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Négociations avec les terroristes : Danse avec les loups

Des canaux de négociation existent depuis quelques années entre les groupes terroristes et l’État malien. Ils ont été récemment exploités, en plus de nouveaux, plus probants, dans les discussions qui ont abouti à la libération récente de quatre otages, dont le Président de l’URD, Soumaila Cissé. Alors que la contrepartie de plus de 200 prisonniers gravitant autour du GSIM relâchés par Bamako continue de soulever des interrogations, l’opportunité pourrait bien être saisie pour approfondir les discussions en vue d’aboutir à une cessation durable des attaques. Même si rien n’augure, pour l’heure, d’une réelle accalmie.

Dans une tribune parue le 14 octobre dans le quotidien suisse « Le temps », Smaïl Chergui, Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, appelait à « explorer le dialogue avec les extrémistes » pour mettre fin aux conflits violents dans le Sahel.

La question avait déjà été tranchée fin 2019 au Mali. Lors des assises nationales du Dialogue national inclusif (DNI), les Maliens se sont prononcés en majorité pour l’ouverture de négociations avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa, les deux chefs terroristes maliens dont les groupes sévissent dans une bonne partie du centre et du nord du Mali.

Longtemps opposé à cette éventualité, l’ex Président IBK avait fini par annoncer lui-même publiquement la disponibilité de l’État à entamer le dialogue avec eux. Cette approche semble être également aujourd’hui partagée par l’ancien député Soumaila Cissé, qui, après sa libération des mains des djihadistes, a déclaré « en face, il y a des hommes ».

Exploiter les nouveaux canaux ?

En vue de capitaliser sur les médiations ayant abouti à cette libération d’otages, certains analystes soutiennent que les canaux qui ont servi là pourraient être utilisés pour de plus profondes discussions avec les groupes terroristes.

« Si des canaux ont permis la libération des otages, en plus de la volonté du pouvoir précédent et d’une grande majorité des Maliens, exprimée lors du DNI, je pense que c’est une aubaine pour les autorités de la transition de s’inscrire sur la même lancée, d’autant plus que des négociations avaient été déjà enclenchées mais qu’elles n’avaient pas pu obtenir les résultats escomptés », indique Dr. Aly Tounkara, sociologue.

Pour le géopolitologue Dr. Abdoulaye Tamboura, l’offre de dialogue doit se limiter « uniquement aux groupes djihadistes locaux, dans la bande sahélo-saharienne, en combattant les djihadistes internationaux présent sur le territoire malien ».

Ces « djihadistes internationaux », en l’occurrence ceux qui se réclament de l’État islamique, ne sont d’ailleurs pas dans une optique de dialogue avec l’État malien, à l’opposé du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) , qui n’est pas fermé aux discussions, comme l’explique Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des mouvements djihadistes.

Pour ce dernier, lorsque les autorités maliennes ont affaire à une insurrection qui est une guerre, elles sont obligées d’avoir des canaux de discussions, même si discussion ne veut pas dire paix ou trêve.

« La preuve en est que l’armée malienne a continué ses opérations, Barkhane également et les djihadistes aussi, pendant et après les négociations qui ont abouti sur la libération des otages. Mais cela n’a pas entravé les négociations. Droukdel, le patron d’Aqmi, a été éliminé il y a quatre mois, mais cela non plus n’a rien entravé des deux côtés », souligne M. Nasr.

« Les acteurs se sont mis d’accord sur la libération des otages. Ils ont œuvré dans ce sens et ils ont abouti parce que tout le monde y avait intérêt. Mais il ne faut pas extrapoler en pensant que parce qu’il y a eu libération d’otages, il y a une solution à l’horizon », ajoute l’auteur du livre « État islamique, le fait accompli ».

La France, un partenaire « influent »

La France, qui est engagée depuis plusieurs années au Sahel et fortement impliquée dans la lutte contre le terrorisme au Mali, se distance de l’optique de discussions avec les terroristes, du moins officiellement.

