En vue de renforcer les rangs des forces armées et de sécurité, le gouvernement a lancé une vaste opération de recrutement de nouveaux jeunes. Si l’initiative est à saluer, la procédure, quant à elle, reste un parcours de combattant pour les jeunes désireux. De l’obtention des documents administratifs et des pièces d’état civil, jusqu’au dépôt des dossiers, les candidats traversent de véritables calvaires avant d’y parvenir.
Depuis le lancement de nouveaux recrutements, c’est le rush à Bamako et dans les villes urbaines du Mali entre les jeunes qui veulent porter l’uniforme. Entre le désir d’avoir un emploi et la volonté de défendre sa patrie dans un moment crucial de son histoire, les jeunes demeurent engagés et sont prêts à aller jusqu’au bout. Cependant, ils sont confrontés à la dure réalité qui est l’indisponibilité des documents administratifs et la grande corruption qui l’accompagne.
Le 24 octobre 2023, il est 08h45 minutes. Nous sommes au 6ème arrondissement en Commune I du District de Bamako. Les agents ont à peine commencé le traitement des dossiers pour la carte d’identité. Les demandeurs, dont la majorité est venue très tôt le matin, ne savent toujours pas le sort qui leur est réservé. Soudain, un monsieur à la mine pas très heureuse sort de la salle mini d’une carte toute neuve. Lui, c’est Fassény Coulibaly, un futur candidat au concours de la garde nationale.
Interrogé sur la procédure d’obtention de ladite pièce, M. Coulibaly explique : « Je n’ai jamais vu une telle situation. Cela faisait quelques semaines que je cherchais à renouveler ma carte d’identité. On m’a parlé de pénuries de cartes. Dans la foulée, le concours a été lancé et j’étais obligé d’accélérer les choses. Là, quand j’ai demandé les conditions, on m’a dit de payer 25.000 francs. J’ai finalement négocié à 15.000F CFA. Mais, devant moi d’autres ont payé les 25 000F CFA. C’est ici au commissariat de 6e arrondissement que cela se passe ».
« C’est à prendre ou à laisser »
Selon notre interlocuteur, concernant d’autres documents administratifs, rien n’est actuellement réglé dans ce commissariat. « Je ne vois aucun document qui est livré aux conditions fixées par les autorités ici. On dit par exemple que le certificat de résidence est gratuit. Si tu dis ça ici, on te demande d’aller prendre là où cela a été dit. C’est à prendre ou à laisser. Parce que malheureusement ce sont les mêmes réalités partout. Que faire ? », ajoute M. Coulibaly.
Au sein du Commissariat, c’est silence radio. Personne ne veut parler. La question n’est pas à débattre. Les agents nous disent clairement d’aller à la direction générale de la police pour des versions plus officielles et plus autorisées. Là aussi, l’on nous signale que seul le directeur est habilité à parler et que ce dernier n’est pas disponible pour nous recevoir.
A la mairie de la Commune I, sise à Korofina, la situation est encore pire. Si certains sont là pour légaliser leurs attestations et diplômes, pour d’autres, c’est pour se procurer de la fiche individuelle, l’un des documents importants dans ce processus de recrutement.
Soumaïla Doumbia, venu de Doumazana nous explique : « Je suis ici à cette mairie pour la fiche individuelle. Ça me fait trois jours que je viens pour la même chose. Lorsque mon tour est arrivé, on me demande des photos d’identité. Ce qu’on n’avait jamais mentionné au paravent. Ça va sans doute me mettre en retard, ou pire, je pourrais même rater le concours pour ça. Cela m’a complètement bouleversé. J’ai comme l’impression que tout est fait pour pousser à payer plus que ce qui est prévu. Cela est très grave ».
« Tout se négocie… ! »
Devant les tribunaux, les candidats aux concours des forces armées et de sécurité se bousculent pour retirer leurs certificats de nationalité et leurs casiers judiciaires. Un sésame devenu aussitôt rare depuis le lancement du concours. Alassane Sidibé a traîné une semaine devant les tribunaux et les municipalités. Pour lui, il n’y a aucune réalité dans cette affaire. « Dans cette affaire, il n’y a aucune réalité. Tout se négocie. Ça fait une semaine que je traîne devant les tribunaux et les municipalités pour avoir ma nationalité et mon casier judiciaire et pour légaliser les autres documents avant de pouvoir les déposer. Mais, je n’ai pas eu gain de cause. Je me suis finalement rabattu sur un proche avec qui j’ai négocié », souligne-t-il.
Selon Alassane, il n’y aucun document qui reste au prix indiqué et ou qui obéit aux conditions fixées par l’Etat. « Pour moi, ce n’est pas normal mais que faire ? Du moment où on vous dit que c’est la seule condition. Si vous traînez, c’est vous qui perdez et le temps est compté pour le recrutement », estime-t-il.
De même, Ibrahima Diallo, est venu accompagner son fils au tribunal de la Commune IV pour, dit-il, vérifier les prix des documents administratifs. Il nous confie : « Je n’ai aucune certitude sur le prix exact. Mais depuis le début, j’ai payé les documents à des différents prix pour deux concours pour mon fils. Pour une fois, j’ai payé 2000 pour le certificat de nationalité et une autre fois, mon enfant m’a demandé 5000 pour le même document. Cela m’a étonné et j’ai pris le soin de venir moi-même. Je suis à l’attente pour avoir la confirmation de cela. Mais, en attendant, j’ai eu le témoignage d’autres personnes qui disent avoir payé même plus. »
Le rush c’est aussi devant les centres de dépôts des dossiers de candidature. Que ce soit à la police, à la gendarmerie, à la garde nationale ou encore à l’armée de terre, les jeunes y ont érigé des quartiers généraux, où ils passent parfois plus d’une semaine sans pouvoir déposer leurs dossiers. Que d’épreuves pour ces futurs porteurs !
Amadou Kodio
Source : Ziré