Les vendeuses prétextent la crise politique et l’hivernage pour justifier l’augmentation, les ménagères dénoncent une passion excessive pour l’argent et une pratique qui tue le marché.
Si l’hivernage nous livre les aliments frais de la nature, il nous prive de certains condiments essentiels pour une sauce délicieuse. Qui pour préparer sans la viande, ni le poisson, encore moins l’oignon et l’ail ? Les prix de ces produits, indispensables au panier de la ménagère, ont pris l’ascenseur. Le poisson de mer voit son prix grimper en flèche depuis le début de la saison pluvieuse. Importé de plusieurs pays voisins, il permet aux familles plus ou moins aisées de profiter, elles aussi, des bienfaits du vertébré aquatique (riche en protéine).
Le poisson de mer a comblé le fossé entre les couches de la société. Autrement dit, les riches ne sont pas les seuls à l’avoir dans l’assiette. Les moins nantis eux aussi grâce au prix abordable peuvent se le procurer. Du moins cette idée couvait dans le cœur de Mme Sylla jusqu’à ce que la réalité vienne la rattraper ce matin du 15 septembre. Avec peu d’argent, elle repart habituellement avec assez de poissons. Mais cette année, les prix sont vertigineux et l’étonnement est à son comble chez la ménagère.
Le mets du jour de la bonne dame risque de décevoir plus d’un. Au marché « Soukouni-Coura » qu’elle connaît sur le bout des doigts, quel ne fut pas son étonnement ! La vendeuse de poissons lui citait les nouveaux prix qui lui ont ôté momentanément l’usage de la parole ?
La surprise s’exprimait dans tout son corps. Finalement, Mme Sylla marmonne inconsciemment les prix « 700, 750 Fcfa pour les petits poissons, 900 et 1.250 Fcfa pour les grands ». Ayant, pour ainsi dire, retrouvé la lucidité, elle rétorque non sans énervement à la vendeuse. « Mais c’est trop cher ! C’est loin du prix habituel, pourquoi cette augmentation ?», interroge-t-elle. La réponse de la mareyeuse ne se fait pas attendre. «Je ne suis qu’une revendeuse, vous savez tout ce qui se passe dans ce pays».
La discussion prend des allures de polémique. «C’est pas une raison ! Vous n’êtes que des sangsues (Ndlr un ver à anneaux aquatique qui se nourrit de sang), vous sucez notre sang ! », réagit violemment la ménagère. Elle venait d’obtenir l’opportunité de déverser sa bile par rapport à l’augmentation du prix du poisson. « C’est vrai que nos frontières sont fermées, mais les denrées de première nécessité sont exemptes des sanctions de la Cedeao. Il ne doit donc pas y avoir une telle différence», ajoute-t-elle.
Entre 200 à 250 Fcfa. La différence constatée sur le kg du poisson varie entre 200 à 250 Fcfa. L’écart est assez grand, en tout cas suffisant pour mettre en colère les ménagères qui n’apprécient guère la situation. Prise de court par la réaction de la clientèle, la mareyeuse reste sans réaction, jusqu’à ce que sa voisine, une autre commerçante vole à son secours. « Vous savez mesdames, en cette période d’hivernage tout devient cher, la mer prend du volume et les poissons sont difficiles à pêcher. Idem pour les poissons d’eau douce, plus le fleuve montre, plus les poissons vont au fond de l’eau et nos pêcheurs ne trouvent que des petits poissons. En outre, dans peu de temps ces petits poissons vont inonder le marché. Mais une chose est sûre, le prix de poisson a toujours été instable », soutient la dame, avant de préciser que le prix peut varier au moins deux fois dans la journée.
Pour elle, certains cartons de 20 kg ont augmenté jusqu’à 5.000 Fcfa, ce qui influe forcement sur la vente. Au marché « Soukouni Coura », appelé aussi marché du poisson, la machine commerciale est grippée en ce moment et le prix y est pour quelque chose. Selon les avis de diverses vendeuses, elles ne cherchent que 50 Fcfa sur le kg. Libre de croire qui veut.
Pour tirer son épingle du jeu Mlle Haïdara a fait le choix d’un marketing agressif pour écouler beaucoup de marchandises. Grâce à son sourire et à sa bonne humeur, difficile pour la clientèle de s’échapper de ses griffes. « Venez voir, je vous offre le meilleur prix de la place. Je ne cherche pas à faire du surprofit, tout le monde gagne avec, c’est du poisson sain».
Sans doute, accueillant toujours les clientes avec bonhomie, elle semble s’en sortir mieux que les autres. Dans ce marché idéal pour faire la provision du mois, on y trouve presque tous les aliments surtout ceux qui sont importés, à moindre coût. Poisson, « attiéké »,« aloco », pomme de terre, avocat, oignon, ail etc… Mme Sylla faisait ses achats mensuels. C’est avantageux de procéder ainsi, car il y a toujours une différence entre le prix d’ici et ceux des autres marchés.
« Le poisson que j’achète ici à 700Fcfa le kg est cédé dans mon quartier à 1.000 Fcfa et ceux de l’eau douce que l’on a ici à 1.250 le kg est vendu chez nous à 2.000 Fcfa». Selon cette femme au foyer, il faut reconnaître que les gens n’ont pas d’argent, elle qui fait sa provision mensuelle habituellement, se contente cette fois-ci de celle d’une semaine.
Pour Mme Diallo Balki Traore, le prix de certains produits grimpe en flèche. L’ail, le persil, l’oignon, tout est hors de portée. En « plus du poisson, je viens d’acheter un kg d’oignon à 500 Fcfa, c’est trop cher pour le citoyen lambda, pire ça peut culminer jusqu’à 750 Fcfa», s’indigne-t-elle. à l’en croire, l’idée de faire le marché, en ce moment, effraie plus d’une ménagère, car on peut dépenser tout l’argent de la popote pour peu d’aliments.
Pendant la période de grande chaleur, le poisson importé est abondant et le prix est bas. Maquereau Shasha, Tilapia, Milieu, Tiopa Zébré sont, entre autres, variétés qui inondent nos marchés. Elles sont importées du Sénégal, du Maroc, de la Mauritanie, de la Chine, de la Côte d’Ivoire, nous confie Koura Traore, âgée d’une trentaine d’années. Cet après midi, sous un temps orageux, Koura reste couchée sur un banc, couverte d’un pagne alors que les clientes cherchent à retourner à la maison pour se mettre à l’abri d’une éventuelle pluie.
Elle à l’air d’être mal en point, soulevant la tête, elle déclare : quand il pleut, il y a peu de poissons. Au moment de chaleur, les poissons importés, les fruits de mer inondent ici. Elle souligne que les revendeurs viennent de partout s’approvisionner comme en témoignent ces cartons de poissons vides qui pullulent dans son lieu de travail.
Grande commerçante, elle distribue jusqu’à 100 cartons le matin et attend le soir pour récupérer la recette du jour auprès de ses débitrices. Elle se retourne les pouces avec comme seuls compagnons, les cartons vides et un essaim de mouches, mais sûre de son fait. Après tout, un carton enlevé par une revendeuse, est assurément un souci de moins. Des soucis ? En tout cas, ce n’est pas ce qui peut l’empêcher de dormir puisqu’elle était déjà dans les bras de Morphée à notre second passage.
Maïmouna Sow
Source : L’ESSOR