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Moustiques génétiquement modifiés : Une autre stratégie de lutte contre le paludisme

Pour circonscrire le paludisme, une endémie majeure dans notre pays, les scientifiques ont pensé depuis un certain temps maintenant une nouvelle méthode de réduction considérable de la population de moustiques avec ce qu’ils appellent dans le jargon scientifique : «Les moustiques génétiquement modifiés».

 

Dr Mamadou B. Coulibaly, directeur adjoint du Malaria Research and Training Center (MRTC), le centre de recherche et de formation sur le paludisme qui porte désormais le nom de feu Ogobara Doumbo et responsable de ce projet intitulé : Target Malaria. Ce pharmacien, biologiste explique qu’il fallait réfléchir à une nouvelle technique, car les méthodes de lutte existantes contre la malaria ont montré leur limite. Il s’empressera de clarifier que cela ne veut pas dire que ces méthodes ne sont pas efficaces. Il s’agit des moustiquaires imprégnées d’insecticide et de la pulvérisation intra domiciliaire.

Il a souligné que ces deux méthodes sont généralement utilisées contre les moustiques qui piquent et se reposent dans les chambres. Ces deux pratiques sont principalement basées sur des insecticides. D’après Dr Coulibaly, nous sommes dans un pays chaud et restons souvent dehors jusqu’à des heures indues. Ce qui signifie que nous avons plus de chance d’avoir le paludisme avant de rentrer sous la moustiquaire. C’est pourquoi, il était nécessaire de trouver une nouvelle méthode pour lutter contre la transmission qui se fait à l’extérieur des chambres. Une autre raison est que les moustiques ont développé une résistance à ces deux méthodes.

Or on peut lâcher les moustiques génétiquement modifiés n’importe où et ils peuvent aller aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Aussi puisqu’ils ne sont pas basés sur les insecticides, ils peuvent être un moyen de gestion de la résistance aux insecticides.

Un moustique génétiquement modifié, selon notre expert, est un moustique dont on a modifié un gêne ou un ensemble de gênes pour lui conférer un trait dont on aura besoin pour lutter contre une maladie. Il a précisé qu’il peut s’agir d’autre chose. Mais dans ce cas précis,il s’agit de changer ce trait-là pour lutter contre le paludisme.Il y a deux grands courants : un courant qui permet de faire la réduction de la population des moustiques et un autre qui permet de modifier une population de moustiques de telle sorte que les moustiques n’hébergent plus les parasites. «Dans tous les deux cas, le but ultime est la réduction ou l’arrêt de la transmission du paludisme», a-t-il précisé, avant de confier que son équipe a choisi la réduction de la population.

Le projet en question découle d’une initiative de Target Malaria, un consortium de recherche qui vise à éradiquer les espèces de moustiques porteuses du paludisme à travers des outils de modification génétique. Mais, le responsable du projet a déclaré que les travaux sur ces moustiques ont commencé bien avant ce projet en 2005 avec les partenaires occidentaux.

Lorsqu’il a été question de l’implémentation au niveau des pays endémiques les équipes africaines ont été impliquées.C’est ainsi que leprojet Target Malaria a vu le jour en 2012 au Mali. L’idée était de créer un nouvel outil ou une nouvelle technologie génétique pour aider à contrôler le paludisme en Afrique. Actuellement, l’outil est encore au niveau du développement et de la recherche. L’outil n’est pas encore disponible, mais Dr Coulibaly pense être sur le bon chemin.

à titre de rappel, le 21 juin 2019, suivant l’arrêté N° 2019-1563/MEADD-SG du 21 juin 2019, l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako (USTTB) a obtenu une autorisation du ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable (MEADD) pour procéder à l’importation et à l’utilisation, en milieu confiné de laboratoire, d’une souche de moustiques génétiquement modifiés mâles stériles sans impulsion génétique (gène drive). Cette souche dont la stérilité est induite par une modification génétique, ne pouvant être transmise à la génération suivante. Ils disparaissent donc de l’environnement au bout d’une seule génération.

