Après sa libération la semaine dernière, l’infirmier sud-africain de 48 ans est enfin rentré dans son pays. Enlevé par des jihadistes en Libye en novembre 2017 puis transféré au Mali, il est resté détenu six ans. Olivier Dubois le connaît bien pour avoir été son compagnon de captivité.
Je m’en souviens comme si c’était hier, le 2 août 2021, la nuit où j’ai rencontré Gerco Van Deventer. Au petit soir, après cinq heures de route en brousse, j’étais assis dans le sable face à la grande barrière de dune. A côté de moi, deux Touaregs désensablaient le pick-up qui m’avait conduit au milieu de nulle part. Des silhouettes sont apparues venant des dunes – quatre jeunes, armés et hilares. Ils ont aidé à écoper le sable, j’ai rassemblé mes chaînes en rouleau et nous sommes remontés à bord. Une marche arrière rapide, haut, sur la dune opposée, puis plein les gaz pour s’élancer dans cette immense rampe de sable et franchir la grande barrière. De l’autre côté, niché au creux des grandes collines de sable, le camp-prison où nous allions passer sept mois.
Alliés de circonstance
C’est dans ce décor absurde que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, dans cet autre monde où les prisonniers sous la voûte étoilée sont comme des ombres, des formes qui se déplacent avec lenteur, au pas, le cou, les mains, les pieds entravés par les chaînes.
– Tu parles anglais ? m’avait lancé un des jeunes moudjahidines après m’avoir indiqué la portion de sable que j’allais occuper pour la nuit. J’acquiesçais, surpris par la question.
– Lui aussi, avait-il ajouté en désignant de la tête l’abri de fortune sous lequel Gerco dormait. Je me souviens de ma surprise quand je l’ai vu, je n’avais jamais entendu parler de lui. Je ne me souvenais pas d’un citoyen sud-africain blanc taillé comme un rugbyman, otage au nord du Mali depuis plus de quatre ans.
Très rapidement, cette nuit-là, après quelques mots échangés, nous avons compris que nous n’étions plus seuls, que nous étions des alliés de circonstance pour une période indéterminée dont nous redoutions déjà la fin. Nous savions sans nous connaître que nous allions devoir nous soutenir coûte que coûte, malgré nos différences, pour faire face à l’adversité et à l’inconnu. Additionner notre résistance pour ne pas craquer, les jours de colère sourde quand pression et tension ne font plus qu’un ; les nuits de tempêtes quand le sable balaie tout sur son passage ou quand nos lits de terre se changent subitement en rivière pendant la saison des pluies. Des nuits sans sommeil où nous attendons le petit jour blême, épuisés, accroupis dans le silence et l’obscurité.
Humour et dérision
La nuit, on s’évadait en chuchotant, on parvenait à remiser notre condition d’otage, grâce à l’humour et la dérision, pestant contre nos agences de voyages qui avaient visiblement merdé dans l’organisation de ce séjour en pension complète dans les sables du Sahel. On se racontait nos vies, nos pays, pour conserver intact l’espoir irrationnel d’un proche retour. «Quelle est la première chose que tu feras si tu t’en sors ?» la question récurrente aux réponses multiples que nous aimions énumérer avec plaisir.
Je ne suis pas sûr que tu avais cela en tête quand, libre, tu as foulé ta chère terre d’Afrique du Sud, pris dans tous ces chamboulements intérieurs qui se transforment en joie. On a tant rêvé de la liberté, on en a tant parlé, c’est désormais réel et concret pour toi. On ne peut pas oublier, mais il faut essayer de tourner la page si on y arrive. Passer du rêve à la réalité, digérer le passé pour s’ouvrir au présent et pouvoir ainsi, comme nous l’espérions tant, savourer chaque instant de cette nouvelle vie.
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