Les autorités françaises ont d’ailleurs indiqué n’avoir pas participé aux discussions ayant abouti à la libération des otages, parmi lesquels se trouvait la Française Sophie Pétronin.

Cette attitude de l’Hexagone semble résulter du fait que spécifiquement, dans le cadre de ces récentes libérations d’otages, les discussions se sont le plus focalisées sur le cas de Soumaila Cissé, faisant de la situation une affaire « entre Maliens ».

Mais pour certains analystes, dans l’optique d’un éventuel approfondissement du dialogue avec les terroristes sur le long terme pour faire taire les armes au Mali, l’influence de l’État français sur le malien est prépondérante.

« La France aura toujours une influence sur les décisions de l’État malien, puisque c’est elle qui a défendu le Mali contre les djihadistes en 2012 et qu’elle continue de le faire aujourd’hui à travers Barkhane. Elle est présente dans tout le dispositif sécuritaire au Sahel et rien ne peut se faire sans elle. Il faut être réaliste, celui qui a les moyens est celui qui décide », soutient Dr. Abdoulaye Tamboura.

Selon Dr. Aly Tounkara, la Force Barkhane remplit une fonction vitale pour un retour à une paix durable au Mali, mais, au-delà, « ses finalités restent floues ». C’est pourquoi, pour le sociologue, avant même de prétendre entamer un dialogue avec les groupes armés violents, il faut « clarifier les choses » avec les partenaires du Mali.

« Le combat contre le terrorisme ne saurait être un combat qui, au nom de la souveraineté, doit être mené uniquement par l’Etat central du Mali, car il faut nécessairement impliquer les partenaires tout en ayant le courage politique de clairement poser la nécessité de dialogue avec les groupes armés », pense-t-il.

Wassim Nasr, soutient quant à lui que la France, depuis que l’ex Président IBK a annoncé publiquement vouloir négocier avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa, peu après la réunion de Pau, où il avait été plutôt décidé de concentrer les efforts sur la zone des trois frontières, même si elle avait les capacités de faire pression sur le Mali, ne l’a pas fait.

Pour lui, la France est aujourd’hui au Mali devant « une équation compliquée d’insurrection » et il y a des tentatives de « prendre le problème autrement ».

« L’État français a compris qu’il ne peut pas exiger de l’Etat malien de faire face à l’insurrection de manière policière, sans négociation », relève celui qui pense aussi qu’on ne peut pas demander à l’État malien de faire de l’anti-terrorisme comme l’État français alors que ce dernier ne fait pas face à une insurrection.

Affaiblir l’État islamique

La négociation avec les groupes terroristes ne sera pas a priori des plus aisées pour l’État malien, d’autant qu’en dehors du GSIM, qui n’est pas totalement fermé à un dialogue, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) n’est pas dans une dynamique de négociation.

On se rappelle que depuis l’annonce de dialogue avec le GSIM les combats se sont envenimés entre les deux groupes et, comme le fait remarquer Wassim Nasr, toutes les libérations qu’il y a eu à Bamako récemment concernent des hommes du GSIM, qui va se renforcer d’abord lui-même, mais aussi face à l’État Islamique.

« Cela pourrait être un pari pris par l’État malien dans une optique de préservation plus ou moins du centre et du nord du pays d’une assise considérable de l’État islamique, parce que dans la zone des 3 frontières, où il est contenu, aucune accalmie n’est en vue », analyse le spécialiste des mouvements djihadistes.

Sauf que, depuis plus de deux semaines, le village de Farabougou, dans la région de Ségou, est assiégé par un groupe armé, dont, à en croire Dr. Aly Tounkara, la méthode ressemble fortement à celle de l’État islamique. Si ce dernier arrivait à s’accaparer de localités au centre, l’équation n’en deviendrait que plus corsée.

Germain Kenouvi

Journal du Mali

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