Production et commercialisation des produits laitiers, entretien des petits ruminants, construction des habitations… la femme est particulièrement active. Mais son rôle de cheville ouvrière n’est pas reconnu à sa juste valeur.
Le pastoralisme, moyen de subsistance basé sur l’élevage des troupeaux, est depuis la nuit des temps pratiqué dans notre pays. Peuls, maures, tamasheqs… sont les ethnies qui pratiquent l’élevage par excellence. Même si de nos jours, beaucoup d’autres ethnies exercent cette activité qui, du coup, couvre l’ensemble du territoire de notre pays. C’est une activité économique au sein de laquelle la femme représente un maillon essentiel. Quel est donc son rôle ? Et quelles sont les difficultés qu’elle rencontre dans l’accomplissement de ce rôle ?
Quand on parle du pastoralisme en sa présence, Fadimata Wallet Alkalifa, se sent tout de suite interpellée. De passage à Bamako pour participer à une rencontre sur le pastoralisme, elle a accepté d’échanger avec nous sur le sujet. Membre de la coordination des femmes rurales de Goudam, Fadimata Wallet Alkalifa est intarissable sur le secteur.
Nous l’avons rencontrée dans le quartier de Niamana où un groupe lui tenait le crachoir. Elle parlait du passé glorieux d’un secteur qui endure aujourd’hui les affres de l’insécurité. « Je trayais du lait et nous en vendions une bonne partie. Avec l’argent de cette vente, nous achetions de la nourriture et des habits pour toute la famille », se souvient Fadimata Wallet Alkalifa. Elle est nostalgique de cette époque car la situation actuelle est loin d’être enviable à cause de la crise qui sévit dans notre pays. « Nous, femmes pasteures, sommes vraiment perdues », se lamente-t-elle.
Les femmes pasteures, dans le passé, jouaient un rôle prépondérant dans le pastoralisme, confirme Amadou Diallo, commerçant au marché de bétail à Niamakoro. « Quand elles n’accompagnaient pas leurs maris à la transhumance, les femmes cardaient la laine des moutons pour en faire des boubous, des tapis et des couvertures qu’elles mettaient dans les trousseaux de mariage de leurs filles », témoigne le quinquagénaire.
Dans la pratique pastorale, les chefs de famille transhument avec leurs troupeaux à la recherche de pâturage et du précieux liquide qu’est l’eau. Dans ces déplacements qui peuvent durer quelques mois, les hommes se font accompagner par leurs femmes. Il arrive que la femme s’occupe des bêtes lorsque son mari n’est pas en état de le faire. « Quand le chef de la famille était malade et s’il n’y avait pas de jeunes garçons dans la famille, c’est la femme qui prenait le relais. C’est elle qui faisait paître les animaux. Elle trayait non seulement les vaches, mais s’occupait également de la vente du lait. Ce qui lui permettait d’assurer le prix de la popote ainsi que toute la gestion financière de la famille », explique Amadou Kébé, vieux berger du Macina résidant actuellement au Quartier sans fil de Bamako.
Née et grandie dans le métier, la présidente de la coordination des femmes rurales de Goundam, Intinine Wallet Hamana insiste sur les difficultés auxquelles fait face le monde des éleveurs. A ses dires, les éleveurs ont besoin de points d’eau, d’écoles pour nomades afin d’assurer la formation en élevage ainsi que des Centres de formation artisanale. Selon Mariama Wallet Mohamed El Moctar, également membre de la même coordination, ce sont les crises qui sont à l’origine des difficultés du secteur de l’élevage. « Lors de la crise de 2012, mon mari et moi avons été contraints de quitter Goundam tout en y laissant nos 60 têtes de bœufs et plus d’une centaine de moutons sous la garde de notre berger. Ce dernier a tout vendu. On n’a rien actuellement », regrette-elle. Pour le président de l’association Tabital Pulaaku, Abdoul Aziz Diallo, « chez les peuls, la femme constitue la cheville ouvrière de la transhumance». Ce sont elles qui s’occupent non seulement de la traite, mais aussi de la conservation et du transport du lait des animaux au marché. Elles s’occupent également de la construction, du démontage et de l’emballage des huttes des campements.
