Le constat est d’autant alarmant que des milliers de dragues de toutes tailles creusent et soulèvent le fond du lit tout en créant des fissures et des îlots. Les personnes qui utilisent l’eau des fleuves et affluents concernés sont véritablement en danger.
La pratique de l’exploitation aurifère par dragage sur nos cours d’eau a atteint des proportions si alarmantes que depuis quelques années, les autorités sont à la recherche de solutions visant à protéger les populations et l’environnement. Un début de solution semble être trouvé avec la récente décision du gouvernement, interdisant temporairement le dragage qui détruit, lentement mais sûrement, tout sur son chemin. En effet, les conséquences de cette pratique sont désastreuses : dégradation du fleuve, empoisonnement lent des consommateurs de l’eau du fleuve et des organismes y qui vivent.
Concrètement, qu’entend-t-on par dragage ? Et quelle est la situation réelle des dragues sur nos cours d’eau ? Quelles sont les personnes qui s’adonnent à cette pratique et pourquoi elle est florissante au Mali alors qu’elle est interdite dans plusieurs pays voisins ? Il convient de rappeler que l’exploitation d’or au Mali est une activité très ancienne. Auparavant, elle était exclusivement réalisée de manière traditionnelle avec des productions faibles, par rapport aux potentialités existantes, mais relativement respectueuse de l’environnement. Cette technique purement traditionnelle est malheureusement un souvenir lointain avec l’apparition d’une nouvelle technique d’exploitation artisanale mécanisée de l’or par dragage, déplore le Conseil national de l’eau.
En effet, actuellement le dragage est exercé de façon pratiquement illégale, la grande majorité des propriétaires de dragues ne disposant d’aucune autorisation des services compétents. Selon les données 2017 de l’Autorité du bassin du fleuve Niger (ABFN), sur plus de 200 exploitants de dragues, seulement 15 opérateurs travaillaient conformément aux dispositions réglementaires.
Eu égard à l’importance de la question et des enjeux rattachés à l’exploitation aurifère par dragues, entre avril et août 2017, une mission conjointe d’évaluation des impacts de l’exploitation de l’or par dragues au Mali a été initiée par trois départements ministériels : Environnement, Énergie et Eau et Mines dans les régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso. Objectif : mieux appréhender l’ampleur du problème pour aider à une prise de décision concernant l’encadrement ou l’interdiction de la pratique dans notre pays. Cette mission a été menée par une équipe multi sectorielle de 11 cadres.
Selon un rapport de l’Autorité du bassin du fleuve Niger, la mission a, effectivement, visité quelques sites d’exploitation, principalement sur le fleuve Niger (aux environs de Bamako et Kangaba), le Bakoye, le Baoulé, le Sankarani, le Wassoulou-Balé et la Falémé. Elle s’est également entretenue avec les autorités administratives, communales, les services techniques, les exploitants de dragues et les groupements socio-professionnels et opérateurs privés du domaine.
L’exploitation aurifère par dragues, en tant que telle, est une opération consistant à extraire l’or contenu dans le sable, le gravier et le sol des cours d’eau. Cet or peut être récupéré sous forme de grains ou de paillettes par simple lavage mécanique ou par concentration, grâce à des produits chimiques comme le mercure, le cyanure, etc.
DRAGUES INDUSTRIELLES ET ARTISANALES-Actuellement, deux types de dragues sont opérationnelles au Mali : les dragues industrielles et les dragues artisanales. Le premier type, la drague suceuse ou aspiratrice de cours d’eau, est une machine flottante qui se fabrique à Bamako et dans beaucoup de grands centres (Kangaba, Kéniéba, Yanfolila, Misseni, etc. Le prix moyen d’une drague sur le marché varie de 2,5 millions à 3 millions de Fcfa.
Le deuxième type, la drague est équipée de godets en acier avec une «ligne de godets» circulaire. Elle ramasse et rejette dans l’eau en moyenne 75 tonnes de gravier et de blocs rocheux en une seule tournée circulaire et en un temps ne dépassant pas 20 minutes. Cela explique pourquoi les dagues à godets rejettent d’énormes quantités de matériaux formant des monticules et des îlots dans le lit des cours d’eau. Ces dragues sont en général importées de Chine et utilisées par des asiatiques (Chinois et Vietnamiens) en partenariat avec des opérateurs maliens qui sont les détenteurs des titres miniers d’exploitation. En l’absence de statistiques officielles, tous les interlocuteurs, selon la mission de l’Autorité du Bassin du fleuve Niger, s’accordent sur l’existence de plusieurs milliers de dragues sur les cours d’eau visités.
Le Conseil national de l’eau, réuni le 2 février 2018, a sonné l’alarme par rapport au problème. Il a fait savoir que le nombre d’opérateurs pratiquant le dragage est passé d’une dizaine en 2012, à plusieurs milliers aujourd’hui. Il y a non seulement des Maliens, mais aussi des étrangers. Le Conseil a aussi déploré la délivrance illégale de cartes d’exploitants de dragues moyennant le paiement d’un montant variant entre 100 000 et 200 000 Fcfa, la perception de taxes à plusieurs niveaux et parfois par des acteurs n’ayant aucune qualité, la pollution des cours d’eaux partagés : le Sénégal, la Falémé, le Bagoé, le Niger, le Sankarani, etc., l’envahissement des galeries forestières classées.
En plus, l’installation de la drague est assujettie au payement d’un montant variant d’une commune à une autre. Dans le cercle de Kangaba, par exemple, ce montant varie selon les localités de 50.000 à 75.000 Fcfa comme taxe annuelle et de 20.000 à 25.000 Fcfa comme taxe mensuelle. Pour les exploitants de drague, cette perception par les maires les autorise de facto à mener leurs activités sans contraintes. A cela, il faut ajouter que certains maires sont eux-mêmes propriétaires de plusieurs dragues.
Les services de l’assiette fiscale perçoivent eux aussi des taxes sur les dragues. Ainsi, à la perception de Kangaba, les recettes tirées des dragues ont fait passer l’assiette fiscale de 2 millions Fcfa à plus de 106 millions entre 2010 et 2016, précise la mission. C’est compte tenu de toute cette réalité, que la sensibilisation n’a pas donné de résultat avant que la décision d’interdiction temporaire ne soit prise.
Fatoumata MAÏGA
Source: L’Essor- Mali