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Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire : « La problématique de la prolongation de la transition se posera d’elle-même »

Dans une interview exclusive qu’il nous a accordée, Moussa Djombana, professeur de mathématiques, analyste géopolitique et sécuritaire de son état, porte un regard sur la suite de la transition en cours au Mali. Aussi, l’universitaire analyse-t-il la situation sécuritaire dans le Sahel, faisant souvent le parallèle avec le cas afghan. Lisez plutôt !

 

Le Tjikan: Que pensez-vous de la situation sécuritaire du Mali et celle du Sahel de façon générale ?

Moussa Djombana: La situation sécuritaire qui a été mise à mal à partir de 2012, ouvrant au Mali le bal d’une ère d’instabilité ponctuée par deux coups d’État (2012, 2020), de rébellion séparatiste et de terrorisme, est au plus mal encore aujourd’hui. Dans certaines localités du pays comme dans la région de Ségou, notamment le cercle de Niono, il est impossible de parcourir 15 km dans certaines directions de la ville sans tomber nez à nez avec des “djihadistes” qui imposent leur législation. Les attaques répétées contre notre armée nationale n’a pas connu de répits et cela contribue, hélas, à ôter la vie à nos soldats. Les populations civiles, malheureusement, ne connaissent pas un sort meilleur. Elles sont parfois victimes de représailles, tuées par centaines. Leurs villages et leurs récoltes brûlés. La nature asymétrique de ce conflit semble poser d’énormes difficultés à nos armées classiques, non coutumières de ce type de guerre d’un nouveau genre. Nos États sont affaiblis et à bout de souffle, du fait de ce terrorisme gangrenant et conquérant chaque jour de nouveaux espaces à notre détriment. La première des réponses que nous devons apporter à ce fléau mortifère reste et demeure l’union sacrée des populations et des pays du Sahel autour des objectifs communs de pacification de notre espace vital et d’imposition de la paix. C’est dans ce cadre et seulement dans ce cadre que toutes les autres solutions envisagées ou à envisager porteront les fruits escomptés.​

Faut-il craindre le syndrome afghan au Sahel?

Le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan après la fuite déguisée des Américains est un message fort adressé aux autres groupes partageant le même idéal qu’eux, notamment les katibas “djihadistes” du Sahel, à savoir installer un pouvoir régi par la “charia islamique”. Ce message est d’autant plus important qu’il les exhorte à persister dans la voie de la résilience, à poursuivre avec cette tactique de guerre basée sur l’évitement de l’ennemi dont l’objectif principal est de faire durer la guerre afin que l’usure du temps fasse son travail. C’est cette même usure du temps qui a motivé l’administration américaine à retirer ses soldats de ce pays.
C’est l’objectif visé par les groupes “djihadistes” opérant au Sahel et la victoire talibane en Afghanistan les conforte dans leurs convictions d’avoir fait le bon choix, celui de la guerre asymétrique pour que le conflit s’étale au maximum dans le temps, causant plus de dépenses et de pertes en vies humaines du côté des Forces étrangères engagées au Sahel. Sans oublier la lassitude au sein des opinions publiques des pays étrangers qui seront de moins en moins enthousiastes à l’idée que leurs impôts servent à financer une guerre qui ne finit pas et dont l’issue est encore incertaine une décennie après son déclenchement. Il y aussi le choc causé par la perte de plus en plus grande de leurs compatriotes soldats.
Ce qui pourrait arriver au Sahel, c’est le désengagement des troupes étrangères après tant d’années de conflit sans que l’issue de la guerre ne soit perceptible avec certitude. On pourrait alors craindre l’effondrement total des États sahéliens et la prise du pouvoir par les katibas “djihadistes” y opérant.
L’autre message fort, c’est que la sécurité d’un État ne peut être assurée que par les enfants de cet État-là. L’erreur pour les puissances comme les USA et la France par exemple, c’est de marginaliser les armées locales, tout en voulant faire le “job” elles-mêmes. Pourtant, la meilleure stratégie aurait été de travailler à l’autonomisation des armées nationales, afin qu’en toute indépendance, elles puissent mener leurs missions régaliennes sans toutefois dépendre des soldats américains ou français.
Enfin, les pays sahéliens doivent comprendre la gravité de l’heure et se mette véritablement ensemble pour faire face à la menace commune: celle des groupes “djihadistes” qui terrorisent les populations sahéliennes à travers les torrents de morts qu’ils sèment chaque jour au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Tchad, etc.
Plus que tout, l’heure est à l’union et à la fraternité vraie pour faire front à l’adversité commune. Autrement, c’est à l’effondrement de nos États déjà faillis qu’il faut s’attendre, donc à la “talibanisation” de tout le Sahel et même au-delà.