DE LONGUES DISTANCES à PIED-Notre interlocuteur pointe du doigt le fait que plus souvent les femmes sont obligées de parcourir de longues distances à pied lors de la transhumance. Autre difficulté qu’endurent les femmes : l’absence des services sociaux de base dans les zones où elles habitent. Jusqu’à présent, certaines femmes accouchent sous les arbres en brousse. Le dirigeant de Tabital Pulaaku invite les autorités à organiser des caravanes dans les brousses afin d’assurer le traitement, les consultations prénatales (CPN) et les accouchements des femmes des éleveurs.
L’insécurité a aggravé la situation. Abdoul Aziz Diallo ajoute que son organisation héberge des femmes qui vivent désormais avec le choc psycho-social car, pendant la crise, leurs maris ont été atrocement tués en leur présence.
Le rôle déterminant des femmes dans le pastoralisme est souligné aussi par le président national du Réseau des peuples pasteurs du Sahel (RPPS), Aboubacrine Ag Mohamed Mitta. « Ce sont les femmes qui s’occupent, en marge du ménage, de la transformation du lait en beurre, en fromage et de l’entretien des petits ruminants (moutons, chèvres…) », a-t-il précisé.
Le président national du RPPS invite le gouvernement à accompagner et appuyer les associations de femmes, surtout celles qui font de la transformation des produits laitiers et des peaux d’animaux. L’appui pourrait consister à leur faciliter l’accès aux foires afin qu’elles puissent écouler leurs produits.
Malgré son importance capitale dans le pastoralisme au Mali, le rôle de la femme est mal connu. C’est du moins ce que pense l’experte genre du Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS), Mme Kéita Sira Soumaré. « Les principaux rôles des femmes sont les soins et l’alimentation des animaux, la production laitière, la transformation du lait et la transformation des peaux des animaux en sac notamment dans le nord du pays », a-t-elle affirmé.
En ce qui concerne les difficultés de ces femmes, l’experte genre énumère notamment la non reconnaissance de leur rôle important, la non appartenance des troupeaux aux femmes et le problème d’accès des marchés à bétail. Des préjugés socioculturels interdisent aux femmes d’aller vendre leurs propres animaux au marché. La vente des bêtes au marché est réservée aux hommes. Les femmes doivent avoir l’autorisation des hommes pour vendre leurs propres animaux. Et pire, ce sont les hommes qui décident également du prix. « Il s’y ajoute le fait que les hommes veulent se mêler de la production du lait et du contrôle des revenus de leurs femmes », dénonce-t-elle.
A propos des initiatives entreprises par son projet afin d’aider les femmes, Mme Kéita révèlera que sa structure leur accorde la priorité en leur réservant 30% des activités. Selon elle, en trois ans, son projet a financé 25 centres de collecte de lait comprenant plus d’une centaine de groupements de femmes, notamment dans les bassins laitiers de Sikasso et de Mopti. A travers des campagnes de sensibilisation, le PRAPS a incité près de 45.000 femmes à amener, elles-mêmes, leurs animaux aux différentes vaccinations. Le projet en question a aussi organisé, selon l’experte genre, des séances d’information, de sensibilisation et de formation des femmes en soins vétérinaires.
« La culture et les mœurs existent, mais il faut donner la chance aux femmes de s’exprimer afin qu’elles puissent dire ce qui est leur intérêt », fait remarquer notre interlocutrice qui rappelle qu’en aidant une femme, on aide un ménage sinon toute une communauté.
En dépit des difficultés conjoncturelles, le secteur de l’élevage pourrait apporter beaucoup plus au pays si l’Etat construisait des unités industrielles pour la transformation des produits laitiers. A ce titre, l’initiative du département de l’Élevage et de la Pêche de construire des centres de collecte et de transformation primaire du lait cru local notamment dans plusieurs bassins laitiers et la pose de la première pierre de l’unité de transformation laitière dans la zone industrielle de Bamako est salutaire. Ces différentes initiatives permettront, selon plusieurs interlocuteurs, de capitaliser les efforts des femmes et d’assurer leur autonomisation à long terme.
Mariam F. DIABATé
L’Essor