Le secrétaire d’état auprès du ministre de l’éducation nationale, chargé de la Promotion et de l’Intégration de
l’Enseignement bilingue bat en brèche les arguments des obscurantistes qui ferment les écoles au nom de la religion musulmane. Il revient sur les efforts de son département en vue de renforcer les medersas dans leurs missions
éducatives et de prendre en charge les écoles coraniques dans le cadre d’un enseignement bilingue franco–arabe.
L’Essor : Les terroristes prétendent qu’ils agissent au nom de l’islam et s’en prennent aux écoles en disant qu’ils combattent l’enseignement en français. Que disent les textes coraniques en matière d’enseignement ?
Moussa Boubacar Bah : L’islam est avant tout une religion de savoir. La recherche du savoir a été la première instruction donnée par Allah, Exalté soit-Il, au Prophète de l’islam, Béni soit-Il, dans le premier verset du livre sacré de l’islam, le Saint Coran. Aucune langue spécifique n’a été imposée aux êtres humains pour mener ce combat contre l’ignorance, toute langue ayant été créée par l’Eternel peut servir de vecteur de quête et de transmission de la connaissance.
L’universalité du message de l’islam, structurée autour des cinq finalités, la préservation de la foi, la préservation de la vie, la préservation de la dignité, de la raison et du patrimoine requiert le recours aux différentes langues utilisées par les diverses nations du monde. L’universalité du message de l’islam s’oppose donc à la stigmatisation d’une langue donnée.
De nos jours, un bon nombre de pays musulmans utilisent le français, à travers le monde, à des degrés différents, dans le processus d’enseignement et d’apprentissage. à l’instar de ces pays, le Mali, conscient de sa réalité et attaché à ses valeurs, a décidé d’utiliser plusieurs langues dans son combat contre l’ignorance et l’obscurantisme, notamment le français, l’arabe, l’anglais et les langues nationales. Sans être un leader religieux, j’ai du mal à comprendre comment on peut s’en prendre à l’enseignement des valeurs dans une langue donnée au nom de l’islam qui est une religion de savoir et qui se veut universelle.
L’Essor : Il y a comme deux systèmes d’éducation dans notre pays. Le système d’inspiration française et les medersas qui sont d’inspiration arabo-musulmane. Votre département peut contribuer à trouver une solution à cette dichotomie par la promotion d’un système intégré. Quelle est la stratégie pour y parvenir ?
Moussa Boubacar Bah : Pour nous, il n’y a qu’un seul système éducatif au Mali consacré par la Loi d’orientation sur l’éducation avec une seule finalité : «former un citoyen patriote et bâtisseur d’une société démocratique, un acteur du développement profondément ancré dans sa culture et ouvert à la civilisation universelle, maîtrisant les savoir-faire populaires et apte à intégrer les connaissances et compétences liées aux progrès scientifiques, techniques et à la technologie moderne ».
Peuvent donc concourir à la réalisation de cette finalité, plusieurs types d’enseignement, plusieurs langues d’apprentissages et d’enseignement et plusieurs programmes.
Il est vrai que l’enseignement public est laïc et fondamentalement dispensé en français. Il est aussi vrai que l’enseignement dans les medersas et les écoles coraniques est en arabe avec une place de choix à la religion musulmane, mais le mixage entre ces types d’enseignement a commencé au Mali depuis 1985 avec le rattachement des medersas au système éducatif malien, bien que la réforme de 1962 ait déjà posé les jalons en créant quelques écoles franco –arabes à travers le pays. Cependant, les médersas sont, en l’état, des établissements privés d’enseignement où le medium principal d’enseignement et d’apprentissage est l’arabe, le français y est enseigné obligatoirement, mais comme discipline donc comme une seule matière. Ils sont statutairement reconnus comme établissements d’enseignement.
Quant aux écoles coraniques, elles constituent des structures éducatives de fait. Elles échappent aux contrôles pédagogiques et techniques de l’État puisqu’elles ne sont pas rattachées au ministère en charge de l’Éduction. Par conséquent, elles ne sont pas considérées, du point de vue juridique, comme des établissements d’enseignement. De nos jours, elles ne bénéficient pas de l’enseignement des matières académiques ou additionnelles (modernes), notamment le français.
C’est dans ce contexte que les plus hautes autorités du Mali ont décidé de créer le Secrétariat d’État en vue de renforcer davantage les medersas dans leurs missions éducatives et de prendre en charge les écoles coraniques dans le cadre d’un enseignement bilingue franco–arabe. Cet enseignement bilingue va concilier les besoins fondamentaux des communautés en matière d’éducation avec la finalité du système éducatif national.
La stratégie consistera à échanger avec les communautés partout où elles sont, à travers les fora locaux, régionaux et nationaux afin de recenser leurs préoccupations. Et à les sensibiliser sur les avantages de l’enseignement bilingue en termes de renforcement de l’enseignement arabo-islamique, de la promotion de l’emploi, de la consolidation de la paix, de la participation active au développement du pays.
Cependant, concrètement pour les medersas, il s’agira d’accompagner le développement du curriculum des medersas en cours d’exécution au sein du Projet d’appui à l’éducation bilingue de base, de soutenir la formation des formateurs, la formation des enseignants et de mobiliser les partenaires techniques et financiers à l’intérieur et à l’extérieur du Mali autour du financement de l’enseignement bilingue.
Quant aux écoles coraniques au Mali, qu’elles soient traditionnelles ou modernes, il faut d’abord les rattacher au système éducatif malien, tel que demandé par le forum national sur les écoles et centres coraniques et les associations des maitres coraniques. Ce rattachement permettra à l’État de contrôler la création, la gestion, les approches pédagogiques et la certification des apprentissages qui sont, jusque-là, laissées à l’appréciation de l’école ou du maître coranique selon les cas. Il faudra ensuite adapter les programmes des écoles coraniques au système éducatif national.
