Ces petits ateliers de fortunes sont généralement pris d’assaut par les femmes et les enfants. Si les services qu’ils rendent soulagent les ménagères en leur évitant le travail physique, ils ne sont pas sans conséquences sur la santé des consommateurs
Le mois de ramadan est celui de la grande consommation par excellence de denrées en tous genres. à l’occasion, les habitudes alimentaires connaissent un bouleversement quasi total : les mets préférés et les plus succulents étant réservés pour la rupture du jeûne. L’un des repas les plus prisés en la matière est la bouillie à base de farine de mil ou de céréales de la famille. Nécessaire à cet effet, piler et moudre ces graminées, jadis faits à la main à coup de pilon par les ménagères, sont aujourd’hui réalisés par le moulin.
Cette machine électrique aux bruits assourdissants conçue pour adoucir la souffrance de nos épouses, pullule dans les quartiers de Bamako à la grande satisfaction des femmes. Nourrit-elle son homme ? Ces équipements ont-ils encore la cote ? Y-a-t-il des conséquences liées à la consommation des aliments, dont les céréales ont été moulues par ces broyeuses ?
Un mercredi de mars dernier à la meunerie de Bourama Dembélé, près du marché de Taliko, en Commune IV du District de Bamako. Le soleil s’éclipse peu à peu. La température y reste suffocante. L’atmosphère est loin d’être accueillante : ronflement du moteur, insalubrité et accumulation de poussières autour des machines.
Rencontré dans cet environnement, le minotier versait les derniers grains dans un entonnoir en bois. C’était vers le crépuscule. Après cette manœuvre, il éteint la machine, avant de commencer à faire son entretien comme d’habitude. Cela consiste à vérifier et à passer à la règle les dents des lames pour situer les parties usées afin de pouvoir les réajuster. L’engin dispose de deux broyeurs. L’un sert à briser les céréales, l’autre les noix de karité. Le minotier Bourama Dembélé étonne par sa maîtrise du moulin, dont les composantes (moteur, mortiers, décortiqueuse, alternateur), n’ont aucun secret pour lui.
Depuis 10 ans, il officie en ce lieu et y travaille tous les jours, de 8 à 20 heures. Au fil des ans, il a assisté, impuissant, à la prolifération de machines à moudre dans le quartier. «Le marché est très tendu. Aujourd’hui, tout le monde est devenu meunier. Cela a beaucoup affecté notre chiffre d’affaires et nos revenus», confirme celui qui a préféré taire le montant de sa recette journalière. Pour lui, le poids des céréales (le riz, le mil, le sorgho) est déterminé à l’aide d’une boîte à conserve. Le kilo coûte 40 Fcfa. Les sacs de riz ou de mil de 50 à 100 kilos sont respectivement moulus à 750 et 1.500 Fcfa, détaille le meunier.
Le mercredi est pour Bourama Dembélé le «jour le plus lucratif». C’est le jour où les vendeuses de beignets (Takoula) vendues les vendredis devant les mosquées, abondent au moulin, explique-t-il. Tout transpirant, il déplore la cherté de l’électricité. «Ce travail dépend essentiellement de l’électricité. Pendant la saison chaude, le délestage et la volatilité du prix constituent des obstacles au développement de la meunerie», interpelle Bourama.
Une aide-ménagère, debout devant la porte de la minoterie, prend sa tasse remplie de farine de mil. Elle confie que cette machine a réduit considérablement sa charge de travail quotidien. à côté d’elle, se tient une vieille dame qui se souvient de l’époque où les femmes formaient un cercle autour d’un grand mortier pour piler les noix de karité. «Les jeunes épouses d’aujourd’hui sont paresseuses. Car, elles ne savent pas utilisent le mortier et le pilon», taquine-t-elle.
Qu’est-ce qui explique cet abandon ? Rencontrée un samedi de mars dernier dans la maison familiale, Awa Traoré est vendeuse de condiments au marché de Taliko. Assise devant sa cuisine, cette femme au foyer tamise de la farine de mil à l’aide d’un tamis aux mailles très fines. Selon elle, «piler dans un mortier est une pratique qui nécessite beaucoup d’énergie et empêche souvent de s’adonner aux autres activités».
Déchets toxiques- C’est pourquoi, elle préfère le moulin au mortier. La commerçante Awa conseille, par ailleurs, ses sœurs d’enlever toutes les impuretés avant la cuisson. Ceux qui mangent généralement les aliments à base de céréales broyées au moulin sont souvent malades, spécule la ménagère. «Cela est dû, selon elle, à des impuretés venant du moulin ou de grains mal nettoyés». Ces saletés (cailloux, poussières, pailles, etc.) qui doivent être enlevées, sont si fines et légères qu’on a du mal à les repérer tout de suite, insiste-t-elle. Or, ajoute Awa Traoré, beaucoup de cuisinières manquent de courage pour faire le nécessaire afin d’enlever ces impuretés de la farine.
à quelques mètres de la maison d’Awa, se trouve «Coulibaly-là». Où discutent autour du thé deux coépouses et l’épouse de leur beau-frère, devant la cuisine. «L’utilisation du mortier et du pilon est très pénible, ça enfle la main et donne des maux de dos», répond la femme du beau-frère. Si son mari préfère cette ancienne pratique, la jeune dame est pour l’utilisation du moulin pour transformer les graines de céréales en farine.
Abdoulaye Maïga, lui, opte pour les céréales transformées industriellement ou précuites. «Pour éviter d’être contrarié, il est mieux d’acheter les farines à base de céréales vendues dans les commerces. Ces produits sont dans les bonnes conditions d’hygiène. On les retrouve en poudre très fine ou en semoule emballés dans les sachets plastiques», conseille-t-il.
Joint au téléphone sur ce sujet, le Dr Ibrahim Nientao, spécialiste en endocrinologie, maladies métaboliques et vitamines à la Clinique Salomon, confirme que ces outils comme le moulin, peuvent laisser des déchets toxiques dans les aliments, notamment des métaux comme le fer, le zinc ou le cuivre. Ces métaux provoquent des «problèmes digestifs graves», ajoute le spécialiste, précisant que certains sont suspectés d’être à l’origine de certaines formes de cancer, surtout digestifs. S’y ajoutent des problèmes d’accumulation au niveau sanguin pouvant occasionner l’apparition de formes de calcul rénal, etc., souligne le spécialiste.
Les aliments préparés contenant un ou plusieurs grains dans son entièreté sont qualifiés de produits de «grains entiers», selon l’expert. Pour lui, ils regorgent des fibres, des protéines, des vitamines et des minéraux qui aident à rester rassasié et en bonne santé. «Quand on parle des machines, on parle de chaleur. Donc, les grains sont écrasés sous la chaleur. Celle-ci peut aussi avoir un impact sur certaines vitamines thermosensibles qui sont toutes dissoutes sous l’effet de la chaleur dégagée par la machine», insiste le spécialiste. La forme traditionnelle (pilage) de transformation des céréales permet de garder ces vitamines contribuant ainsi à protéger notre corps, explique le Dr Nientao.
Souleymane SIDIBÉ
Source : L’ESSOR