Ankara n’a pas été convié au sommet pour la démocratie organisé par Joe Biden. Une décision liée davantage à son positionnement géopolitique qu’aux violations des droits de l’homme par Ankara.
« Une tente extraordinairement large » : c’est ainsi qu’un responsable de la Maison Blanche a présenté le deuxième sommet pour la démocratie, organisé en partie en ligne les 29 et 30 mars. Le précédent avait eu lieu en décembre 2021, concrétisant un engagement de campagne de Joe Biden. Depuis, la guerre en Ukraine a permis aux alliés occidentaux de se compter et de serrer les rangs, clamant la force de leurs valeurs libérales et du droit international, contestés par les Etats comme la Chine, la Russie ou l’Iran. Mais cette ligne de partage n’est pas toujours limpide. La Turquie démontre qu’il existe, pour le moins, des alliés très contrariants. Une nouvelle fois, elle n’est pas conviée sous cette « tente » de la démocratie.
La seule lecture du rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde, publié récemment par le département d’Etat, suffit à justifier cette décision. Le ministère y consacre des pages aussi factuelles que sévères à la Turquie. Surveillance, justice sous influence, arrestations arbitraires, disparitions, tortures, assassinats, souvent sous couvert de lutte antiterroriste : un tableau sombre, qui pourtant ne se reflète guère, publiquement, dans la stratégie américaine vis-à-vis d’Ankara.
« La non-invitation de la Turquie au sommet est plus liée à la géopolitique et au poids déclinant du pays dans la stratégie diplomatique américaine qu’aux droits de l’homme et à la démocratie, estime Gönül Tol, directrice du centre d’études turques au Middle East Institute. L’intérêt américain pour le Moyen-Orient a décliné, et Erdogan conduit une politique trop imprévisible. »
Normalisation avec la Syrie
Les Etats-Unis sont engagés avec la Turquie dans une diplomatie à dents serrées. Il s’agit de ravaler une frustration, croissante depuis des années, face à cet allié au sein de l’OTAN, incontournable sur le flanc sud de l’Alliance mais diversifiant ses relations d’intérêts avec des régimes de toutes natures. Un allié qui n’en donne pas toutes les garanties, bloquant l’accession de la Suède (et jusqu’à récemment celle de la Finlande) à l’OTAN et servant de plate-forme à la Russie pour contourner une bonne partie des sanctions occidentales prises à son encontre.
En sens inverse, Ankara continue de dénoncer le soutien américain aux combattants kurdes de Syrie (YPG) – liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) –, qu’ils veulent empêcher de consolider une zone autonome dans le nord du pays. Recep Tayyip Erdogan est engagé dans un effort de normalisation bilatérale avec son homologue syrien Bachar Al-Assad, avec la médiation du Kremlin. Un double motif de contrariété pour Washington.