C’est un euphémisme de dire qu’entre la CEDEAO et l’AES, c’est le désamour. Mais, malgré leurs divergences, les deux entités doivent faire preuve de pragmatisme pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest. Selon une analyse de l’Institut d’étude et de sécurité (ISS), les deux parties doivent maintenir le dialogue pour atténuer les risques géopolitiques en Afrique de l’Ouest.
Le 6 juillet dernier, les régimes de transition militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont formé une confédération lors du premier sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette initiative renforce les relations entre ces trois pays qui ont lancé l’AES en septembre dernier comme pacte de défense mutuelle contre les menaces extérieures et intérieures, y compris le terrorisme.
En janvier, ces trois pays ont annoncé leur intention de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le général nigérien Abdourahamane TIANI a confirmé cette décision lors de l’ouverture du sommet du 6 juillet en déclarant que « les peuples du Sahel ont irrévocablement tourné le dos à la CEDEAO ». Cette question était également à l’ordre du jour du sommet de la CEDEAO le 7 juillet.
Malgré la détermination des dirigeants de l’AES à se retirer, la CEDEAO a nommé les présidents sénégalais Bassirou Diomaye FAYE et togolais Faure GNASSINGBE pour négocier le maintien des États du Sahel dans le giron de l’organisation.
Les trois pays devraient saisir cette ouverture diplomatique, qui leur permettrait de parvenir à un accord avec la CEDEAO et de promouvoir ainsi une nouvelle dynamique régionale.
L’annonce de leur retrait a engendré une crise majeure pour la CEDEAO, susceptible de pousser le bloc à faire des concessions politiques à court terme et à réformer ses processus de paix et de sécurité à long terme.
En effet, la CEDEAO a annoncé la tenue prochaine d’un sommet spécial dédié à l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, « en tenant compte de l’état de la gouvernance, de la paix et de la sécurité et du projet d’intégration régionale ».
Des cadres de collaboration devraient également être développés avec les pays limitrophes de l’espace AES, tels que la Guinée, le Sénégal, le Tchad, la Libye, la Mauritanie et l’Algérie.
Enfin, l’AES devrait collaborer avec l’Architecture continentale de paix et de sécurité de l’Union africaine.
L’AES et la CEDEAO doivent également atténuer les risques géopolitiques auxquels l’Afrique de l’Ouest est désormais exposée. L’alignement des trois États du Sahel central sur la Russie au moment où les pays occidentaux se repositionnent sur les États côtiers de la région met face à face deux blocs soutenus par des grandes puissances antagonistes.
Pour l’AES, il s’agit d’assurer l’autonomie de sa force conjointe. Tirant les leçons de l’expérience de la Force conjointe du G5 Sahel – perçue comme étant sous contrôle français – les États du Sahel central doivent limiter le rôle opérationnel de la Russie et son monopole sur la formation et la fourniture d’équipements.
De même, la CEDEAO doit se prémunir d’une instrumentalisation par la politique occidentale d’endiguement de l’influence russe dans la région.
Par exemple, le plan de l’organisation visant le déploiement d’une force en attente de 5000 hommes et financée à hauteur de 2,6 milliards de dollars par an pour lutter contre l’aggravation des crises sécuritaires régionales devrait reposer sur les ressources propres de ses États membres.
Cette force devrait également être structurée de manière à garantir des synergies avec la force conjointe de l’AES.
«Pour résoudre la crise de manière constructive, l’AES et la CEDEAO doivent être flexibles dans leurs positions. Le maintien du dialogue et la coordination des politiques de sécurité et de développement sont indispensables pour préserver leurs intérêts respectifs et ceux des populations de la région, unies par la parenté, l’histoire et la culture», conclu l’analyse de l’ISS.
Par Abdoulaye OUATTARA