Récit et dessous d’une visite historique
Il était attendu, il est arrivé. Le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) dont le dernier passage à Kidal remonte au 13 juillet 2013, aux coté du président Ibrahim Boubacar Keita, alors en campagne, a foulé le sol de la capitale de la 8ème région le 23 mars à 10 heures précise, à la faveur de la deuxième étape de sa tournée dans les régions du Nord et du Centre du Mali.
Kidal fut l’apothéose de son périple alors même que la concrétisation de la visite dans la capitale de l’Adrar des Ifoghas n’était pas évidente pour grand monde, sauf pour l’intéressé lui-même qui confiait à un de ses amis, la veille de son départ de Bamako, l’air plutôt amusé : « J’ai l’impression que je vais sur la lune, tellement les gens n’arrêtent pas de m’appeler, souvent pour me faires des bénédictions. Il n’y a rien d’exceptionnel dans ce voyage. Je vais à Kidal comme je vais partout au Mali, à la demande du Président qui a instruit au gouvernement d’être partout à l’écoute et au service des populations ».
Le périple du Premier ministre, a commencé par le cercle de Tessalit où l’accueil bon enfant des populations a placé la visite sous de bonnes augures. SBM devait initialement passer la nuit à Kidal, mais le Chef du gouvernement et les membres de sa délégation furent contraints de dormir à Tessalit la nuit du jeudi 22 mars, en raison de conditions météorologiques particulièrement défavorables (vent de sable et brume de poussière). Il n’en fallait pas plus pour alimenter les rumeurs les plus apocalyptiques sur la visite sur les réseaux sociaux, dans les « grin » de thé et les salons de Bamako.
Pendant que le flot d’intox et de désinformations gagnait Bamako, voici SBM avec son flegme habituel et son calme olympien qui débarque à Kidal, tout de blanc vêtu, en messager de la paix et de la concorde nationale au moment où son gouvernement met la dernière main à un projet de loi d’entente nationale. L’accueil est chaleureux, les gestes de fraternité et d’estime foisonnants. Comme en témoignent le tapis rouge au nec ultra que ses hôtes ont tenu à lui dérouler, en guise de cordiale bienvenue, la haie d’honneur et les accolades spontanées.
Le natif de Gao était attendu, sa visite fut très appréciée. Si à Tessalit un porte-parole des populations a cru y déceler le signe du retour de l’Etat, à Kidal les forces vives ont assimilé la visite à un déclencheur de confiance et de paix retrouvées.
Kidal égrène ses doléances
La rencontre au siège régional de l’autorité intérimaire était un moment de démocratie participative que tous (visiteurs et hôtes) appréhendaient au fond, au regard de l’absence prolongée de l’Etat qui amorce péniblement son retour sur fond parfois de rancœurs. Pour autant, sans excès ni acrimonie, la rencontre avec les forces vives fut un échange franc et direct, en toute fraternité. Il n’y eut ni slogan hostile, ni sifflet désapprobateur à l’évocation mainte fois répétée du mot « Mali », encore moins de diatribe dans les propos. Même le petit lot de porteurs de drapeaux (du Mali et de certains signataires de l’accord) aura consenti de vite baisser la garde pour une écoute quasi religieuse.
Tour à tour, la représentante des femmes de Kidal, le président des jeunes, le président de la délégation régionale commerce et industrie, le représentant des entrepreneurs de la région et celui de la société civile se sont fait le cœur battant et vibrant des attentes des populations et des difficultés de leur région.
Au registre des attentes figure en premier lieu la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, que tous ont qualifié de seule alternative à la paix.
Pour une région vivant presque en autarcie depuis près de six ans, les porte- voix ont relevé l’absence de routes, le besoin en matière d’éducation et de santé, d’accès à l’eau potable, les inquiétudes de la période de soudure qui s’annonce rude pour les hommes et le bétail en raison de la mauvaise pluviométrie de l’année dernière, le taux élevé d’analphabétisme et le chômage, notamment des jeunes. Dans leur enthousiasme, ces derniers ont demandé le recrutement d’une cinquantaine des leurs dans la fonction publique, des formations professionnelles adaptées aux besoins locaux, la construction d’un camp de jeunesse, la réhabilitation de la maison des jeunes et des infrastructures sportives de la région.
