Derrière les arguments techniques de rationalisation et de stabilité, se dessine une incapacité chronique des acteurs politiques eux-mêmes et une bonne frange de la société civile, à qui il leur difficile sinon impossible à reconnaître tout simplement leurs parts d’erreurs et leur degré de responsabilité dans les multiples échecs qui ont jalonné l’histoire récente du Mali (1992-2023). Cette absence d’autocritique sincère et constructive hypothèque toute tentative de réconciliation véritable et entrave l’émergence d’un aggiornamento démocratique fondé sur une démocratie participative revitalisée.
Depuis l’indépendance, le Mali a oscillé entre espoirs déçus et crises multidimensionnelle : Indépendance acquise, éclatement de la Fédération du Mali, Mali nouveau et fin de régime de l’Us-Rda, le seul parti qui méritait estimes et considérations à coté de ses rivaux de l’époque. Le système partisan de l’Aube des années indépendances, loin d’être un vecteur de progrès et d’unité, s’est souvent mué en une arène de rivalités exacerbées, de clientélisme et de reproduction des élites. Il a fallu la parenthèse 1968-1978 du Comité militaire de Libération national (Cmln), puis l’expérience unilatérale (1979-1989) du monopartisme par l’institutionnalisation du parti constitutionnel et unique (Union démocratique du Peuple malien – Udpm) pour que la question de la libéralisation politique se pose en faveur de l’élargissement, de l’intégration, du pluralisme politique et du respect des droits de m’Homme et du citoyen à travers la reconnaissance des libertés fondamentales et formelles. Ce qui aboutit bien évidemment au Mouvement démocratique de mars 1991, qui a vu des corps de métiers du syndicat unique (Untm) et de la magistrature, des soldats et officiers coalisés, des jeunes élèves, étudiants chômeurs ou diplômés participer collectivement à travers leurs associations et figures leaders de l’époque de renverser le régime partisan de l’Udpm pour initier une courte transition de 14 mois. Le gouvernement d’unité nationale et le Comité de Transition pour le Salut public (Ctsp) qui fait office de contre-pouvoir et d’instance parlementaire de régulation et de validation des décisions prises par le gouvernement ont solidairement géré cette période d’après coup d’État jusqu’à son terme sans embrouille. Amadou Toumani Touré qui tire sa popularité de là, avait eu l’intelligence d’associer dans son gouvernement de transition des membres de diverses obédiences politiques, brouillant les frontières entre l’opposition traditionnelle incarnée par les partis en voie d à création tout au long de l’année 1991, et donnant à l’acte fondamental qui avait supplanté le parti unique et la Constitution de la 2eme République sous Moussa Traoré toute sa prééminence dans la consolidation des structures de l’Etat et la restauration de l’autorité publique. Ainsi réussit-il à replacer le Mali sur la scène internationale et à passer le témoin du pouvoir au nouvel président légitimement élu, en la personne du Professeur Alpha Omar Konaré, le 8 juin 1992. Dans l’intérêt de la stabilité nationale, le Pacte national pour la paix et la stabilité au nord du pays avait été aussi signé quelques semaines plutôt, en avril 1992.
L’histoire des coalitions et regroupements politiques d’opposition ou corporatistes au sein de la classe politique malienne de 1992 à 2025 est donc rendue complexe depuis cette première élection dont les législatives avaient précédé la présidentielle. Alpha Omar Konaré gagne face à Tiéoulé Mamadou Konaté… Ce bref aperçu rétrospective nous permet d’entrer dans la critique des principaux partis qui font le paysage politique malien, pour dire que l’ère du multipartisme au Mali a été de très courte durée dans les (1992 – 2002), sinon au début des années 2000, la grande sélection naturelle était effectuée par les départs de cadres et élus de partis et des scissions à n’en pas finir.
L’émergence tant espérée d’une vraie opposition démocratique, loyaliste et républicaine a si fait défaut qu’à la fin du régime de parti unique les élections de 1992 ont inauguré un système monopartiste avec le chef président fondateur et décideur. Les militants transformés en moutons de panurges, nombreux partis politiques ont vu leur effectif se réduire à zéro par finir, autant leur inexistante de fait. Et l’opposition qui était initialement fragmentée avec les départs et les créations abusifs de tendances politiques ensuite érigées en partis fractionnistes n’avait plus de voix ni d’arguments. À la réélection d’Alpha Omar Konaré en 1997, ils choisissent tous de boycotter l’élection pour délégitimer celui-ci en posant le débat de sa reconnaissance par des « traîtres et collaborateurs » et le Black out que lui imposait l’autre tendance. Cela fragilisa beaucoup son parti qui était majoritaire et finit par voler en éclat à la faveur de la fin de son mandat second et dernier. Parmi ces partis d’opposition importants de cette période figuraient le Congrès National d’Initiative Démocratique (CNID) dirigé par Mountaga Tall et l’Union Soudanaise-Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA). D’autres petits partis d’opposition formaient souvent des coalitions ou des alliances temporaires pour participer aux élections présidentielles et législatives, dans le but de présenter un front uni contre le parti au pouvoir (l’Alliance pour la Démocratie au Mali – Adema-Pasj). Ces coalitions étaient souvent fluides et axées sur des enjeux spécifiques.
Il a fallu le milieu des années 2000 – 2012 pour assister à la disparition progressive des partis avec la consolidation des alliances affirmées de plus de 47 partis en faveur de la réélection du président Amadou Toumani Touré succédant à Alpha Omar Konaré, le 8 juin 2002, après lui avoir cédé les signes du pouvoir dix ans plus tôt le 8 juin 1992. La démocratie malienne était à la bonne heure mais les partis avaient majoritairement manqué au rendez-vous de l’histoire. Au décompte final, comme lors de la réélection d’Alpha Omar Konaré, ATT sera lui aussi victime de leur larbinisme. Alors qu’il s’attendait à une opposition formelle plus structurée et moins conflictuelle, au fil du temps, il remarqua que l’opposition malienne était trop centriste pour être républicaine. Il commença à prendre ses distances mais c’était trop tard car il arrivait déjà au soir de son deuxième mandat.