Quelle lecture faites-vous des différentes crises auxquelles les autorités de la transition font face sur les plans scolaire, économique, social et politique ?

La lueur d’espoir suscitée chez les syndicats d’enseignants par la chute du pouvoir IBK par un putsch militaire, aboutissement du combat politique épique du M5-RFP, allié circonstanciel des syndicats enseignants signataires, s’est vite estompée, cédant la place à une énorme désillusion née d’un retour à la case départ quant à leur revendication phare portant sur l’application effective de l’article 39. Le boycott des examens par les syndicats enseignants, à travers l’initiation d’un mouvement de désobéissance civile, est symptomatique du malaise qui continue à faire des ravages dans le monde de l’éducation nationale au Mali ; et cela, bien avant l’ère IBK.

Au plan économique et social, la société malienne dans son écrasante majorité broie du noir du fait des difficultés économiques et financières. Ces difficultés se sont accentuées avec la crise multiforme née des événements de 2012. Cela a malheureusement pris une proportion insupportable avec la crise politico-institutionnelle de 2020, laquelle a vu la chute des institutions républicaines. Aujourd’hui, le maigre panier de la ménagère a cédé la place à un “sachet” de la ménagère. C’est la conséquence directe des crises politico-institutionnelles qui ont eu à secouer dangereusement le pays. Des mesures doivent être prises pour soulager les ménages maliens en rendant accessibles les denrées de première nécessité.

Au plan politique, la situation politique semble s’être apaisée mais ce n’est qu’un leurre. Les formations politiques clés, pour le moment en embuscade préventive, attendent d’avoir une certitude au sujet de la direction politique irréversible que prendront les autorités de la transition. Ce, pour donner de la voix et au besoin, ouvrir les hostilités politiques en lien avec l’avenir et le devenir politique du pays. La situation sociopolitique actuelle qu’on pourrait qualifier de “paisible” n’est en réalité qu’un calme apparent avant la grosse tempête politique, sauf identité de vision politique entre les autorités de la transition et les principaux partis politiques du pays.​

Quel regard portez-vous sur la suite de la transition ?

La transition actuelle, sous le leadership de l’énigmatique colonel Assimi Goïta, a déjà effectué 66% de son trajet si on s’en tient aux accords inter-maliens qui ont servi de fonts baptismaux pour la présente transition. C’est une transition dont la mise sur pied, il y a 12 mois, a occasionné beaucoup de grincements de dents, compte tenu de nombreuses violations des textes au consensus douteux, ayant servi à échafauder l’architecture de l’ensemble des institutions du pays. Il y a eu très peu de transparence, des soupçons de clientélisme, de népotisme voir même de corporatisme. Mais au final, la transition a été mise en route et son fonctionnement a connu pas mal de péripéties. Et cela était prévisible.

En réalité, à l’heure actuelle, nous sommes dans la seconde transition qu’on espère la dernière, la première ayant connu son terme avec les arrestations puis la mise en résidence surveillée de Bah N’Daw (président de la première transition) et Moctar Ouane (Premier ministre de la première transition) et cela, en dehors de tout cadre légal. Malgré ces dysfonctionnements préjudiciables à la bonne marche du pays déjà vacillant, le Mali doit aller de l’avant. Il est dans notre intérêt à tous, en tant que citoyens maliens, peu importe nos opinions, nos religions et nos obédiences politiques, d’œuvrer pour une transition apaisée, inclusive et surtout réussie. Nous devons mettre le Mali au centre et au-dessus de tout. C’est à ce prix que des perspectives meilleures se dégageront pour le pays.

A six mois de la fin de la transition, que faut-il espérer ?

La transition s’approchant de son terme initialement prévu, compte tenu des difficultés l’ayant durement éprouvé, il sera quasiment impossible d’atteindre les objectifs assignés dans le laps de temps restant. Du coup, la problématique de la prolongation de la transition se posera d’elle-même et cela devra être tranché.

C’est pourquoi, dès maintenant, une consultation franche et sincère de toutes les couches sociales maliennes s’impose en vue de dégager un consensus raisonnable sur la suite à donner à cette transition qui, ayant 66% de sa route, n’a pas encore atteint le quart de ses objectifs. Presque rien n’a encore été fait et tout reste à faire.

Il est important qu’à terme, nous ne plongions pas dans une crise politique inutile, mettant irrémédiablement en danger le pays déjà mal en point. Et qu’ensemble, d’un commun accord, nous dessinons l’avenir politique et institutionnel du pays dans l’intérêt de tous et pour le bonheur de notre peuple.

Propos recueillis par Moussa Sékou Diaby

Source : Tjikan

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