Il reste douze mois au Tchadien Moussa Faki Mahamat, à la tête de la Commission de l’Union africaine, pour s’approcher de son objectif numéro 1, « faire taire les armes en Afrique ». Que va-t-il tenter, pendant sa dernière année de mandat, pour faire reculer la violence au Sahel et en Libye ? Et sera-t-il candidat l’an prochain à sa propre succession ? A l’issue du 33° sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, Moussa Faki Mahamat répond aux questions de l’un de nos envoyés spéciaux.
RFI : « Votre déficit de solidarité avec les États sahéliens est déconcertant », avez-vous dit ce dimanche aux chefs d’État africains. Le sommet extraordinaire de Pretoria en mai prochain peut-il être l’occasion d’une mobilisation militaire et financière des États africains, l’Afrique du Sud en tête ?
Moussa Faki Mahamat : En tout cas, dans les décisions qu’on a prises, on a même prévu un sommet extraordinaire sur la question de la lutte contre le terrorisme, peut-être même avant le mois de mai. On n’a pas fixé la date ni le lieu, mais peut-être que cela pourrait avoir lieu avant le mois de mai. Il y a urgence. L’Égypte s’est portée candidate, si jamais la réunion se tenait. Bon nombre de pays ont pensé qu’on ne peut pas attendre, qu’il faut très rapidement réunir les ministres de la Défense, les chefs d’état-major, et agir le plus rapidement possible. Donc je crois que c’est une question de volonté politique. Si l’on veut réellement, aujourd’hui, déployer des forces africaines, cela est possible.
La zone la plus sensible, c’est celle des trois frontières. On parle de l’arrivée, notamment, d’un bataillon tchadien.
Oui, tout à fait. Je crois que le Tchad n’a pas démérité dans cet espace, ce sont les pays du G5, mais je crois que, quand un pays dépense entre le quart et le tiers de son budget sur des questions sécuritaires, c’est intenable.
Et justement, une proposition qui vient du Sénégalais Macky Sall, c’est de demander au FMI d’autoriser les pays africains à creuser leur déficit d’un point supplémentaire pour financer cet effort militaire.
Il faut nécessairement faire quelque chose. Nous avons essayé d’obtenir des financements, parce que cette menace est du ressort du Conseil de sécurité. On n’y est pas arrivé pour l’instant. Donc il faut innover, il faut trouver des formules originales.
Donc face au blocage des États-Unis au Conseil de sécurité, on cherche d’autres formules, comme celle que propose Macky Sall ?
Justement, quand votre case brûle et que le pompier n’est pas encore arrivé, on utilise ce que l’on a à sa portée.
Ce lundi – c’était sur RFI et France 24 -, le président IBK du Mali a brisé un tabou. Il a reconnu des tentatives de contact avec des chefs jihadistes du Nord-Mali. Est-ce qu’on peut mobiliser contre le terrorisme, tout en essayant de parler avec les terroristes ?
Si le président Ibrahim Boubacar Keïta a pris cette initiative, je pense que c’est en toute connaissance de cause. Il est mieux placé que moi pour pouvoir apprécier. Ce qui importe, c’est d’avoir les moyens de répondre à la menace, aux gens qui sont extrêmement violents et qui tuent au quotidien. Il faut leur faire face. Mais il y a également d’autres moyens, dont les contacts, les négociations… Je sais, par ailleurs, qu’au Mali il y a des problèmes intercommunautaires qui sont des facteurs aggravants. Et dans ces conditions, s’il y avait des voies pour essayer d’agir de ce côté, je ne verrais pas d’inconvénients.
Dans le conflit libyen, l’ONU essaie de faire signer un cessez-le-feu aux deux principaux belligérants. Quel concours peut apporter l’Union africaine ?
Nous avons marqué notre disponibilité à envoyer des équipes militaires, au cas où le cessez-le-feu est signé, pour assister à l’observation du respect du cessez-le-feu.
On parle de militaires d’Afrique du Sud, d’Angola…
Nous n’avons pas encore défini, mais si le cas se présentait, je crois que nous avons suffisamment de militaires africains qui peuvent faire ce genre de travail.
Vous parlez de ce forum de réconciliation interlibyen que vous voulez organiser, mais encore faut-il que les deux principaux belligérants, le Premier ministre Sarraj et le maréchal Haftar, soient d’accord, non ?
En tout cas, tous les deux nous ont dit qu’ils sont d’accord pour que l’Union africaine joue son rôle. Ils sont d’accord pour la réconciliation. Et je pense qu’il faut élargir cette dualité Haftar et Sarraj. Il y a d’autres composantes. Nous avons reçu ici, à Addis, des représentants de l’ancien régime, des kadhafistes… Nous avons reçu des chefs traditionnels, notamment à Brazzaville, nous avons reçu des gens qui représentent la société civile… Donc il faut élargir.
Ce forum interlibyen, l’Algérie propose de l’accueillir. Qu’en pensez-vous ?
Je ne vois pas d’inconvénient. De toute façon, l’Algérie fait partie du Comité de haut niveau [pour la Libye]. Il est prévu que le président Sassou mette en place un groupe de contact parmi ces États et nous allons aviser et décider le moment venu. Au départ, c’était prévu à Addis, mais l’essentiel c’est de le préparer, d’avoir des participants. Le lieu ne posera certainement pas de problème pour nous.
Avec Abdelmadjid Tebboune, est-ce que vous sentez que l’Algérie s’implique plus fortement pour une médiation et la paix en Libye ?
Je l’ai rencontré à deux reprises. D’abord à Berlin, et cette fois, ici, à Addis. Il m’a semblé très engagé sur la paix et la stabilité dans la région et notamment sur la Libye et le Sahel.
Moussa Faki Mahamat, c’est votre dernière année à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Est-ce que c’est la raison pour laquelle vous avez tenu ce langage de vérité, dimanche, à la tribune de l’Union africaine ?
Je n’ai jamais changé de façon de parler, surtout sur des questions aussi graves. Je n’ai aucune intention électoraliste. Je sais que je suis venu ici en mission et mon devoir est de l’accomplir de la manière la plus loyale possible.
Et quand vous parlez avec autant de franchise, est-ce à dire que vous voulez partir en beauté, ou est-ce qu’au contraire, vous voulez frapper les esprits avant de vous présenter en juillet prochain pour un second mandat ?
[Sourire] Le moment venu, vous le saurez. De toute façon, avec la réforme à l’Union africaine, il y a une nouvelle procédure. Il y a un panel de hautes personnalités qui va sélectionner les membres de la future commission. Je crois que vers juillet-août, les gens vont candidater, ils feront campagne et les élections auront lieu certainement au début du mois de février de l’année 2021.
Vous vous souvenez ce que vous disiez il y a trois ans ? « Mon village, c’est le Tchad, mon pays c’est l’Afrique ».
Absolument. C’est d’autant plus vrai [aujourd’hui].
Et est-ce qu’au début de l’année prochaine vous allez rester ici, dans votre « pays », à Addis-Abeba, ou est-ce que vous allez retourner au « village » ?
Je suis à l’aise, aussi bien dans mon « village » que dans mon « pays ».
Tout est ouvert ?
Tout est ouvert.
Toutes les options sont sur la table ?
Absolument. Je peux repartir au Tchad, comme rester à Addis-Abeba.
RFI