L’agonie de la classe politique malienne se poursuit et pourrait difficilement ne pas déboucher sur une disparition pressentie depuis l’avènement de la Transition. Il n’y a certes pas, pour l’heure, de dissolution sous la forme et avec la célérité réclamées à cor et à cri par les participants aux Assises nationales de la Refondation, mais tout porte à croire que ce destin colle toujours à la peau des partis politiques. En témoigne pour le moins la rudesse avec laquelle est entrée en vigueur le décret controversé qui suspend leurs activités ainsi que celles des associations à caractère politique.
En plus de la paralysie infligée aux formations politiques par la confiscation des subsides que leur accorde les textes en vigueur, leur tribut à cette mesure se paie par une impitoyable machine répressive. Elle s’exerce à travers la justice, qui vient de faire parler la terreur à travers l’inculpation et l’incarcération d’une dizaine de leaders politiques accusés d’avoir bravé l’autorité de la Transition en contrevenant à sa décision d’interdire les activités politiques. Y figurent deux anciens ministres d’obédience Adéma ainsi que les représentants d’autres grands noms de l’espace politique malienne dont le RPM, le PDES, etc. Il n’y a certainement pas meilleur moyen d’exploiter la torpeur d’une classe politique malienne sous l’éteignoir de l’opinion et dont les composantes à peine ne s’en résignent par crainte de représailles pour d’aucuns, soit par indifférence très peu désintéressée pour d’autres. C’est l’impression qui se dégage, en tout cas, de la faible vague d’indignations suscitée par un décret qui n’épargne aucune tendance et dont toutes admettent le caractère arbitraire voire anticonstitutionnel. Intervenue dans la foulée des préparatifs d’un Dialogue Inter-Maliens déprécié par le boycott des forces politiques les plus représentatives, la suspension des activités politiques faisait figure pourtant de simple mesure temporaire censée s’éteindre en même temps que les lampions de l’événement l’ayant motivée. Mais, depuis que ce même Dialogue a déverrouillé les portes de la compétition électorale au président de la Transition, le décret joue soudainement le rôle d’un traquenard habilement entretenu à des fins d’aseptisation de l’arène politique au gré d’un projet électoraliste à peine voilé. On s’y prend notamment par une application sélective de son contenu avec un boulevard de permissivité grande ouverte aux tendances les plus acquises et un déchaînement répressif contre toute concurrence potentielle. L’atmosphère de terreur qui en résulte préfigure par conséquent le règne d’un «one man show» sans commune mesure dans le Mali démocratique et des libertés publiques : tandis que des acteurs politiques sont coincés dans une muselière restrictive de leur vocation à briguer les suffrages, un président de la Transition et non moins candidat putatif qui déploie sans limite son armée de conquête de l’opinion. Ce scénario de privilège exclusif – s’il n’est déjà pas effectif – est d’autant plus plausible que la mesure privative s’apparente à un assassinat programmé : pas de réunions, pas d’assises, pas d’animation des structures de base, pas de revenus ni d’espace de souscription aux moyens de financement de leurs charges.
La suspension des activités n’est pas distincte, en définitive, d’une dissolution de fait que la classe politique avale comme une couleuvre avec le risque d’être prise de court par une subite convocation du collègue électoral alors que le fonctionnement normal des partis est suspendu à un décret qu’aucun délai n’encadre.
A KEÏTA