La souche dénommée Ag (DSM) 2 a été importée depuis Terni en Italie dans un des laboratoires partenaires de Target Malaria. Le 4 septembre 2019, le paquet contenant les œufs de ladite souche a été réceptionné à l’Aéroport Président Modibo Keïta par les régulateurs maliens puis remis à l’équipe de Target Malaria qui l’a aussitôt transféré à notre laboratoire de niveau ACL 2 au Point G pour des études en milieu confiné. Durant des mois, nos scientifiques ont étudié les caractéristiques et les comportements de ces moustiques.

Dans son laboratoire, Dr Coulibaly et son équipe procèdent àla modification d’un gène qui est important pour la fertilité d’une femelle de moustique. Ce gène est alors ciblé et interrompu par ces experts. Une fois interrompue la fertilité de la femelle est affectée et elle ne va plus reproduire. C’est cette modification qui sera transmise dans le génome d’un moustique mâle pour leur donner le trait qui leur permet de lutter contre la maladie.

Ensuite, ces moustiques mâles seront multipliés et lâchés dans la nature. (On est pas encore au niveau du lâcher mais après l’aspect laboratoire c’est la phase qui suit).Il a expliqué que le principe est que ces mâles en copulantavec les femelles, il n’y aura pas de progéniture. Le résultat : la population des moustiques va baisser et la maladie va baisser avec. Ils ne pourront transmettre aucun ovule, ce qui ralentit la production des moustiques et produit une baisse du taux de paludisme. à ce niveau, il a souligné que notre pays n’est pas encore à la phase du lâcher. En tout cas, le principe c’est de les lâcher après la phase de laboratoire. Mais avant des questions de sécurité seront mises en exergues.

Cette réduction de la population des moustiques ne va-t-elle pas jouer sur l’écosystème ou sur la chaine alimentaire ? Notre expert répondra qu’il y a les moustiques dans le régime alimentaire d’un certain nombre d’espèces. Mais l’étude a montré que ces espèces peuvent vivre sans ces moustiques, car ils ne représentent pas plus de 1% de leur régime alimentaire. Il n’y a pas non plusd’évidence que les moustiques soient activement impliqués dansla pollinisation. Il y a environ 3.500 espèces de moustiques parmi lesquelles, il y a ceux qu’on appelle des anophèles qui sont responsables de la transmission du paludisme humain. Mais la stratégie du Target Malaria vise une, deux ou trois espèces dans ce groupe. Notre but n’est vraiment pas d’aller à l’éradication de l’espèce, c’est de pouvoir réduire l’espèce jusqu’à un niveau où la transmission de la maladie n’est plus possible.

Parlant des résultats obtenus, le responsable du projet a déduit que ça été un processus très long. Mais les résultats obtenus mettent en confiance et démontrent que nos laboratoires sont vraiment capables de gérer les moustiques génétiquement modifiés.

Après deux ans, l’équipe a pu démontrer que nous pouvons amener la modification génétique des moustiques qu’on a importés vers les génomes des moustiques locaux. «Dans notre exercice, on avait ciblé 20.000 moustiques et nous avons pu produire 19.000 et quelques moustiques. On peut donc dire qu’on est confiant et qu’on a atteint le but», s’est-il réjoui. Une expertise considérable a été transférée à l’équipe scientifique du Mali grâce à l’importation réussie et à la réalisation d’une évaluation confinée d’un moustique génétiquement modifié. Il faut noter que cette importation était une première dans notre pays.

Le transfert du gène de modification de Ag (DSM) 2 dans la constitution génétique de la colonie locale a été effectif après 6 générations de reproduction entre femelles modifiées et mâles sauvages selon les modèles d’hérédité mendéliens attendus 50 : 50 et la colonie a été renommée Ac (DSM) 2 pour refléter cela. Nos scientifiques ont ensuite maintenu la colonie de moustiques génétiquement modifiés mâles et stériles. La stabilité du gène a été confirmée avec un œuf viable, issu du croisement des mâles modifiés avec les femelles sauvages. La fiabilité du tri au stade larvaire et nymphale a été un succès avec une précision de tri supérieure à 99%. Sur huit insecticides testés avec au moins un insecticide pour chaque classe d’insecticide, aucune résistance n’a été observée chez les moustiques aussi bien génétiquement modifiés que la colonie locale non génétiquement modifiée.

Fatoumata NAPHO

Source : L’ESSOR

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