Plusieurs semaines déjà que la rue gronde dans plusieurs villes du Nigeria et exige la fin des brutalités policières dans le pays. Dans le lot des dénonciations de personnalités et célébrités nigérianes, une voix manquait. Celle de Wole Soyinka. Le prix Nobel de littérature s’est prononcé sur les manifestations en cours et propose des pistes de solutions.
Dans son style bien à lui, Wole Soyinka s’est invité dans le houleux débat qui prévaut actuellement au Nigeria sur la réforme de la police. Le célèbre écrivain indique être revenu il y a quelques jours dans son pays et y avoir trouvé un «extraordinaire cadeau». Ce cadeau, c’est le mouvement «de colère parfois envoûtant, poignant, parfois strident, certes robuste dans ses attentes, mais toujours émouvant, visionnaire et organisé».
Ces manifestations que le dramaturge nigérian a comparé aux «processions massées des gilets jaunes de France ou les vagues du mouvement Solidarité de Lech Walesa ou encore plus récemment les rassemblements patients et stoïques au Mali qui ont duré des semaines » a impliqué des membres du Barreau nigérian, de la Coalition féministe, des professionnels, des technocrates, des étudiants, des prélats, des institutions industrielles et des artistes – écrivains, cinéastes, acteurs, musiciens. C’est un mouvement de jeunesse; son énergie, sa créativité et sa détermination se sont répandues dans tout le pays à travers des stratégies impressionnantes», a décrit M. Soyinka. Et d’ajouter que cette contestation a pour but d’exiger «la fin de la brutalité des agences de sécurité de l’État, en se concentrant sur une unité notoire connue sous le nom de Brigade spéciale anti-drogue (SRAS). Mais, bien sûr, le SRAS ne représente que le caractère parasitaire de la gouvernance dans toutes ses ramifications», déplore l’écrivain critique.
L’avenir du Nigeria selon Wole Soyinka
Wole Soyinka regrette donc la tournure qu’ont prise les manifestations avec sa répression meurtrière notamment le massacre de Lekki et l’implication de miliciens. «L’ambiance et le climat de protestation ont changé brusquement et de façon dévastatrice avec cette intrusion diabolique. Pour la première fois, la colère et le nihilisme sont entrés dans les listes, se déplaçant pour dominer les émotions. Le militantisme organisé a été remplacé par la haine vengeresse et omnidirectionnelle», écrit-il avec du lyrisme.
Le Prix Nobel regrette pour ce faire cette réaction du Gouvernement qui au lieu de prêter une oreille attentive aux revendications de la population a usé de violence et n’a pas daigné condamner les répressions, appelant plutôt à la fin des manifestations, en indiquant qu’elles nuisent à l’économie. «Il est pathétique et peu imaginatif de prétendre, comme certains l’ont fait, que la protestation nuit à l’économie du pays. La COVID-19 a nui à l’économie nigériane – comme c’est le cas – pendant plus de huit mois. Bien sûr, il n’est pas facile de faire tomber la COVID-19 sous une pluie de balles – les vies humaines sont une cible plus facile, et il y a même des trophées à arborer comme preuve de victoire – comme le drapeau nigérian ensanglanté que l’une des victimes agitait au moment de son meurtre», déplore Wole Soyinka.
Ne plus rééditer les erreurs du passé
Le célèbre écrivain propose des pistes pour endiguer cette crise. «Aux Gouverneurs touchés dans tout le pays, il y a une mesure immédiate à prendre : exiger le retrait de ces soldats. Convoquez des assemblées publiques d’urgence. Les couvre-feux de 24 heures ne sont pas la solution. Il faut impliquer l’auto-police communautaire basée sur les conseillers locaux pour freiner l’infiltration des hooligans et l’opportunisme extorqueur et destructeur. Nous compatissons avec les endeuillés et exhortons les Gouvernements des États à compenser les pertes matérielles, où qu’elles se trouvent», mobilise-t-il.
Ce processus de guérison ne saurait se faire sans « que l’armée ne présente des excuses, non seulement à la Nation, mais à la communauté mondiale», estime M. Soyinka. «Il est inconcevable que vous, les militaires, ayez ouvert le feu sur des civils non armés. Il faut l’assurance que de telles aberrations ne seront plus enregistrées», conclut-il.
Boniface T.
Afriquinfos.com