Les forces vives ont également sollicité pour une relance de l’économie à travers le soutien aux commerçants détaillants, à l’élevage et à l’artisanat, ainsi que l’octroi de marchés de réhabilitation des infrastructures aux entrepreneurs locaux
Les annonces de Kidal
Le Premier ministre a remercié ses concitoyens de Kidal pour leur accueil chaleureux et fraternel qui, de son avis, est un honneur fait au président Ibrahim Boubacar KEITA qui l’a missionné. Sa venue est l’expression de la volonté de l’Etat d’être présent partout, tout autant que l’égrenage par les populations de leurs doléances a été assimilée par le premier ministre au besoin d’une plus grande présence de l’Etat.
Pour montrer que l’Etat utile que le président IBK promeut à travers son programme d’urgences présidentielles, Soumeylou Boubèye Maïga a annoncé, pêle-mêle, un don de deux ambulances aux centres de santé de Tesssalit et de Kidal, la mise à disposition de 3500 tonnes d’aliment bétail, la réhabilitation de l’Institut de formation des maîtres (IFM) d’Aguelhok, la construction d’un deuxième second cycle à Tessalit, un don de 5 millions de F CFA au Centre de formation professionnel de Kidal, la réhabilitation du camp des jeunes de Kidal, la formation par le Fafpa de 500 jeunes sur place à Kidal, la réhabilitation par des entreprises de la 8ème région des bâtiments de l’Etat, ainsi que la mise à disposition de deux cent millions FCFA en faveur des commerçants détaillants de la région. Mais le Chef du Gouvernement a averti que la condition sine qua non du respect des engagements et des ambitions de l’Etat est la paix, la sécurité et la stabilité à laquelle tous les citoyens doivent contribuer en choisissant clairement leur camp, en se démarquant des groupes terroristes et des réseaux de trafiquants.
SBM a redit l’engagement du gouvernement qu’il dirige à mettre en œuvre l’accord de paix signé en 2015 et sa détermination à combattre et à neutraliser les ennemis de la paix. Il a terminé son adresse aux populations par un appel à l’unité, au rassemblement et à la cohésion sociale, en usant de la métaphore sportive du vélo à double pédale en ces termes : « Si deux personnes qui montent le même vélo pédalent à contresens, il est clair que le vélo ne bougera pas. Tandis que la force additionnée de leurs pédales produira l’effet contraire, c’est à dire qu’elle propulserait le vélo à la vitesse souhaitée ».
Les enseignements de la visite
« Je vais à Kidal sans arrogance » avait tenu à préciser le Premier ministre à certains médias internationaux la veille de son départ pour un périple de cinq jours à l’intérieur du pays. Cette phrase est révélatrice du style de gouvernance de SBM faite d’écoute et de méthode. Aussi bien à Kidal que dans les autres localités visitées (Tessalit, Gao, Tombouctou, Koro, Bankass, Badjangara, Djenne), le Premier ministre a dit et répété qu’il vient avec le sens de l’écoute, du respect et de la considération pour tous. Sa démarche et son style fait d’humilité et de pragmatisme redonnent aux yeux des populations du crédit à l’Etat.
De l’avis des populations et des élus des localités visitées, le succès dont es été couronnée la visite du Premier ministre à Kidal et dans l’ensemble des sept villes visitées est porteuse de deux grands enseignements. Primo, le 23 mars 2018, date de son arrivée à Kidal a permis de tourner la page sombre et traumatisante pour tout le Mali du 21 mai 2014. Cet épisode douloureux a en effet généré un recul grave des acquis du fragile équilibre apporté par la libération des régions du Nord en 2013 par l’opération SERVAL et les FAMAs.
Secundo, l’image d’unité publiquement et ostensiblement affichée par l’Aménokal Mohamed Ag Intalla et Soumeylou Boubèye MAIGA est emblématique du vent nouveau qui souffle sur le processus de paix et de réconciliation au Mali que l’on peut résumer en ces termes : construire l’avenir ensemble et en confiance sur les décombres du mur de méfiance qui a pour le moins entraver la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Il appartient à présent aux parties maliennes de capitaliser les résultats probants et les enseignements positifs venus de Kidal en mettant leur pays sur une trajectoire porteuse de paix, de stabilité et de développement.
Une correspondance particulière de de
Oumar Dicko
Les echos