Maikoul Zodi, coordonnateur de “Tournons la page”, Ibrahim Diori de l’association Alternative espace citoyen (AEC) et Abdourahamane Idé Hassane de la “Jeunesse pour une nouvelle mentalité” (JENOME) ont été arrêtés hier. Ils sont inculpés « d’organisation et de participation à une manifestation interdite », et de « dégradation de biens publics ». Un quatrième défenseur des droits humains, cosignataire de la déclaration de manifestation est actuellement recherché. Ces nouvelles arrestations marquent un point culminant de l’intolérance des autorités à l’égard de toute voix dissidente.
« Les arrestations et interdictions répétitives de manifestations pacifiques, sur la base de prétexte sécuritaire, révèlent la détermination des autorités nigériennes à museler les défenseurs des droits humains », a déclaré Kiné Fatim Diop, chargée de Campagnes sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. « Si les autorités ne veulent pas entendre les appels des organisations de la société civile, il est temps pour la communauté internationale de leur demander de mettre un terme immédiat à cette vague de répression ».
Ces arrestations interviennent dans le cadre d’une série de manifestations programmées par la société civile contre une loi de finances votée l’année dernière, qui prévoit de nouvelles taxes sur l’habitation, l’électricité, etc.
Prévue hier à l’appel du Cadre de concertation et d’actions citoyennes (CCAC), une plateforme d’organisations de la société civile opposées à la loi de finances, la manifestation a enregistré quelques échauffourées entre participants et forces de sécurité. Son organisation avait été interdite depuis le 12 avril par le président de la délégation spéciale de Niamey, la capitale du pays, au motif de « manque de moyens pour garantir la sécurité des personnes et de leurs biens pour un tel événement sur la voie publique ».
Après la notification de l’interdiction, le CCAC a organisé samedi 14 avril 2018 une rencontre avec les médias durant laquelle une déclaration a été lue par Ibrahim Diori. Amnesty International a pu analyser le contenu de la déclaration dans laquelle Diori n’a fait que rappeler le droit de manifester et appeler les citoyens au rassemblement. Il a été arrêté hier à son domicile par des policiers en civil.
Maikoul Zodi a également été arrêté dans la soirée vers 20h30 alors qu’il était à bord de son véhicule avec son épouse. Abdourahamane Idé Hassane, qui a reçu un appel de la Police judiciaire, s’y est rendu et a été mis en détention. En moins d’un mois, les arrestations d’activistes opposés à la loi de finances se sont succédé au Niger. Le 25 mars dernier, la police avait lancé des grenades lacrymogènes pour disperser une marche pacifique. 23 personnes ont été arrêtées, certaines aux sièges des organisations de la société civile, et d’autres au cours de la manifestation.
Parmi les personnes arrêtées le 25 mars, figurent Ali Idrissa, coordinateur du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB), Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative espaces citoyens, et Nouhou Mahamadou Arzika, président du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable (MPCR). L’avocat et membre de la société civile, Lirwana Abdourahamane a aussi été arrêté par la police à sa sortie de la télévision privée Labari dont le promoteur est Ali Idrissa- alors qu’il y était l’invité du journal télévisé. Ils sont toujours détenus dans des prisons différentes, à une distance de 60 à 180 kilomètres de leur famille.
Agressions brutales contre les médias
Pour avoir simplement exercé leur travail au cours des manifestations, ou pris des positions critiques, les journalistes sont régulièrement visés par des agressions brutales de la part des forces de sécurité. Hier, la journaliste et bloggeuse Samira Sabou a été empêchée par les forces de sécurité, pour la deuxième fois en moins d’un mois, de couvrir la manifestation. Elle a été brièvement arrêtée.
Elle indique à Amnesty International : « Les policiers m’ont encore pris mes outils de travail : carte de presse et téléphone. Ils ont fouillé dans mon téléphone et m’ont demandé d’embarquer dans leur camion… Certains ont voulu me transférer au poste de police, d’autres m’ont dit d’attendre dans le camion. Finalement, ils n’ont rien trouvé dans mon téléphone… Ils me l’ont balancé et m’ont intimé l’ordre de descendre de leur camion ».
Le 3 avril dernier, le journaliste Baba Alpha, célèbre pour ses prises de position sur la chaîne privée Bonferey, a reçu, au moment où il devait sortir de prison, une notification de son expulsion du territoire nigérien en direction du Mali. Déchu de sa nationalité, Baba Alpha a été escorté jusqu’à Tillabéry (sud-ouest) pour atteindre la frontière malienne alors qu’il ne dispose pas de la nationalité de ce pays. Il n’avait la possibilité ni d’informer son épouse nigérienne ni sa famille.
« Il est temps que les inculpations fallacieuses visant à maintenir en prison des dissidents arbitrairement arrêtés, ainsi que les attaques récurrentes à l’encontre des médias cessent, » a déclaré Kiné Fatim Diop.
Afrik