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Mortalité maternelle : un accouchement ne doit pas être un voyage vers l’au-delà

La mortalité maternelle demeure un phénomène inquiétant au Mali. Malgré les avancées de la médecine, tomber enceinte revient à courir un risque. Dans ce billet fictif, notre blogueur Ib Togola prête sa plume à Kunandi, une femme « tombée sur le champ de bataille des femmes », une expression pour dire qu’elle a perdu la vie en la donnant. Car accoucher, c’est aller à la guerre.  

 

Kunandi est mon prénom. Dans ma langue maternelle, le bamanankan, il signifie « la chanceuse » ou « la porteuse de chance ». Mais, à mon grand malheur, ce prénom n’a pu me porter chance. Mon drame, qui est celui d’autres jeunes filles de mon âge, est d’être née dans un pays où l’un des problèmes majeurs reste l’accès à la santé. Et où « l’accouchement c’est la guerre ».

J’ai grandi dans un milieu où se rendre dans un hôpital pour accoucher est un danger, compte tenu des décès qui y surviennent lors des accouchements. Face à ce phénomène inquiétant, qui est aussi une insuffisance en matière des droits de la femme, je me suis engagé dans le militantisme dans l’espoir de voir les choses bouger en faveur des femmes de mon pays.

J’ai parcouru plusieurs pays du monde pour porter la voix de mes sœurs, afin que le respect de leurs droits à la santé soit prioritaire. J’ai voulu être mère, mais ce rêve a tourné au cauchemar. Comme aiment à le dire les femmes de chez nous, je suis moi aussi « tombée sur le champ de bataille des femmes ».

« C’est le moment »

Ce jour-là, je rentrais de ma promenade vespérale. Cette promenade est recommandée aux femmes enceintes dans l’espoir de faciliter leur accouchement. C’était mon exercice favori. Je voulais accoucher et tenir mon premier enfant – sain et sauf – dans mes bras. Je suis rentrée pour prendre une douche avant de diner.

Une fois installée au salon, j’ai ressenti une douleur abdominale qui venait de façon régulière. J’étais à plus de huit mois de grossesse, et la moindre douleur pouvait être un signe de début de travail. Cette fois, c’était la bonne.

« C’est le moment », avait laissé entendre la sage-femme à mon époux une fois à l’hôpital. Ce dernier patientait dans la salle d’attente. Dans l’espoir de nous retrouver plus tard, moi et son enfant. J’avais été installée sur un lit d’hôpital et, sous le poids de la douleur, je suffoquais, loin d’imaginer en ce moment que ce lit serait le dernier sur lequel je respirerai.

Nombreuses sont les femmes qui ont perdu la vie pendant l’accouchement. Souvent, elles la perdent avec leur bébé. Dans mon pays, le traitement des femmes enceintes laisse à désirer. J’avais déjà lu dans la dernière enquête démographique de santé du Mali, qu’en 2018, 325 sur 100.000 femmes avaient perdu la vie lors des accouchements. Parmi ces victimes, l’enquête indiquait que 99% des cas pouvaient être évités par les agents de santé.

Ma lutte avait donc pour objectif de donner une lueur d’espoir aux femmes, afin qu’une grossesse ne soit plus un voyage vers l’au-delà. Comme on le dit, « la vie humaine est sacrée ». Je tenais, de tout cœur, à défendre cette sacralité.

Sur le lit d’accouchement, pendant que la douleur et l’épuisement m’empaillaient, je perdais tout espoir de vivre. Les médecins déploraient l’insuffisance de matériels lors de l’accouchement.

Je remarquais surtout le manque d’expérience du personnel médical. A force de m’ordonner de pousser, je n’avais plus de force pour bien respirer. Ma transpiration en disait long sur ce que je traversais en ce moment-là. Pendant que je me lamentais sous le poids d’une douleur impétueuse, les sages-femmes avaient mentionné une complication qui serait survenue.

J’en ignorais le type et cela m’étonnait, car je n’avais manqué aucune consultation prénatale. Je me disais que cela pouvait arriver, parce que j’avais l’habitude d’entendre dire que certains enfants fatiguent leur maman lors de l’accouchement.

« Une hémorragie sévère »

Les sages-femmes avaient fait de leur mieux. Le bébé était-il vivant ? C’était la question que je me posais, parce que je n’avais entendu aucun vagissement. Avant d’avoir une réponse concrète, le personnel médical s’occupait du sang que je n’arrêtais pas de perdre. « Une hémorragie sévère », j’entendais dire. Je ne pouvais plus. J’en avais perdu la force.

Mon regard était rivé sur mon enfant qui était soigneusement drapé en blanc. Il ne manifestait aucun signe de vie. Mon corps s’affaiblissait au fur et à mesure que je perdais du sang. Les injections que je recevais ne faisaient pas d’effet. Je sentais que c’était la fin. Pour moi. Malgré la mobilisation de tout le corps médical, mon « âme a fini par trahir mon corps ». La traitresse faucheuse avait frappé. Un combat de plus perdu sur le champ de bataille des femmes.

Mon âme, en quittant l’hôpital, avait jeté un regard sur le corps sans vie de mon enfant. La tristesse se lisait sur le visage en larmes de mon époux, pour qui le rêve d’être père devrait encore attendre. Dans son regard, qui ne pouvait me voir, je ressentis une peine indicible. J’avais un regret, celui de ne pas avoir eu le temps de le serrer contre moi et lui dire, une dernière fois, que je l’aimais.

Source : Benbere

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