Cette adaptation se fera à travers le développement d’un curriculum harmonisé préservant l’essence de ces écoles à savoir « apprentissage du Coran et sciences connexes » et s’ouvrant sur des contenus additionnels, conformément à la finalité du système éducatif malien reflétée dans la Loi d’orientation sur l’éducation.
L’Essor : Quelles sont les actions déjà entreprises dans le cadre de la promotion et l’intégration de l’enseignement bilingue ?
Moussa Boubacar Bah : à la lumière des attributions spécifiques du Secrétariat d’état, un plan d’actions annuel axé sur l’organisation du secteur de l’enseignement bilingue, la sensibilisation et l’information des partenaires sociaux et sur la mobilisation des partenaires techniques et financiers a été élaboré, budgétisé et validé de concert avec le ministère de l’Éduction nationale.
Dans la mise en œuvre de ce plan, le secrétariat d’État a procédé aux missions de sensibilisation sur l’enseignement bilingue avec tous les intervenants du secteur à savoir les services déconcentrés de l’éducation, les partenaires sociaux et les partenaires techniques et financiers dans les Régions de Tombouctou et de Kidal. D’autres missions du même genre sont prévues dans toutes les régions enregistrant une forte demande de l’enseignement bilingue franco-arabe.
Une mission d’échanges et de mobilisation de fonds à l’extérieur, a été menée en France. D’autres missions sont prévues sur le Koweït, Bahreïn et le Qatar.
Un forum national sur l’enseignement bilingue sera organisé très prochainement. Pour ce faire, une commission nationale d’organisation a déjà été mise en place et est à pied d’œuvre.
Dans la rubrique organisation du secteur de l’enseignement bilingue, le ministre de l’Éducation nationale avec l’appui du Secrétaire d’État a fait une communication verbale en conseil des ministres sur le décret de rattachement des écoles coraniques au système éducatif national, ainsi que celui fixant les modalités d’organisation de l’enseignement dans les écoles et centres coraniques rénovés. Ces procédures ont été enclenchées et suivent leurs cours.
Toujours pour une meilleure organisation du secteur, l’élaboration d’une politique nationale de l’enseignement bilingue franco-arabe est en bonne perspective.
L’Essor : Les arabisants se sentent marginalisés dans la gestion des affaires publiques. Quelle solution faut-il pour les intégrer dans la conduite du pays ?
Moussa Boubacar Bah : Les difficultés d’intégration des arabophones se situent à plusieurs niveaux : la faible assimilation de la langue française qui est la langue officielle de travail au Mali ; l’inadaptation de leur formation face aux offres professionnelles disponibles ; une faible représentativité au sein des services publics.
Toutes ces difficultés citées peuvent être résolues en amont par, notamment l’adoption de l’enseignement bilingue dans les medersas et dans les écoles coraniques. Encore de nos jours, le bilinguisme équilibré n’est pas de rigueur au sein de ces établissements, toute chose que nous nous proposons d’améliorer comme indiqué plus haut. Aussi, l’adéquation entre la formation coranique et l’emploi passera par le développement du curriculum ci-dessus indiqué où l’apprenant de l’école coranique, en plus de l’enseignement religieux, accèdera aux sciences séculières à travers l’utilisation concomitante de l’arabe et du français. Ce qui va augmenter ses chances de poursuivre des études secondaires et supérieures dans d’autres institutions académiques aussi bien au Mali qu’à l’étranger. Pour cela, il faudra qu’il y ait une réflexion dans le sens de la professionnalisation des formations dispensées par l’institution coranique compte tenu des mutations récentes dans la société malienne notamment en matière de cohésion sociale, de stabilité et de paix. Nous estimons que le profil de sortie qui sera défini dans le cadre du processus de développement du futur curriculum des écoles coraniques aidera à trouver une formule intégrant les attentes sociales et les attentes professionnelles par rapport aux écoles coraniques. Ensuite, à travers le département en charge de l’Emploi et de la Formation professionnelle en mettant les informations sur l’emploi et la formation à leur disposition et à créer éventuellement un service public qui va se pencher sur la problématique de l’insertion et de la formation professionnelle des arabophones dans une approche inclusive et participative.
L’Essor : Quel commentaire faites-vous de l’idée de vouloir islamiser une terre où l’islam est pratiqué depuis des siècles ?
Moussa Boubacar Bah : Le Haut conseil islamique a déjà eu à se prononcer sur le sujet dans les conclusions de son travail de réflexion intitulé « L’application de la charia par la force, le cas du Mali ». Pour le Haut conseil islamique, ce qui se fait au Mali n’est pas du Jihad car le Mali est un pays de musulmans à forte majorité.
En effet, à l’analyse des faits, l’islam est pratiqué au Mali depuis des siècles, Tombouctou a abrité l’Université Sankoré, la plus grande Université islamique au monde déjà au 11e siècle et qui comptait plus de 25 000 étudiants.
De ce fait, Tombouctou a été désignée par l’Organisation de la coopération islamique (OCI) comme étant la première capitale de la Culture islamique pour la région Afrique. La ville a même été célébrée en 2006 en présence de l’OCI, de l’ISESCO et plusieurs pays de la Oummah islamique. Il coûte peu de déclarer que le Mali est un pays à forte culture islamique et on peut donc déduire de la position du HCI que vouloir islamiser le Mali est une aberration.
Propos recueillis par
Issa Dembélé
Source: L’Essor-Mali