Les partis au Mali ne partageant pas des idéologies ou des objectifs inhérents à leur projet de société ont commencé à décliner durablement. L’introduction de l’argent comme moyen sûr d’acheter des voix et des consciences vint précipiter ce déclin. Formés par la nation, embauchés par l’Etat sur concours et mis en fonction aux postes indiqués ces mêmes fonctionnaires enseignants, magistrats et agents des administrations publiques vont restituer aux populations par blanchiment une partie négligeable des deniers publics.
Toutes choses que le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie et Contre la Corruption (FASDC), une coalition significative qui a émergé à l’approche des élections de 2007, uni à divers partis contre le président sortant Amadou Toumani Touré, n’a pu endiguer jusqu’à la survenue du faux coup d’État du 22 mars 2012 qui avait mis à nu l’Etat désormais entre les mains d’étrangers qui tiraient les ficelles depuis leur quartier général.
De 2012 à 2020, malgré l’élection en 2013 et la réélection en 2018 d’Ibrahim Boubacar Kéïta, le pays se cherchait et connaissait un affaiblissement des structures politiques. Période mise à profit pour décrédibiliser toute la classe politique: Le coup d’État militaire de 2012 et la crise sécuritaire qui a suivi dans le nord, vont considérablement épuiser le capital- crédit des acteurs politiques rendus responsables de cette agression à visage découvert du pays par des éléments djihadistes, rebelles, terroristes et mercenaires appelés groupes armés ou groupes tactiques opérationnels dans le langage militaire des pays sponsors de cette nouvelle guérilla. Perturbé, le paysage politique s’adapta tant bien que mal en cherchant à diversifier ses acteurs et les types d’alliance. Le centre de gravité de l’actualité s’est progressivement déplacé des hommes politiques devenus des hommes ordinaires vers d’autres leaders charismatiques, prêcheurs et tribuns religieux qui prônent l’unité nationale et la réconciliation au lieu de la confrontation armée. Cette soi disant posture pacifique, républicaine et laïque a fait naître une opposition radicale contre IBK. Pendant sa présidence (2013-2020), diverses coalitions d’opposition ont forcément émergé pour contrer cette vague, mais souvent elles étaient centrées autour de leurs deux personnalités : lui et Soumaïla Cissé, qui était son chef de l’opposition et principal rival. À plusieurs reprises, lors des élections ou pour le projet de nouvelle Constitution, ces coalitions ont retourné leur veste pour protester contre des allégations de fraude électorale, de corruption et la gestion de la situation sécuritaire par le gouvernement.
Dans ce contexte vermoulu, arriva le coup d’État de 2020 et la transition en cours (2020 – 2025). Tout partit le 5 juin 2020 avec le M5-RFP, une coalition hétéroclites d’organisations opposées au RPM et à IBK ; à la présence française et onusienne au plans militaires et sécuritaires. Le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), a joué un rôle crucial dans les manifestations qui ont précédé le coup d’État de 2020 qui a renversé le président Keïta. Ce mouvement était un regroupement diversifié de leaders de partis politiques sans consistance et le sachant fort bien, et de multiples organisations de la société civile et de chefs religieux unis par leur opposition au gouvernement. Comme le mouvement démocratique du 26 mars 1991. Avec la prise du pouvoir par cinq jeunes colonels dudit Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), le Mali venait cette fois-ci de basculer véritablement dans un processus démocratique de redéfinition de l’Etat central comme en mars 2012. Après avoir recherché un profil consensuel avec l’érection du Colonel major retraité Bah Ndaw comme nouveau chef de l’État et la nomination d’un Premier ministre apolitique en la personne de Moktar Ouane, les membres dirigeants du CNSP prendront eux-mêmes leurs responsabilités historiques pour reprendre en main les affaires de l’État, piloter la Transition avec une charte modifiée et asseoir les bases institutionnelles du Nouvel État baptisé « Mali Kura » avec plus d’inclusion des pouvoirs, autorités et légitimités traditionnels.
Aujourd’hui que se pose avec acuité la réduction drastique de leur nombre ou même leur dissolution. Une dissolution qui soulève des arguments objectifs, bien qu’ils soient sujets à débat et interprétation. La prolifération des partis, souvent sans ancrage idéologique profond ni programme distinct, a contribué à la confusion de l’offre politique et à la volatilité des alliances. Aujourd’hui, face à une crise sécuritaire persistante, à des défis économiques et sociaux immenses, et à une transition politique incertaine, la question de la réforme du système partisan apparaît comme un symptôme d’un mal plus profond : un déficit d’introspection collective. Les acteurs politiques, dans leur majorité, semblent plus enclins à défendre des positions acquises et des intérêts partisans qu’à reconnaître leurs erreurs passées et à envisager une remise en cause fondamentale de leurs modes de fonctionnement. L’idée de réduire drastiquement le nombre de partis, avancée par certains, repose sur un constat amer : l’inefficacité d’un paysage politique atomisé. L’argument de la rationalisation, de la stabilité gouvernementale et de la réduction des coûts est certes recevable. Comment ne pas s’interroger sur la pertinence de maintenir près de 400 formations politiques dont l’existence se justifie parfois davantage par l’accès à des subventions publiques ou par la perpétuation de réseaux d’influence que par une réelle proposition politique alternative ?
Khaly-Moustapha LEYE
Source : L’Aube