Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis d’Amérique disait : celui qui contrôle l’argent de la nation contrôle la nation. La monnaie est donc un instrument de souveraineté. Ainsi, battre monnaie est un pouvoir régalien de l’Etat et seul un Etat souverain peut battre monnaie.
Lors de son Discours prononcé devant l’assemblée nationale à l’occasion de l’émission d’une monnaie nationale le 30 juin 1962, le 1er président Malien Modibo KEITA s’exprimait ainsi :
« L’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accompagne toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie, que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale, qu’il en est le complément indispensable, l’attribut essentiel. Pouvoir politique et pouvoir monétaire ne sont donc, à dire vrai, que les aspects complémentaires d’une seule et même réalité : la souveraineté nationale. «
La gestion de la monnaie est éminemment politique parce que la politique monétaire fait partie de la politique économique générale. La politique monétaire et la politique budgétaire ou fiscale sont les deux leviers sur lesquels s’appuient un gouvernement, l’objectif étant l’amélioration des conditions de vie des populations, le plein-emploi, et la baisse de l’inflation, c’est à dire l’augmentation du pouvoir d’achat.
Le Comité Ministériel sur le Programme de la Monnaie Unique de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a formulé parmi ses recommandations :
- Au titre du régime de change, il a été retenu un régime de change flexible assorti de ciblage d’inflation comme cadre de politique monétaire ;
- S’agissant du modèle de la future banque centrale de la CEDEAO, il a été convenu l’adoption du Modèle de Système fédéral des Banques centrales.
iii. Sur le choix de la dénomination de la Monnaie Unique de la CEDEAO, le consensus s’est dégagé autour de la dénomination « ECO ».
Ainsi, dès 2020, les habitants d’Afrique de l’Ouest paieront leurs achats en « ECO». Les chefs d’Etat et de gouvernement des quinze pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), réunis samedi 29 juin à Abuja (Nigeria), ont adopté formellement ce nom pour le projet de monnaie unique. Le communiqué final adopté le samedi 29 juin 2019 à Abuja par les Chefs d’État et de Gouvernements de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest Afrique de l’ Ouest (CEDEAO) « réaffirme l’approche graduée [pour l’adoption] de la monnaie unique en commençant par les pays qui atteignent les critères de convergence » concernant l’inflation, le déficit budgétaire, etc.
Le principe d’un régime de change flexible basé sur un panier de monnaies et une politique monétaire centrée sur la maîtrise de l’inflation ont également été formellement adoptés.
Rappelons que les 8 pays membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine ((UMOA) ayant en partage le franc CFA font partie aussi de la CEDEAO remettant en cause les Accords de Coopération Financière entre la France et l’UMOA. « On peut discuter du CFA sans tabou, ni totem. C’est un sujet qu’on doit pouvoir ouvrir et qu’on a décidé d’ouvrir ensemble avec nos partenaires africains, de manière apaisée, sans culte du symbole, sans tabou ni totem» disait Emmanuel Macron, Président de la République Française à Paris, le jeudi 11 juillet 2019.
Ce à quoi enjoignait Alassane Dramane Ouattara, Président de la République de Côte d’Ivoire et Président en exercice de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en Abidjan, le 11 juillet 2019 : « Aujourd’hui, le taux de change de l’euro par rapport au franc CFA est de 655,9. Et bien sûr, si les chefs d’État décidaient l’année prochaine de changer le franc CFA en ECO parce que nous avons respecté tous les critères de convergence, ce taux ne changerait pas dans l’immédiat. »
Toutefois, Mahamadou Issoufou. Président du Niger et Président en exercice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) affirmait dans l ‘hebdomadaire Jeune Afrique du 14 août 2019 : « Soyons clairs. La création de l’ECO signifie la sortie du franc CFA. Cette monnaie sera, je le répète, liée à un panier de monnaies, constitué des principales devises – euro, dollar, yuan… – avec lesquelles nous commerçons.
Ce ne sera donc pas le CFA sous un autre nom, ainsi que je l’entends parfois. Ce ne sera pas non plus une réforme contre la France, mais une réforme pour le développement de l’Afrique de l’Ouest, pour les investissements, pour la création d’emplois sur le continent et donc dans l’intérêt de tous. J’ajoute que toutes ces décisions ont été prises à l’unanimité des 15 États membres de la Cedeao, francophones et anglophones.»
Notons que la mise en œuvre de la monnaie unique de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, donc la CEDEAO a déjà été reportée cinq fois. L’Union monétaire ouest africaine (UMOA) rassemble les 8 pays de l’ Afrique de l’Ouest ayant en partage le franc CFA fait partie de la CEDEAO. Le problème majeur dans l’harmonisation entre l’UMOA et la CEDEAO se trouve au niveau des convergences et politiques économiques. Cela pose beaucoup de difficultés, surtout avec le géant nigérian qui constitue 70% du PIB de la CEDEAO et qui devra fournir d’inlassables efforts pour la mise à niveau de sa gouvernance économique et financière, mais aussi politique, en tant ce pays phare et leader naturel de la CEDEAO.
Le destin des Nations se joue sur la monnaie disait l’éminent économiste Français Jacques Rueff. La CEDEAO ira t-elle vers un sixième report du lancement de sa monnaie unique en 2020? Pourra t-elle surmonter les obstacles liés au manque de convergence de ses économies en dehors des pays qui utilisent le franc CFA? Les 8 pays de l’UMOA couperont t-ils le cordon ombilical avec la France en matière monétaire en 2020? << Si l’on ne se sent pas heureux dans la zone CFA, on la quitte pour aller battre sa monnaie comme l’on fait la Mauritanie et Madagascar. Il faut arrêter les déclarations démagogiques qui font du CFA le bouc émissaire des échecs des politiques économiques.>> disait Emmanuel Macron. Président de la République Française lors du Sommet du G5 à Bamako, le 2 juillet 2017. Quid des dispositions transitoires pour adopter l’ÉCO que le Nigéria ne pourra adopter en 2020 pour des raisons de gouvernance économique et financière?
« La confiance est une institution invisible qui régit le développement économique. « selon Kenneth Arrow, économiste américain, co-détenteur du prix Nobel d’économie en 1972. La CEDEAO doit démontrer sa maturité et sa crédibilité dans la gestion de sa monnaie unique l’ÉCO. L’intégration monétaire en Afrique de l’’Ouest aura t-elle lieu en 2020 réalisant par là un rêve des fondateurs du panafricanisme en 1963? L’’horizon 2020 n’étant qu’à quelques encablures nous édifiera.
Bamako, le 18 août 2019
Modibo Mao MAKALOU
MBA
Source: Le Prétoire