Il n’est pas encore prêt. Pas suffisamment en tout cas pour le dire, là, clairement, en cette soirée pluvieuse, dans ce local associatif bondé de la cité de la Busserine. L’ancien président de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf, 62 ans dans quelques jours, n’est toujours pas officiellement candidat à la municipale de 2014. Mais, s’il a fait le déplacement, ce mercredi 20 novembre, jusque dans les locaux de l’association Shebba, havre de solidarité féminine dans ce 14e arrondissement réputé difficile, c’est que sa réflexion a nettement avancé.
“Je ne suis pas descendu dans l’arène avant parce que la politique politicienne m’ennuie, glissait-il il y a quelques jours. La seule chose qui me passionne, c’est Marseille, qui, selon moi, a été délaissée par les politiques locaux et nationaux, et pour laquelle j’ai des idées.”
Assis sur une longue banquette orientale, costume côtelé et col roulé anthracite, Pape Diouf ne ressemble pas encore totalement à un candidat en campagne. Il écoute avec attention les habitants lui raconter “le racisme et les discriminations quotidiennes”, sirote le thé qu’on lui offre, et tente, quand on le questionne de façon pressante sur les municipales, d’éclaircir les raisons de sa présence : “Si je suis là, à l’orée d’une élection qui vous paraît capitale, c’est au titre de citoyen. Je ne suis pas un homme politique. Je n’ai pas de solutions toutes faites à vos problèmes. Je suis comme vous. Venu, presque comme un frère, pour vous entendre.”
Si Pape Diouf est là, c’est aussi pour parler du Sursaut, un collectif lancé le 1er octobre qui réunit des élus Verts, des militants associatifs et politiques, des syndicalistes, des acteurs culturels et des intellectuels, tous ancrés à gauche et généralement en rupture de partis. Un groupe de réflexion dont l’ex-président de l’OM est désormais très proche et dont, assurent certains de ses dirigeants, il sera la locomotive en 2014 : “C’est un collectif avec lequel j’ai échangé très longtemps, explique M. Diouf, et autour duquel s’articulent des idées que je partage. Il renvoie dos à dos les institutions classiques de la politique en offrant une autre voie.”
Cofondateur du Sursaut, le conseiller municipal Sébastien Barles (EELV) a été le premier à contacter Pape Diouf. En juin 2013, il cherche déjà une figure capable “d’incarner une alternative hors partis et de fédérer ceux qui veulent casser les systèmes politiques qui gangrènent Marseille”. A l’époque, il pousse même Pascal Durand, son secrétaire national, à rencontrer l’ancien agent de joueurs, qui, depuis son passage à l’OM, jouit d’une formidable popularité dans la ville. L’entrevue épate ceux qui y assistent. “Ils ne s’attendaient pas à son côté pondéré, profondément humaniste et parfaitement informé des problèmes de Marseille”, glisse M. Barles.
Six mois plus tard, l’investiture EELV à Marseille est revenue au tonitruant Karim Zéribi, et les discussions avec M. Diouf se sont reportées sur le Sursaut, et intensifiées. “Autour de la transparence, des services publics, de la surenchère sécuritaire, du clientélisme et bien sûr de la diversité et de la fracture territoriale entre nord et sud de la ville”, énumère Pierre-Alain Cardona, éphémère candidat à la primaire socialiste qui a rejoint le collectif.
Pour cette première rencontre publique, la presse a été invitée. Avec l’aval de Pape Diouf, bien sûr, un accord en forme de signe. Même quand il dirigeait l’OM de 2004 à 2009, l’ex-journaliste de La Marseillaise, prudent parmi les prudents, ne s’est jamais pris au jeu des médias. “Nous franchissons une étape”, confirme Vincent Manca, ancien responsable CGT des fonctionnaires territoriaux de la ville de Marseille, militant communiste puis socialiste, devenu un interlocuteur privilégié de M. Diouf en matière politique. Pendant les primaires du PS, alors que l’ex-président de l’OM était chassé par tous les candidats, ce retraité a joué au poisson pilote, organisant rencontres et entretiens. “Les socialistes ne recherchaient que mon appui, raconte Pape Diouf. Mais moi, je ne suis demandeur de rien. Je ne veux être mis dans une camisole par aucun parti.”
Soutien de François Hollande pendant la présidentielle, M. Diouf était à l’Elysée le 9 octobre, pour recevoir ses insignes de chevalier de la Légion d’honneur des mains du président de la République. Entre MM. Diouf et Hollande, le lien est réel. Il passe par Franck Papazian, un conseiller du président qui est aussi l’associé de l’ex-reporter dans l’Institut européen de journalisme. “Ce jour-là, François Hollande m’a dit que nous devions nous rencontrer prochainement au sujet de Marseille”, confie Pape Diouf.
Mercredi soir, en quittant les locaux de Shebba pour “une réunion de travail sur le programme municipal”, un des leaders du Sursaut assurait : “Pape est poli. Il n’attend que ce rendez-vous pour s’engager définitivement avec nous.”
Gilles Rof
SOURCE / LE MONDE