigeant notamment la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Les sources de leur mécontentement sont nombreuses : celui-ci est en effet directement lié aux accusations de corruption et d’incompétence qui visent régulièrement l’administration IBK, mais aussi à la lenteur des progrès réalisés dans la lutte contre l’insécurité dans le Nord et le Centre, à la pauvreté, au chômage et à la récente controverse autour des résultats des élections législatives d’avril.
Insatisfaction généralisée
Ce ne sont pas les premières manifestations de cette nature au Mali, mais elles sont cette fois-ci différentes pour deux raisons. D’abord parce qu’elles bénéficient du soutien d’un large éventail d’acteurs, de l’imam Dicko, qui n’est pas un nouveau venu sur la scène malienne, aux syndicats et à la société civile, en passant par une partie de la classe politique et par certaines composantes du secteur de la sécurité.
Ensuite parce que les manifestations bénéficient du soutien d’une grande partie de la population, et trouvent un écho particulier chez les jeunes, plus de 70 % d’entre eux exprimant leur mécontentement à l’égard du chef de l’État selon un récent sondage d’Inferentielle Opinion Research. Cela suggère une insatisfaction généralisée qui devrait inquiéter les dirigeants du Mali et la communauté internationale, qui a approuvé et soutenu la mise en œuvre de l’accord de paix.
Les troubles dont nous sommes les témoins sont très préoccupants compte tenu de l’impact qu’une escalade pourrait avoir sur environ 19 millions de citoyens et compte tenu de ce que la déstabilisation du pays pourrait signifier pour l’Afrique de l’Ouest.
Le Mali est la digue. Si elle saute, une vague d’insécurité menacera toute la partie occidentale de l’Afrique.
Toute la sous-région pourrait en subir les conséquences, du Sénégal au Niger, en passant par le Burkina Faso. Et ne nous y trompons pas : si ces pays trébuchent, les États côtiers que sont la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin et la Guinée ne seront pas à l’abri. Le Nigeria non plus.
Le Mali est la digue. Si elle saute, une vague d’insécurité menacera de déferler sur toute la partie occidentale de l’Afrique.
Négocier un compromis
Trois questions doivent donc être réglées en urgence. D’abord, il faut négocier un compromis qui mette fin aux protestations et apporte un soulagement immédiat sans compromettre la démocratie, la sécurité et les droits de l’homme. C’est une bonne chose que le président IBK et ses alliés politiques, d’une part, et l’imam Mahmoud Dicko et les représentants du M5-RFP, d’autre part, aient fait preuve d’ouverture, se soient dit prêts au dialogue et continuent d’interagir avec les diplomates et les médiateurs, notamment ceux des Nations unies et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Mais il faut aussi assurer la mise en œuvre de l’accord de paix signé il y a cinq ans et, si besoin, y apporter les ajustements nécessaires pour répondre aux nouvelles réalités grâce à des consultations inclusives avec toutes les parties prenantes.
Enfin, il faut tenir compte de l’influence de la géopolitique dès lors que l’on parle du Mali et s’assurer de la coopération et de l’engagement des principaux acteurs extérieurs pour garantir la paix, la stabilité et la croissance de ce pays.
Édification d’un État laïque
Alors que l’attention du monde est focalisée sur la pandémie du Covid-19, l’Afrique doit prendre l’initiative par l’intermédiaire de ses institutions et de ses dirigeants, tant au niveau régional que continental. Il faut impliquer la Cedeao, l’Union africaine et le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. La communauté internationale doit soutenir ces efforts, et les dirigeants politiques maliens doivent être prêts à faire des compromis afin de trouver des solutions viables et durables.
La séparation entre l’État et la religion doit être protégée ».
La paix et la bonne gouvernance au Mali favoriseront l’édification d’un État laïque, démocratique et économiquement stable. Si la promotion de la sécurité est essentielle, elle ne doit pas se faire au détriment de la démocratie et des droits de l’homme.
La séparation entre la religion et l’État doit être protégée pour assurer une participation de tous à la reconstruction du Mali. Il faut lutter contre la corruption pour répondre aux aspirations du peuple et faire en sorte que la reddition des comptes deviennent la norme.
Une réponse à la situation actuelle doit être apportée rapidement et de manière globale. L’UA a déclaré qu’elle ambitionnait « de faire taire les armes en Afrique » en 2020, et les attentes sont grandes. Faisons en sorte que cela commence au Mali, avec des solutions qui placent le bien-être des Maliens au-dessus de toute autre considération politique.